Les brevets : invités « surprise » du débat sur les OGM/NTG
La Commission européenne ne l’avait pas prévu dans sa proposition de déréglementation des OGM/NTG, mais le sujet des droits de propriété intellectuelle s’est malgré tout invité au débat. Et il ne fait pas consensus. Le gouvernement français, malgré son appui de principe à une déréglementation, souligne les défis posés par les brevets. Dans la filière semence, un panel de positions s’étend entre les partisans des brevets et ceux des COV (Certificats d’Obtention Végétale). Ces différentes perspectives révèlent le défi de la régulation des droits de propriété intellectuelle sur les OGM/NTG et les risques qu’ils font peser sur les petits/moyens semenciers et agriculteurs, ainsi que sur les paysans.
En Europe, la discussion sur les OGM/NGT est à un carrefour réglementaire et économique crucial. La Commission européenne a proposé, le 5 juillet 2023, de déréglementer les OGM/NTG, suscitant un vif débat. Au cœur de ce débat émerge la question épineuse des droits de propriété intellectuelle, des brevets notamment, mais aussi des COV, qui façonnent l’accès aux techniques de modifications génétiques et le marché des semences. Plusieurs profils d’acteurs européens s’expriment sur ce sujet : États, industriels, ONG, syndicats, associations de consommateurs… et le dissensus est de mise. Retour sur des positions emblématiques.
Jeu d’équilibrisme pour le gouvernement français
Le gouvernement français soutient politiquement la proposition de la Commission européenne dans ses grandes lignes. Il est notamment favorable au remplacement du terme « OGM » par « NTG » et refuse l’étiquetage obligatoire jusqu’au consommateur final des produits issus de la catégorie NTG 1, au prétexte non scientifique qu’ils seraient « équivalents » aux plantes conventionnelles. Rappelons à cet égard que les critères proposés pour qu’une plante soit définie comme NTG 1, déclarés « sans fondement scientifique » par l’Anses, permettent de couvrir un nombre infini de modifications génétiques, qu’il s’agisse d’insertion ou délétion de séquences génétiques, ou de substitutions de composants du génome.
L’État français montre cependant un point de divergence avec la Commission européenne : la question des droits de propriété intellectuelle, en particulier des brevets, ne peut être totalement exclue de la proposition de règlement. Il évoque, en effet, une préoccupation majeure quant au potentiel « verrouillage du marché des semences » par de tels brevets (limitation de l’accès/utilisation de ressources génétiques, augmentation des coûts, réduction la biodiversité…) et appelle à des mesures pour prévenir une telle issue. Il demande, en outre, une application plus stricte des règles de brevetabilité, indiquant une crainte que les brevets soient accordés trop facilement, ce qui favoriserait le contrôle du marché par les multinationales. Le gouvernement français souhaite aussi une amélioration de l’accès aux informations génétiques et la transparence sur les éléments brevetés.
Mais il crée ici un paradoxe. Cette transparence, comme la possibilité de tracer les OGM/NTG, a pour objectif de permettre à chaque acteur de la filière semence de savoir quels éléments liés aux OGM/NTG font l’objet de brevets, et ce de la manière la moins opaque possible. En ne soutenant pas l’obligation d’étiqueter ni de tracer les OGM/NTG, comment serait-il possible d’atteindre un tel objectif ? Le constat est de fait assez clair : le gouvernement français ne montre pas d’empressement à résoudre ces problèmes, acceptant l’urgence imposée pour la déréglementation des OGM et demandant seulement une accélération d’une étude d’impact des brevets sur les acteurs de la filière (prévue pour 2026 par la Commission), sans demander à celle-ci de s’exécuter.
Semenciers : des positions oscillant entre brevets et COV
La distinction entre les COV et les brevets est aussi un élément important du débat sur les OGM/NTG. Alors que les COV offrent une protection limitée aux variétés végétales, les brevets peuvent couvrir une gamme plus large d’ « inventions biotechnologiques », notamment des plantes et des semences porteuses d’informations génétiques.
Certains acteurs du secteur semencier appellent à une prééminence des COV pour favoriser une innovation ouverte et équitable, mettant en garde contre les implications des brevets de portée étendue sur la sélection végétale. C’est notamment le cas, en France, des sociétés RAGT et Florimond Desprez, semenciers dits de « taille intermédiaire ». Tout en reconnaissant le besoin d’accéder à de nouvelles technologies génomiques, ils expriment des réserves sur la dominance des brevets dans le domaine des OGM/NTG. L’Union Française des Semenciers (UFS) propose un équilibre entre les systèmes de brevets et de COV, appelant à la transparence et à une régulation qui respecte la portée des brevets sans limiter l’accès aux ressources phytogénétiques. Cette position témoigne des contradictions et des défis à concilier innovation, droits de propriété intellectuelle et « développement durable ».
Les brevets sur les technologies OGM/NGT sont un outil clé pour les multinationales agrochimiques, aujourd’hui également « grands semenciers ». Ceci peut être source de tension entre ces derniers et les autres acteurs de la filière semence, du moyen semencier au monde paysan. Tous s’inquiètent en effet de l’impact des brevets de portée large sur leur capacité à innover, accéder au matériel génétique et pouvoir conserver et échanger les semences. Leur position rejoint à cet égard celle du gouvernement français. Mais aucune solution réaliste et protectrice n’a encore été trouvée.
Vrai problème, fausses solutions
Le problème des brevets, qui a émergé lors des discussions consécutives à la proposition de règlement européen sur les OGM/NTG, n’est en soi pas nouveau. Il a simplement été repoussé à plus tard par ce texte. En effet, si certains acteurs appellent à restreindre la brevetabilité du matériel biologique, notamment de l’information génétique qu’il porte et des « traits natifs » (caractères présents à l’état naturel), les multinationales de la semence promeuvent quant à elles le déploiement de tels brevets. Elle ne verraient donc pas d’un bon œil l’introduction, dans le règlement sur les OGM/NTG, de dispositions contraignantes en la matière. D’autant qu’elles disent proposer des solutions pour accéder aux OGM/NTG couverts par leurs brevets.
Elles proposent par exemple l’accès à des « plateformes de licence » (ou « clubs de brevets ») créées sur la base de brevets qu’elles détiennent. Les conditions d’accès sont cependant très restrictives et ne concernent que quelques membres d’une envergure suffisante pour alimenter eux-mêmes ces plateformes en droits de brevets. Les représentants de semenciers européens sont eux-mêmes partagés sur le bienfait de telles solutions. Si le représentant allemand, le BDP (Bundesverband Deutscher Pflanzenzüchter e. V.), estime que c’est une solution pour que tous les semenciers accèdent aux technologies OGM/NTG, le représentant néerlandais, Plantum, a fait état, en septembre 2023, de ses « préoccupations » quant au nombre croissant de brevets issus des OGM/NTG : « il est très important de reprendre la discussion sur le fonctionnement du droit des brevets dans le domaine de la sélection végétale ». A l’instar de ces deux structures, les représentants des semenciers dans les différents pays européens tentent de trouver une position pouvant contenter leurs membres et leurs diverses politiques de propriété intellectuelle.
Les multinationales favorisées
Le « problème brevets » prend toute sa signification lorsqu’on le relie à la question de la transparence et de l’impossibilité de tracer les OGM/NTG. Cela affecte les semenciers de petite taille, les agriculteurs et les paysans, incapables de savoir si les plantes avec lesquelles ils travaillent contiennent des caractères brevetés. Or, la Juridiction unifiée du brevet (JUB) les contraint justement à cela via le principe de renversement de la charge de la preuve. Cette difficulté avantage les multinationales semencières, telles que Corteva, Bayer/Monsanto, BASF et Syngenta, qui détiennent des brevets majeurs sur les traits essentiels des cultures agricoles, leur permettant de limiter l’utilisation des semences par ces « petits acteurs ». Une telle situation favorise le contrôle des systèmes agricoles et de l’alimentation en Europe par ces entités.