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La Commission européenne veut en finir avec les OGM

Par Eric MEUNIER

Publié le 24/07/2023

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Le 5 juillet 2023, la Commission européenne a adopté une proposition de dérèglementation des OGM. Elle propose notamment de changer la définition d’un OGM. Ainsi, la plupart des OGM actuels ne seront plus considérés comme tels. Ils seront alors dispensés d’une évaluation des risques (très discutée), d’une méthode de détection et traçabilité, d’un étiquetage, et d’un suivi après commercialisation, comme le prévoyait la directive 2001/18. Prévoyante, la sémantique proposée vise à anticiper les futurs développements biotechnologiques à venir et encore inconnus, avec une dérèglementation proposée très large.

Alors qu’une première version non officielle avait circulé il y a deux semaines, la Commission européenne a fini par adopter et rendre publique une nouvelle proposition, officielle et discrètement modifiée. Cette proposition vise, contrairement à ses propres affirmations [1], à concrètement dérèglementer des OGM en Europe [2]. Les discussions vont maintenant démarrer avec le Conseil de l’Union européenne et le Parlement européen sur base d’un document qui, au 21 juillet 2023, n’est disponible qu’en anglais…

Une chose est d’ores et déjà certaine : la Commission européenne ambitionne de ne plus avoir quasiment aucune plante définie comme OGM en Europe dans les décennies à venir (et donc soumise à évaluation des risques, autorisation et étiquetage et traçabilité). Inf’OGM détaille dans cet article le fond et la forme choisis par la Commission. Il s’agit ni plus ni moins que de changer la définition européenne des OGM en vigueur depuis plus de trente ans. Pour cela, analysons d’abord les principes à la base du raisonnement de la Commission, puis la nature des organismes concernés par cette proposition et, enfin, les mesures concrètes de dérèglementation.

Des points de départ abusifs

L’approche adoptée par la Commission repose sur deux hypothèses exposées dans le mémoire explicatif qui introduit cette proposition de règlement. La première est que les « produits obtenus par mutagénèse dirigée pourraient ne pas différer de ceux obtenus par méthodes de production conventionnelles ». Dans les considérants du règlement, le conditionnel devient une affirmation. La Commission y écrit ainsi que « dans certains cas, les modifications génétiques introduites par ces techniques sont indistinguables avec des méthodes analytiques de mutations naturelles ou de modifications génétiques introduites par des méthodes d’amélioration conventionnelle ». Cette affirmation est loin d’être partagée par tous les scientifiques et Inf’OGM a déjà rapporté les conditions pour qu’une telle différenciation soit possible, pour peu qu’il y ait une volonté politique [3]. Mais peu lui importe. La Commission propose de transformer ce qu’elle introduit comme des hypothèses de cas particulier, ces « certains cas », en une conviction qui concernera toutes les plantes.

Ce raisonnement n’est pas étonnant. La Commission européenne a de longue date œuvré pour qu’une telle traçabilité ne soit pas concrètement possible. Elle s’est d’abord longtemps opposée à un travail de ses propres experts sur le sujet [4] pour finalement, en 2018, co-écrire une note explicative avec un représentant d’industrie. Cette note précédait de quelques mois la publication d’un rapport des experts européens qu’elle s’était finalement décidée à mandater début 2018. Ce rapport affirmait que les produits issus des nouvelles techniques sont bel et bien détectables, différenciables et traçables pour peu que soient disponibles « une information concernant la séquence du génome modifiée, une méthode de détection validée et du matériel de référence ». Mais dans sa proposition de règlement, la Commission se focalise uniquement sur les modifications revendiquées prises une par une, et ne retient donc du rapport des experts uniquement que « beaucoup de mutations obtenues par les nouvelles techniques de mutagénèse ne peuvent être différenciées de manière non ambigüe de mutations naturelles [ou] obtenues par des techniques de mutagénèse conventionnelles » [5].

La seconde hypothèse concerne les risques associés à l’utilisation de ces plantes. Pour la Commission, « la quantité de preuves scientifiques déjà disponibles, en particulier sur leur sécurité » l’amène à conclure que les requis actuellement imposés par la législation OGM sont « disproportionnés et inadéquats ». Une affirmation étonnante car, comme l’a rapporté l’association Testbiotech fin 2022, le comité d’experts de la Commission européenne, l’Autorité européenne de sécurité des aliments (AESA) « a clairement déclaré que ses experts n’ont pas conduit de recherche dans la littérature scientifique complète pour conduire une analyse raisonnable des changements génétiques non-souhaités car ce n’était pas dans leur mandat », mandat confié par… la Commission européenne [6]. Cela ne gène pourtant pas la Commission de tout simplement proposer, sur base de « preuves scientifiques déjà disponibles », de ne plus conduire d’analyse de risques. Et cette justification devrait s’appliquer à toute technique ultérieurement développée et donc encore inconnue !

Sur base de ces deux considérations discutables, la Commission européenne propose donc que nombre de plantes aujourd’hui définies comme OGM ne le soient plus demain.

La Commission veut changer la définition d’un OGM

Contrairement à ce qui était proposé dans la version provisoire de la proposition qui avait circulée [7], la Commission propose de changer la définition même d’un OGM. Selon l’article 2 point 2 de la directive 2001/18, un OGM est « un organisme, à l’exception des êtres humains, dont le matériel génétique a été modifié d’une manière qui ne s’effectue pas naturellement par multiplication et/ou par recombinaison naturelle » [8]. La même directive précise également dans son Annexe 1B que certaines techniques de modification génétique donnent des OGM exemptés des requis de la législation. Dans un vocabulaire imprécis, cette annexe de la directive 2001/18 liste les deux techniques de modification génétique que sont « 1) la mutagenèse ; 2) la fusion cellulaire […] de cellules végétales d’organismes qui peuvent échanger du matériel génétique par des méthodes de sélection traditionnelles ». Dans sa proposition de règlement, la Commission reprend la formule que la France avait utilisée en 2008 lors de la transposition en droit national de cette directive. Elle propose de définir un OGM comme « un organisme génétiquement modifié tel que définit par l’article 2 point 2 de la Directive 2001/18, en excluant les organismes obtenus par les techniques de modification génétique listées dans l’annexe 1b de la directive 2001/18 ». Changement de régime donc : ces deux techniques ne donneraient plus des OGM exemptés. Elles ne donneraient plus des OGM du tout.

La logique de la Commission est d’assoir légalement sa proposition de statut « NGT » – et non plus OGM – pour une large majorité des plantes obtenues par des techniques de modification génétique. Certes, elle affirme dans une foire aux questions que cette proposition ne concerne que les plantes modifiées par « mutagénèse dirigée et cisgénèse » [9]. Cependant, la définition qu’elle fournit de ces deux expressions et la sémantique choisie vont bien au-delà de leur signification usuelle jusqu’à aujourd’hui. En effet, la « mutagénèse dirigée » serait ainsi l’ensemble « des techniques de mutagénèse résultant en des modifications de séquence d’ADN en des lieux précis du génome d’un organisme ». Une définition qui sera immanquablement lue de manière très large, car la notion même de mutagénèse, telle que redéfinie, recouvre aussi bien des substitutions de bases de l’ADN que des insertions, délétions de bases ou de séquences génétiques. Le paradoxe est que la Commission européenne propose un règlement définissant la « mutagénèse dirigée » comme une technique de modification génétique d’organisme mais qui ne donnerait donc pas d’organismes génétiquement modifiés (OGM) ! Quant à la cisgénèse, cette technique consisterait « en l’insertion, dans le génome d’un organisme, de matériel génétique déjà présent dans la banque de gènes du sélectionneur ». Or, cette banque de gène du sélectionneur est définie par la Commission comme « la totalité des informations génétiques disponible dans une espèce et d’autres espèces taxonomiques avec lesquelles elle peut être croisée, y compris en utilisant des techniques avancées comme le sauvetage d’embryons, l’induction polyploïde et les croisements par pont ». Dès lors, finie la notion que la cisgénèse concerne l’insertion d’ADN provenant de la même espèce sexuellement compatible (en opposition avec la transgénèse qui consiste à insérer de l’ADN issu d’espèces non sexuellement compatibles). Des plantes qui étaient transgéniques hier deviendraient ainsi cisgéniques si le transgène vient d’une variété présente « dans la banque de gènes du sélectionneur ».

La mutagénèse aléatoire : une technique conventionnelle ?

Affirmer que des techniques de modification génétique ne donnent pas des OGM mais des « NGT » aura des implications importantes. Demain, toute technique de modification génétique légalement considérée comme ne donnant pas des OGM constituerait un argument pour les entreprises souhaitant obtenir une déclassification de leurs OGM. La Commission prend en effet pour point de départ que des plantes génétiquement modifiées seront considérées comme indistinguables de plantes pouvant être obtenues naturellement ou par des méthodes d’amélioration conventionnelles. Dans cette notion de « méthodes d’amélioration conventionnelles » se trouve une ruse. La Commission européenne a depuis plusieurs années défendu que la « mutagénèse aléatoire » (sans la définir) serait une technique donnant des OGM exemptés selon la directive 2001/18 annexe 1B car utilisée depuis les années 60 (une interprétation toujours pas évidente à ce jour). La Commission affirme donc que cette « technique » est conventionnelle. Avec la définition proposée, la Commission ambitionne donc de permettre aux entreprises de se référer à cette mutagénèse « conventionnelle » pour arguer de l’indistinguabilité de leur plante OGM par rapport à de telles plantes conventionnelles. Elles pourront alors espérer transformer légalement leur plante OGM en une plante « NGT » exclue de toute règle. Nous verrons plus loin la liste proposée des différentes modifications génétiques donnant des « NGT ».

Mais d’ores et déjà, pour comprendre les implications de cette approche de la Commission, prenons un exemple. Avec un protocole technique complexe, une plante peut être modifiée en isolant puis en multipliant des cellules sur milieu artificiel, en y faisant des trous pour ensuite intégrer dedans des transgènes, la nucléase Crispr/Cas, des oligonucléotides qui vont provoquer de multiples modifications génétiques de nature variées. Les cellules sélectionnées sont ensuite régénérées en des plantes qui vont alors être croisées avec une variété élite en vue d’une commercialisation potentielle. Cette plante modifiée génétiquement de manière très lourde pourra, selon le raisonnement de la Commission européenne, être résumée par les pétitionnaires à ses seules modifications génétiques revendiquées, en négligeant toutes les autres. Ces modifications pourront ensuite être décrétées indifférenciables de ce qui peut être obtenu par une méthode d’amélioration conventionnelle comme la « mutagénèse aléatoire ». Cette plante modifiée de multiples fois de manière attendue et inattendue sera alors classée « NGT » et donc dérèglementée.

La multinationale Corteva a d’ailleurs déjà défendu cette approche dans un dossier déposé aux États-Unis. Concernant un maïs modifié selon un protocole proche de l’exemple fourni plus haut, l’entreprise écrit que les modifications génétiques qu’elle a opérées dans ce maïs « auraient pu être obtenues par des techniques conventionnelles d’amélioration. […] Les mutations aboutissant aux mêmes changements d’acides aminés (dans une protéine) ont été générées dans des gènes homologues d’Arabidopsis par mutagénèse conventionnelle. […] Les génomes de plantes sont intrinsèquement variables et des méthodes d’amélioration conventionnelle ont utilisé aussi bien des variations génétiques spontanées qu’induites pour développer de nouvelles variétés. […] Ces lignées de maïs sont donc indistinguables de plantes de maïs qui auraient pu résulter de la variabilité naturelle du génome ou développées par des programme d’amélioration conventionnelle » [10]. Voilà donc la mutagénèse (aléatoire) définie par une multinationale et la Commission européenne comme une méthode conventionnelle pouvant servir d’étalon pour exonérer les autres plantes ayant eu des modifications décrites comme semblables.

Cette insistance à comparer les modifications génétiques obtenues par des protocoles techniques complexes à ce qui peut apparaitre naturellement comme à ce qui peut être obtenu par des techniques classifiées « conventionnelles » a une explication statistique. En 2016, l’entreprise Limagrain, par la voix de Jean-Christophe Gouache, voulait vanter le caractère disruptif de l’OGM obtenu par son entreprise. Son représentant expliquait lors d’une audition à l’Assemblée Nationale à propos d’un blé modifié génétiquement que « la probabilité d’occurrence naturelle d’obtenir les trois bonnes versions du gène dans la même plante était de 10 puissance -21. Ça veut dire quoi ? Il aurait fallu observer tous les plants de blé cultivés sur la planète pendant quatre millions d’années pour avoir une chance de trouver une seule plante présentant spontanément les trois bonnes versions du gène ». Avec un tel argument pour vendre les nouveaux OGM, il aurait été impossible de défendre leur déclassification au nom d’une potentielle occurrence naturelle. Par contre, dans la tête de la Commission européenne, la comparaison aux techniques d’amélioration conventionnelle rend plaidable (même abusivement) que ce blé ne soit pas distinguable d’un blé avec les mêmes mutations obtenues par mutagenèse conventionnelle par exemple, à l’instar de l’argumentaire présenté par Corteva en 2020 aux États-Unis, comme nous venons de le voir. Outre le caractère abusif de ce raisonnement, une entreprise n’aura, paradoxalement, pas oublié de demander un brevet sur les informations génétiques de la plante, la considérant en termes de propriété industrielle comme une invention, une nouveauté.

Une sémantique au service de la fin de l’encadrement des OGM

Nouvelle définition légale d’un OGM, nouveau vocable. La Commission européenne propose donc de créer les plantes « NGT » pour « nouvelles techniques génomiques ». Contrairement à ce qu’elle affirme dans la Foire aux Questions accompagnant la proposition de règlement sur internet [11], son objectif est clairement de dérèglementer un maximum de plantes aujourd’hui définies légalement comme OGM dans un maximum de situations. À cette fin, la proposition de règlement qu’elle vient de déposer sur la table des États membres et des eurodéputés vise large, plus large que la première version le laissait croire, quitte à se contredire plusieurs fois.

Le premier souhait affiché par la Commission est que le règlement proposé soit défini comme un texte dit Lex specialis. Une réglementation spéciale donc, qui vient préciser une règlementation générale, dite Lex Generalis, qu’est à ce jour la Directive 2001/18. Cette précision est très importante. Comme l’a confirmé la Cour de Justice de l’Union européenne (CJUE) en 2016 par exemple, les textes Lex specialis priment sur les textes généraux quand des normes se recoupent entre les deux textes [12]. Ce règlement s’imposerait donc juridiquement sur la directive 2001/18 sur les dispositions communes.

Le second point important concerne le type d’organismes concernés par cette proposition. D’aucun aurait pu croire la Commission européenne lorsqu’elle affirmait que ce règlement ne concernerait que les plantes et non les micro-organismes, champignons ou animaux. Cela reste en partie vrai mais une petite phrase glissée dans les considérants précise que ce règlement concernera de fait toutes les plantes terrestres mais également les algues marines rouges, vertes ou brunes [13]. Or, un article scientifique publié en début d’année éclaire indirectement les raisons pour lesquelles la Commission met un tel soin à inclure subrepticement les algues marines. Selon cet article, les algues ou micro-algues marines sont une ressource (notamment génétique) en pleine expansion pour les industries de biotechnologie avec des perspectives agro-alimentaires ou pharmaceutiques économiquement alléchantes [14].

Outre le changement proposé de la définition même d’un OGM, la Commission propose à l’Union européenne de se focaliser sur les seules caractéristiques génétiques finales d’un produit pour nommer « NGT » des plantes aujourd’hui légalement OGM. Deux catégories de plantes dites « NGT » seraient alors créées. La seconde est simplement définie comme couvrant les plantes non définies comme « NGT ».

Ainsi, une plante « considérée comme équivalente aux plantes conventionnelles quand elle diffère de la plante parentale/réceptrice d’un maximum de 20 modifications génétiques des types numérotés de 1 à 5 dans n’importe quelle séquence d’ADN présentant une similarité de séquence avec le site ciblé qui peuvent être prédites par des outils de bioinformatique » serait classée comme de catégorie 1. Sinon elle sera de catégorie 2. Les cinq types différents de modification génétique (annexe 1) sont :

« 1) substitution ou insertion d’un maximum de 20 nucléotides,

2) délétion d’un nombre illimité de nucléotides,

3) Sous la condition que la modification génétique n’interrompe pas un gène endogène :

3a) insertion ciblée d’une séquence d’ADN contiguë (sic) [15] existant déjà dans la banque de gènes du sélectionneur,

3b) substitution ciblée d’une séquence d’ADN par une séquence d’ADN contiguë (sic) existant déjà dans la banque de gènes du sélectionneur

4) inversion ciblée d’une séquence de n’importe quel nombre de nucléotides ;

5) toute autre modification ciblée de quelque taille que cela soit à condition que les séquence d’ADN résultantes (possiblement avec des modifications de types 1 et / ou 2) existe déjà dans les espèces contenues dans la banque de gènes du sélectionneur
 ».

Concrètement, les producteurs de telles plantes génétiquement modifiées pourront donc combiner jusqu’à 20 fois tous ces types de modifications. Un maïs modifié pourrait donc contenir 20 insertions ou substitutions de vingt nucléotides, soit 400 substitutions/insertions. Ou il pourrait contenir une insertion de 20 nucléotides (= 1 modification génétique), 10 délétions de nucléotides de quelque taille que ce soit (= 10 modifications génétiques), 4 insertions ciblées de séquence d’ADN « contigües » et 5 modifications de quelque taille que ce soit. Dans les deux cas, le maïs aurait vingt modifications génétiques. On est très loin de ce que la nature peut faire, et encore plus loin d’une incapacité théorique à distinguer un tel maïs d’un autre maïs…

Cette liste témoigne de deux éléments importants. Le premier est qu’elle traduit concrètement l’absence de maîtrise de ces protocoles de modification génétique. Tous ces types de modifications génétiques correspondent en effet à ce qui se passe concrètement dans une cellule soumise à un protocole technique de modification génétique avec l’apparition de modifications intentionnelles et celles non-intentionnelles : insertion de séquences d’ADN non souhaitées (cf. les taureaux de Recombinetics [16]), mutations hors-cible multiples [17], ou encore des insertions/délétions de nucléotides au petit bonheur la chance [18]. Plutôt que de continuer à cacher leur existence, notamment par l’utilisation du vocable « de précision », la Commission européenne a pour stratégie de les lister de manière ouverte pour que ces effets non-intentionnels ne viennent pas provoquer un déclassement de « NGT » en OGM.

Le second élément fondamental est qu’avec la sémantique utilisée dans cette liste, on voit difficilement quelles plantes génétiquement modifiées continueraient à être définies comme OGM. Dès lors qu’un sélectionneur possède une plante transgénique dans sa banque de gènes, il lui serait possible de clamer que transférer ce transgène d’un maïs à un soja est une « modification ciblée de quelque taille que cela soit à condition que les séquence d’ADN résultantes (possiblement avec des modifications de types 1 et/ou 2) existe déjà dans les espèces contenues dans la banque de gènes du sélectionneur ». Même la cisgenèse et l’intragenèse que la Commission prétend vouloir régir dans le cadre d’une catégorie dite « NGT 2 » relèverait en fait facilement de la catégorie 1 puisque pouvant être des « insertion ciblée d’une séquence d’ADN contiguë (sic !) existant déjà dans la banque de gènes du sélectionneur ». Un énoncé qui se rapproche justement de la définition même de la cisgénèse proposée par la Commission.

Finalement, le seul cas de figure qui définirait une plante transgénique comme un OGM serait que le transgène inséré ne provienne pas de la banque de gènes du sélectionneur. Mais toute insertion ultérieure dans une autre espèce en fait un « NGT » de catégorie 1, donc exclu.

Les échappatoires concrétisant la dérèglementation

Pour la catégorie « NGT 1 », la Commission propose qu’aucune évaluation des risques ne soient requises, qu’aucune autorisation de commercialisation ne soit nécessaire et qu’aucun étiquetage à destination des transformateurs, distributeurs ou consommateurs ne soit imposé. Un étiquetage des semences pour les agriculteurs est certes prévu, mais la Commission oublie de doter l’Union européenne d’un outil obligatoire pour permettre des contrôles : une méthode de détection et de distinction de tout autre organisme et la traçabilité. Seule une procédure administrative de vérification du statut « NGT » sera conduite sur base d’un dossier assez léger requis auprès des entreprises. Les autorités nationales d’un État membre, la Commission européenne et l’AESA vérifieront alors que les informations fournies répondent bien aux requis pour établir le caractère « NGT 1 » d’un produit. Une confirmation de ce statut par l’Union européenne vaudra ensuite ad vitam aeternam.

Pour la seconde catégorie « NGT 2 », les plantes concernées nécessiteront une autorisation avant commercialisation dont la durée de validité sera de dix ans, puis renouvelée éventuellement pour une durée illimitée. Les risques sur l’environnement et la santé seront évalués, mais uniquement en cas d’une « hypothèse de risque plausible ». Il est ainsi proposé que, sur base d’un pré-dossier déposé à l’AESA, les entreprises reçoivent un « conseil » quant aux risques plausibles liés à l’utilisation d’une plante « NGT » et, s’il est acté par l’AESA qu’il en existe, les expériences à mener pour les écarter. Enfin, un étiquetage sera exigé avec, cette fois, obligation de fournir une méthode de détection et de traçabilité. Cependant le cahier des charges technique de cette méthode serait défini par la Commission européenne seule, via un règlement d’application à venir. Si ce détail n’est pas encore fourni, une possibilité d’échapper à cette obligation de fournir une méthode de traçabilité est par contre d’ores et déjà prévue au cas par cas, si une entreprise justifie « de la non faisabilité de fournir une méthode analytique pour détecter, identifier et quantifier » les modifications génétiques.

Un tel projet de règlement organise donc l’irresponsabilité des entreprises, qui pourront dire qu’une méthode de détection et identification n’est pas faisable alors même qu’ils disposent tous d’une méthode de détection pour poursuivre d’éventuelles contrefaçons de leurs brevets. Une des conséquences sera de polluer l’espace génétique et donc de ruiner la crédibilité des paysans et des petits et moyens semenciers, au-delà des impacts sanitaires et environnementaux qui ne seront ni évalués, ni suivis après dissémination de ces OGM dans l’environnement.

Des cerises sur un gâteau déjà gros

La Commission européenne propose ni plus ni moins que la mise en œuvre concrète de ce règlement, s’il est adopté, soit de son seul fait. Ainsi, un article prévoit de lui conférer la capacité d’adopter des règlements dits d’application (équivalents des décrets d’application en France). Ces règlements définiraient par exemple les informations requises pour démontrer qu’une plante est « NGT », la méthode et les informations nécessaires à l’évaluation des risques, ou encore les « modalités » pour adapter les requis en termes de méthodes de traçabilité, si d’aventure une entreprise affirmait qu’une telle méthode n’est pas possible…

Surtout, par ce qu’on appelle des actes délégués (d’un ordre juridique inférieur comme les décrets, circulaires, etc. en France), la Commission demande à avoir le pouvoir de modifier seule l’annexe 1 listant les types de modifications génétiques aboutissant au statut légal « NGT 1 ». Ce blanc-seing pour l’avenir est considéré comme une petite mesure nécessaire pour ne pas freiner la compétitivité industrielle, au cas ou la notion de « techniques conventionnelles » s’élargirait plus qu’elle ne l’est aujourd’hui.

La Commission européenne propose donc bel et bien de mettre un terme à l’encadrement règlementaire des OGM en Europe. Seuls quelques rares OGM continueraient d’être règlementés, mais ils devraient être de moins en moins nombreux d’année en année. Des plantes qui sont indubitablement des OGM règlementés deviendraient des OGM cachés. Les implications d’une telle dérèglementation ne s’arrêtent néanmoins pas là. Dans des articles à venir, Inf’OGM décryptera les conséquences qu’elle aura sur l’appropriation généralisée du vivant par le biais des brevets et certificats d’obtention végétales dits « génotypique », ou encore sur le paysage industriel des semenciers.

[2La proposition de règlement adoptée le 5 juillet et ses annexes : https://food.ec.europa.eu/plants/genetically-modified-organisms/new-techniques-biotechnology_en

[11FAQ, Ibid.

[13Considérant 9 établissant que « ce règlement devrait être limité aux OGM que sont les plantes, c’est-à-dire les organismes appartenant aux groupes taxonomiques Archaeplastida ou Phaeophyceae ». Selon Wikipédia, le groupe taxonomique Archaeplastida regroupe « les algues vertes, les plantes terrestres et les algues rouges (en plus de quelques groupes d’importance mineure en ce qui concerne le nombre d’espèces connues) » alors que le groupe taxonomique Phaeophyceae regroupe « les algues brunes ».

[14Barbosa M. et al., « Hypes, hopes, and the way forward for microalgal biotechnology », Trends in Biotechnology, mars 2023, Vol. 41, No. 3.

[15Le dictionnaire Larousse, défini « contigü » comme « qui touche à quelque chose, à un lieu ; qui en est voisin ». En l’occurrence, dans le phrasé de la Commission européenne, « une séquence d’ADN contigüe » ne veut pas dire grand-chose car n’établit pas contigüe de quoi. Surtout, dans le génome, par définition, toute séquence d’ADN est contigüe d’autres séquences d’ADN.

[18Ce point précis sera renseigné dans un article à venir début octobre.

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