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Une consultation publique en cours sur les micro-organismes OGM
L’Autorité européenne de sécurité des aliments (AESA) consulte jusqu’au 8 avril les citoyens européens. Le sujet ? L’évaluation des risques liés à l’utilisation de micro-organismes génétiquement modifiés (MGM). Le travail est d’importance, car il ne s’agit pas des seules utilisations en milieu confiné. Les MGM concernés pourront être des bactéries, levures ou virus génétiquement modifiés et disséminés tels quels dans l’environnement ! A souligner : seuls les anglophones pourront participer, la consultation n’étant disponible qu’en anglais.
Alors que le législateur européen planche sur la déréglementation des plantes modifiées par de nouvelles techniques de modification génétique (les OGM/NTG), la Commission européenne continue de constituer un dossier pour une déréglementation similaire concernant les micro-organismes génétiquement modifiés (MGM) par les mêmes techniques. Suite à une demande de la Commission reçue en août 2022, les experts européens de l’Autorité européenne de sécurité des aliments (AESA) ont déjà produit, en décembre 2023, un « tour d’horizon » des quelques MGM commercialisés à ce jour. Mi-mars 2024, ils ont produit un second document1 faisant le tour de ce qu’ils estiment nécessaire en termes d’évaluation des risques. Ce document est soumis en consultation au publique jusqu’au 8 avril2. Il deviendra un avis formel annoncé pour le 30 juin 20243.
Plus de bactéries dans les océans que d’étoiles dans l’Univers
Une notion préalable est importante, bien que non présente dans le rapport de l’AESA. Le travail que la Commission européenne met actuellement en place en vue d’une éventuelle déréglementation, comme l’a demandé le Parlement européen le 7 février dernier, concerne les micro-organismes. On parle de bactéries, levures ou encore virus. Sur Terre, leur nombre atteint des ordres de grandeur difficilement appréhendables. Par exemple, s’il existe plus de 2 000 espèces connues de levures différentes sur Terre, leur nombre total pourrait atteindre 200 000. Autre nombre : dans une petite cuillère de sol se trouve un milliard (109) de micro-organismes. Pour les seules bactéries, on en trouve 1029 rien que dans les océans, soit plus que d’étoiles dans l’Univers connu. Enfin, le nombre de virus présents sur Terre était estimé en 2011 à environ 1031. Mis bout-à-bout, ces virus s’étaleraient sur 100 millions d’année lumière… Parler de la dissémination dans l’environnement de micro-organismes doit se faire en ayant ces chiffres vertigineux en tête.
Quelles questions posées aux experts ?
Les experts européens ont, dans leur rapport4, tenté d’identifier les « nouveaux dangers et risques que ces nouveaux développements de biotechnologies appliquées aux micro-organismes pourraient poser aux humains, animaux et à l’environnement ». Ils ont ensuite examiné si les lignes directrices actuelles d’évaluation des risques liés aux MGM sont applicables, entièrement ou partiellement, et suffisantes pour ces nouveaux MGM. Le cas échéant, les experts devaient « identifier les aspects de ces lignes directrices actuelles nécessitant une mise à jour, une adaptation ou des compléments ».
Pour leur rapport, les experts se sont intéressés aux produits contenant de l’ADN de MGM (dits de catégorie 3), comme des souches de MGM inactivées à la chaleur ou une biomasse de micro-organismes séchée et utilisée comme source de protéine. Ils ont également examiné les produits contenant des micro-organismes viables (dits de catégorie 4). Dans ce dernier cas, il peut s’agir de souches de MGM pour lancer des fermentations alimentaires ou des « produits microbiens de protection des végétaux », qui seraient donc largués dans la nature.
Pas plus de risques mais…
Les experts européens ont adopté une approche consistant à comparer les MGM obtenus par de nouvelles techniques à ceux obtenus par « mutagénèse conventionnelle ou des techniques génomiques établies ». Pourtant jamais définie scientifiquement ou légalement dans les différents documents, la mutagénèse est qualifiée de conventionnelle par les experts quand elle consiste à utiliser des agents mutagènes physiques ou chimiques appliqués sur des cellules. Les techniques génomiques établies sont elles considérées par les experts européens comme étant les techniques de modification génétique développées « avant l’adoption de la directive 2001/18 ».
Selon eux, « si les techniques diffèrent en efficacité et précision avec laquelle les modifications sont introduites, l’évaluation des risques se concentre sur les possibles dangers liés aux caractéristiques » du MGM obtenu. Se focalisant, comme dans le dossier végétal, sur les seules modifications, ils présupposent par ailleurs que les mêmes mutations pourraient être obtenues par différentes techniques. Ils estiment ainsi que « les dangers potentiels sont liés aux changements phénotypiques et génotypiques introduits dans un micro-organisme, pas à la méthode utilisée pour la modification ». Ainsi, les nouvelles caractéristiques (le phénotype) comme les séquences modifiées (le génotype) devraient être le seul cœur de l’évaluation des risques, qui devrait être commune aux produits ou souches obtenus ou produits à partir de micro-organismes, quelque soit donc la méthode de modification génétique utilisée (cf. encadré).
… les lignes directrices doivent être adaptées
L’AESA estime que plusieurs compléments doivent être apportés aux lignes directrices qui existent actuellement pour évaluer les risques liés aux MGM. En l’état, rappellent-ils, cette évaluation des risques liés aux MGM consiste notamment à évaluer la « probabilité et sévérité d’un impact négatif sur les humains, les animaux ou l’environnement suite à une exposition au MGM ». L’approche visant à comparer, au cas par cas, les caractéristiques des MGM à ceux d’un micro-organisme « généralement non-MGM » est suivie pour identifier de potentiels dangers. Les principaux points évalués passent donc par les caractéristiques des MGM ou des molécules produites par des MGM « en tenant compte notamment des effets intentionnels et non intentionnels des modifications génétiques ». Les risques alimentaires sont évalués via des analyses de toxicologie, nutritionnelles et d’allergénicité, ainsi que les effets potentiels sur la flore microbienne de l’estomac. Concernant les risques environnementaux, les experts européens rappellent juste qu’ils sont évalués, sans plus de détails. Parmi les vingt documents législatifs ou lignes directrice de référence listés par l’AESA, trois concernent spécifiquement les micro-organismes. Il s’agit de lignes directrices adoptées par l’AESA en 2011 et 20185.
Plusieurs lacunes aux lignes directrices actuelles doivent ainsi faire l’objet d’une mise à jour.
Les experts estiment ainsi que la caractérisation des micro-organismes devrait par exemple faire l’objet de lignes directrices pour l’analyse du séquençage complet et de la caractérisation des nouvelles propriétés dans le cas de virus et micro-algues, lignes inexistantes à ce jour. Il en est de même pour certaines levures ayant développé une résistance aux anti-mycoses. Plus original, les experts recommandent que les analyses de toxicologie soient conduites non sur modèle animal mais via des outils d’intelligence artificielle !
Dans le cas de certaines analyses, les lignes directrices sont considérées comme non entièrement applicables, voire insuffisantes. Les experts estiment également qu’en l’état, l’analyse des impacts sur le microbiote de l’estomac est non applicable. Ils soulignent d’ailleurs la difficulté à définir ce que serait un « impact » et la manière de les établir. Les analyses d’allergénicité souffrent du même constat, ne décrivant pas de manière compréhensible une analyse des métabolites ou molécules dérivés de ces MGM.
Enfin, les plus importantes mises à jour concernent la dissémination dans l’environnement, au sens large, de ces MGM.
L’AESA estime ainsi que l’analyse de l’exposition à ces MGM doit être complétée de manière à intégrer toutes les situations lors d’usages agroalimentaires. L’analyse des risques environnementaux doit ainsi être mise à jour pour « couvrir tous les cas d’utilisation agro-alimentaire, tous types de micro-organismes, les voies d’exposition, les environnements où ils se trouvent et couvrir tous les domaines spécifiques de risques ».
Insuffisante également est la surveillance post-commercialisation. Dans le cas de MGM disséminés dans l’environnement, d’aucun peut d’ailleurs se demander comment les « surveiller ». Les experts européens adoptent d’ailleurs une approche très généraliste, demandant simplement que les plans de surveillance soient élargis à tous les types de micro-organismes et utilisations en filière agro-alimentaire. Ils recommandent également que soient décrites des « approches adaptées pour surveiller les effets néfastes potentiels résultant de la dissémination volontaire dans l’environnement ».
Pour les experts européens, différentes mises à jour de l’évaluation des risques liés aux MGM telle que conduite aujourd’hui sont donc nécessaires. Mais, le monde des micro-organismes étant tellement inconnu et leur nombre tel que des interrogations émergent quant à la seule possibilité de pouvoir anticiper les situations d’exposition et les risques, puis les évaluer. Sans parler de pouvoir conduire une surveillance environnementale de bactéries GM disséminées sans contrôle (et même avec, puisque celui-ci sera sûrement incomplet, voire impossible) dans l’environnement…
Ces techniques que les experts recommandent d’ignorer
Sans surprise, la technique la plus utilisée selon eux est celle utilisant Crispr-Cas. Selon l’AESA, ce mécanisme peut introduire des mutations « qui peuvent apparaître aléatoirement dans la nature ». L’utilisation de cette technique serait aujourd’hui routinière pour générer « de larges collections de centaines, milliers, millions voire plus de cellules microbiennes individuelles portant chacune des modifications différentes ». L’AESA explique également que l’outil Crispr-Cas est aussi utilisé pour insérer ou enlever de grands fragments d’ADN, voire combiné avec d’autres techniques.
Les experts européens détaillent aussi l’utilisation de Crispr-Cas pour modifier une autre molécule que l’ADN, les ARN messagers. Pour la production de protéines par une cellules, ces molécules remplissent notamment un rôle intermédiaire entre l’ADN et la protéine produite. Crispr-Cas serait utilisé pour introduire des mutations ou modifier la stabilité de ces molécules, une approche nommée par les experts « interférence par Crispr ».
D’autres enzymes déjà connues dans le débat sur les végétaux peuvent être utilisées : nucléase à doigt de Zinc, Talen. Mais l’outil Crispr-Cas a, selon les experts, fortement remplacé ces enzymes.
Le domaine de la « Biologie de Synthèse » est également cité par les experts européens. Selon leur rapport, il serait possible de « créer de nouvelles informations génétiques, des réseaux biologiques (y compris des génomes complets) et/ou de nouvelles fonctions biologiques ». Cette approche est également mise en œuvre pour constituer ce qu’ils nomment « la minimalisation de génomes ». Le travail consiste alors à « retirer les éléments génétiques non essentiels pour [conserver] le paquet minimal de gènes requis pour les fonctions cellulaires de base (croissance et survie) plus ceux conférant la caractéristique souhaitée ». Quant à savoir qui définit les éléments génétique « essentiels », on ne sait pas…