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Plantes, bactéries, virus et animaux OGM: tous déréglementables ?

Par Eric MEUNIER

Publié le 27/02/2024, modifié le 10/04/2024

    
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Le débat en cours sur la déréglementation des OGM ne concerne pas que les plantes. La Commission européenne a proposé, en avril 2023, de déréglementer partiellement des micro-organismes, champignons ou virus OGM utilisés en médecine. Pour les micro-organismes OGM/NTG destinés à l’agriculture, par exemple comme produits phytosanitaires appliqués dans l’environnement, certaines multinationales et le Parlement européen demandent qu’un projet de déréglementation complète soit envisagé. Les animaux OGM/NTG pourraient suivre.

Lorsque la Commission européenne propose, le 5 juillet 2023, de déréglementer les OGM, elle précise que seules les plantes seraient concernées. Elle propose même d’écrire officiellement que cette déréglementation ne concerne pas des « micro-organismes, des champignons et des animaux pour lesquels les connaissances [sur l’innocuité] disponibles sont plus limitées ». Mais elle ne mentionne pas avoir commencé à préparer le terrain pour une possible future déréglementation de ces micro-organismes, comme lui demandent déjà certaines multinationales. Elle ne rappelle pas plus avoir déjà formulé une déréglementation – partielle – pour certains utilisés en pharmacie.

Détourner l’attention avec les plantes OGM/NTG

Le projet de déréglementation en cours le plus visible est évidemment celui concernant les plantes. Formulé en juillet 2023 par la Commission européenne, la proposition initiale était complète. Fin de l’évaluation des risques, fin des autorisations de commercialisation ou d’essai en champ, fin de l’étiquetage, fin de la traçabilité, fin des mesures nationales permettant d’interdire la culture d’OGM/NTG et fin de la surveillance environnementale, tout est supprimé.

Mais depuis, le Conseil de l’Union européenne n’a pu s’accorder sur une position commune, la faute à de trop nombreux points de divergences entre les États membres. Pour plusieurs d’entre eux, à l’instar de la Pologne, il n’est pas possible de déréglementer des plantes OGM/NTG sur base d’une théorique incapacité à les différencier de plantes conventionnelles si, dans le même temps, elles doivent continuer de faire l’objet de brevets pour raison de nouveauté. Pour d’autres Etats, les consommateurs, transformateurs, distributeurs… doivent continuer à être informés de la nature des produits via un étiquetage. Nombreux sont ceux souhaitant également pouvoir continuer à décider d’interdire des cultures d’OGM/NTG sur leur sol. De son côté, le Parlement européen a finalement voté, le 7 février 2024, une position formulée dans un texte assez complexe et bancal.

Le calendrier imposé aux Etats membres et aux eurodéputés a contribué à focaliser l’attention sur ce projet de déréglementation des plantes OGM/NTG. Mais, dans le même temps, les entreprises ont œuvré à essayer de convaincre la Commission européenne et certains eurodéputés d’initier un travail similaire sur les micro-organismes.

Déréglementer les MGM issus des nouvelles techniques ?

Depuis 2022, certaines entreprises suggèrent, voire demandent, que la déréglementation envisagée pour les plantes OGM/NTG soit également déclinée pour les micro-organismes. Les groupes de pression EuropaBio, l’Association des fabricants et formulateurs de produits enzymatiques (Amfep) ou l’Association européenne des producteurs et livreurs d’ingrédients et leurs mélanges en nutrition animale (Fefana), verraient d’un bon œil que la Commission européenne envisage une déréglementation. EuropaBio, par exemple, écrivait en 2022 qu’elle souhaitait « une approche cohérente inter-secteur » et que « les connaissances sur les micro-organismes [soient] reconnues et prises en considération lorsque des actions politiques pour les plantes obtenues par des NTG sont développées ». D’après les informations obtenues par Inf’OGM, Euroseeds a porté un message similaire en août 2023.

Une telle demande des multinationales a finalement trouvé un écho politique du côté du Parlement européen. Le 7 février 2024, le texte voté par les eurodéputés mentionne subrepticement les micro-organismes1. Il est ainsi demandé que « les connaissances disponibles sur d’autres organismes, tels que les micro-organismes, […] devraient être examinées aux fins de futures initiatives législatives les concernant » (considérant 9). De même, un article adopté en séance plénière établit que « au plus tard en 2024, la Commission présente au Parlement européen, au Conseil, au Comité économique et social européen et au Comité des régions un rapport d’évaluation des spécificités et des besoins des autres secteurs qui ne sont pas couverts par le présent règlement, par exemple celui des micro-organismes, ainsi qu’une proposition d’autres actions stratégiques » (article 30 paragraphe 5 ter).

Il reste maintenant à la Commission européenne de décider si elle souhaite formuler une telle proposition de déréglementation qui concernerait les micro-organismes. En attendant, elle a commencé à mobiliser ses experts sur le sujet. L’Autorité européenne de sécurité des aliments (AESA) a par exemple publié un tour d’horizon des micro-organismes OGM/NTG existants2. C’est un des documents nécessaires à la Commission pour asseoir une proposition législative. De même, les comités d’experts européens sur les questions de détection et traçabilité des OGM ont commencé à se pencher sur le dossier des MGM3.

La déréglementation partielle de micro-organismes transgéniques également envisagée

Les virus, bactéries ou autres champignons génétiquement modifiés par de nouvelles techniques (NTG) pourraient ne pas être les seuls à être déréglementés. Les micro-organismes transgéniques, eux aussi, pourraient l’être ou, pour être plus précis, les séquences génétiques de ces MGM transgéniques. Cette idée fut soulevée lors d’une réunion des États membres à Bruxelles, le 20 septembre 20214. Au cours du Comité permanent sur les plantes, micro-organismes, alimentation humaine et animale, fut discutée la problématique des aliments « pour l’humain et les animaux résultant de la fermentation de micro-organismes GM en milieu confiné ». La discussion portait sur les lots d’aliments pour humains ou animaux contenant des traces d’ADN de MGM non autorisés autrement qu’en milieu confiné. Si de tels lots contaminés doivent être retirés du marché, certains États membres souhaitaient « en discuter ».

En février 2024, interrogée par Inf’OGM, la Commission européenne explicite plus clairement que « la question soulevée est de savoir si les produits obtenus par des procédés de fermentation [avec des MGM dans le cas présent] et contenant des traces d’ADN du MGM sont produits « à partir de » ou « à l’aide de » ». Une question aux enjeux importants, car si demain les lots contenant des traces d’ADN de MGM devaient être déclarés comme produit « à l’aide de » et non plus « à partir de », ils n’auraient plus à être étiquetés et retirés du marché. Les discussions sont toujours en cours, sachant que « la Commission examine actuellement la question et la soumettra au Comité permanent pour un examen plus approfondi ».

Ce questionnement de certains États membres trouve justement en écho une réponse formulée en 2022 par certaines entreprises. Par le biais d’un article publié dans une revue scientifique de la Fédération européenne des sciences et technologies alimentaires5, certaines entreprises6 proposaient justement que la présence d’ADN issu de MGM dans des lots d’additifs alimentaires n’induisent donc plus le retrait de lots contaminés ni leur étiquetage comme issus d’OGM ! Sur le plan politique, la discussion d’une telle déréglementation partielle est donc bien en cours.

Les MGM pharmaceutiques partiellement déréglementés

Concernant les MGM en eux-mêmes, la Commission européenne a proposé, en avril 2023, une déréglementation de certains d’entre eux, dont des virus OGM. Il s’agit d’une proposition de déréglementation partielle dans le domaine des médicaments. Si le texte juridique est obscur pour les non initiés, des cabinets de conseil ont d’ores et déjà produits des analyses informatives.

La proposition faite aux États membres et au Parlement européen est une ébauche de nouvelle directive concernant les médicaments à usage humain7. Cette proposition couvre les médicaments dits produits médicaux de thérapies géniques « contenant des séquences d’acides nucléiques recombinantes ou des microorganismes ou des virus génétiquement modifiés », mais également « contenant des cellules génétiquement modifiées ». Certains cabinets privés de conseils, à l’image du cabinet Covington, estiment qu’avec cette proposition de directive, « la Commission européenne rationalise les règles applicables aux essais cliniques de médicaments consistant en des organismes génétiquement modifiés (« OGM ») ou en contenant »8. Le cabinet Covington analyse que la Commission propose un système centralisé et simple pour les essais cliniques de médicaments OGM. Si, pour une demande d’autorisation commerciale, l’industrie devra fournir une évaluation des risques environnementaux, « en échange, la Commission exemptera les essais cliniques de nombreuses règles portant sur les OGM ».

De son côté, le cabinet de conseil Boyds écrit que la simplification proposée des procédures pour les essais cliniques consiste à ce qu’il « ne [soit] plus nécessaire de présenter des demandes nationales distinctes au titre des directives sur les OGM. Au lieu de cela, une demande unique sous la forme d’une évaluation des risques liés aux OGM serait soumise en même temps que la demande d’essai clinique en utilisant le même portail »9. Selon le même cabinet de conseil, la proposition vise « à rationaliser l’inclusion de l’évaluation des risques liés aux OGM dans les demandes d’essais cliniques harmonisées ». Une sémantique qui signifie souvent de revoir à la baisse les évaluations aujourd’hui requises, comme l’a analysé le cabinet Covington.

Des micro-organismes et virus utilisés comme produits de traitement des plantes

Outre les produits pharmaceutiques produits à partir ou consistant en des OGM, dont les micro-organismes (et les virus), comme nous venons de le voir, les MGM utilisés comme produits de traitement des plantes sont concernés par une autre proposition de règlement. Cette fois, il ne s’agit pas de déréglementation mais d’allonger de cinq années la durée des brevets délivrés sur ces MGM.

Toujours en avril 2023, la Commission a ainsi rendu publique une proposition de règlement 2023/0126 (COD)10. Cette proposition vise à prolonger d’un maximum de cinq années les droits liés à un brevet sur une produit « phytosanitaire » (dit « phytopharmaceutique » dans la proposition). Justifiant sa proposition par le fait que « la période qui s’écoule entre le dépôt d’une demande de brevet pour un nouveau produit phytopharmaceutique et l’autorisation de mise sur le marché dudit produit réduit la protection effective conférée par le brevet à une durée insuffisante pour amortir les investissements effectués dans la recherche », la Commission européenne publie un texte qui mentionne les micro-organismes et virus. Elle écrit ainsi que les produits phytosanitaires sont des substances actives, le terme « substance » renvoyant à des « éléments chimiques et leurs composés tels qu’ils se présentent à l’état naturel ou tels qu’ils sont produits par l’industrie ». Toutes mesures prises pour des substances actives concernera, dans cette proposition, « les substances ou micro-organismes, y compris les virus » !

Dans le sujet qui nous intéresse, cette proposition de règlement confirme, pour qui en doutait, que les micro-organismes génétiquement modifiés (dont des virus) pourraient être considérés et utilisés comme produits de traitement des plantes. Ils seraient donc disséminés dans l’environnement dans le cadre de pratiques agricoles faisant le choix de les utiliser. Quand, le 7 février 2024, les eurodéputés demandent à ce qu’une initiative législative soit lancée en vue de les déréglementer, ils ouvrent la porte à la dissémination dans l’environnement de bactéries, levures et virus génétiquement modifiés pour les modèles agricoles faisant le choix de les utiliser, et pour les autres. Les entreprises auraient d’ores et déjà obtenu que leurs droits de propriété intellectuelle soient prolongés de cinq années maximum… La déréglementation pourrait même annuler toute évaluation des risques sanitaires et environnementaux liés à ces MGM.

Les animaux ne sont pas oubliés dans ce panorama de projets de déréglementation. L’amendement du considérant 9, voté le 7 février 2024 et demandant qu’un travail de déréglementation soit initié pour les micro-organismes, concerne également les animaux. Le texte adopté par le Parlement européen demande en effet que « les connaissances disponibles sur d’autres organismes, tels que les micro-organismes, les champignons et les animaux, devraient être examinées aux fins de futures initiatives législatives les concernant ». Et l’article enjoignant à la Commission européenne de produire « au plus tard en 2024 […] un rapport d’évaluation des spécificités et des besoins des autres secteurs qui ne sont pas couverts par le présent règlement […] ainsi qu’une proposition d’autres actions stratégiques » peut très bien concerner les animaux. En effet, étant de fait « un autre secteur », les animaux GM pourraient bien faire l’objet d’un tel rapport si la Commission devait le décider…

Les calendriers théoriques des procédures législatives en cours


Plantes issues de « NTG »Microorganismes GM en pharmacieMGM dans l’environnementAnimaux GMMGM et brevets
Demande par le PE//7 février 20247 février 2024/
Proposition par la CE5 juillet 2023 (2023/0226(COD))26 avril 2023 (2023/0132(COD))//27 avril 2023 (2023/0126(COD))
Rapport Commission du PE24 janvier 202407 mars 2024 (prévu)//24 janvier 2024
Vote en plénière du PE07 février 202410 avril 2024 (prévu)//26 février 2024 (prévu)
Vote du Conseil de l’UE/////
Démarrage trilogue/////
  1. Parlement européen,  » Végétaux obtenus au moyen de certaines nouvelles techniques génomiques, et les denrées alimentaires et aliments pour animaux qui en sont dérivés –
    Amendements du Parlement européen, adoptés le 7 février 2024, à la proposition de
    règlement du Parlement européen et du Conseil concernant les végétaux obtenus au
    moyen de certaines nouvelles techniques génomiques et les denrées alimentaires et
    aliments pour animaux qui en sont dérivés, et modifiant le règlement (UE) 2017/625
    (COM(2023)0411 – C9-0238/2023 – 2023/0226(COD)) « 
    , 7 février 2024. ↩︎
  2. Eric Meunier,  » Des micro-organismes modifiés par Crispr déjà commercialisés « , Inf’OGM, 30 janvier 2024. ↩︎
  3. Ibid. ↩︎
  4. Commission européenne,  » Standing Committee on Plants, Animals, Food and Feed
    Section Genetically Modified Food and Feed « 
    , 20 septembre 2021. ↩︎
  5. A. Lensch et al., « Recombinant DNA in fermentation products is of no regulatory relevance », Food Control, Volume 141, November 2022. ↩︎
  6. Evonik Operations GmbH, BASF SE, Biosafe – Biological Safety Solutions Ltd, VIB, EuropaBio et DSM Nutritional Products Ltd. ↩︎
  7. Union européenne,  » Proposition de DIRECTIVE DU PARLEMENT EUROPÉEN ET DU CONSEIL instituant un code de l’Union relatif aux médicaments à usage humain et abrogeant la directive 2001/83/CE et la directive 2009/35/CE « , 26 avril 2023.
    Parlement européen,  » Médicaments à usage humain « . ↩︎
  8. Covington,  » EU Pharma Legislation Review Series:  GMO Medicines « , 28 avril 2023. ↩︎
  9. Boyds,  » EU Pharmaceutical Legislation Reform – Impact on clinical trials for innovative GMO medicines « , 14 novembre 2023. ↩︎
  10. Commission européenne,  » Proposition de RÈGLEMENT DU PARLEMENT EUROPÉEN ET DU CONSEIL concernant le certificat complémentaire de protection unitaire pour les produits
    phytopharmaceutiques « 
    , 27 avril 2023.
    Parlement européen,  » Certificat complémentaire de protection unitaire pour les produits phytopharmaceutiques « . ↩︎
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