Interview / débat contradictoire

Une semencière néerlandaise face aux brevets de KWS

Par Denis Meshaka

Publié le 04/04/2024

    
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Inf’OGM a interrogé une semencière néerlandaise qui a développé un maïs « bio » résistant au froid et qui se sent menacée par des brevets de KWS. Elle nous relate l’histoire de son entreprise, Nordic Maize breeding, de son maïs certifié biologique, de sa potentielle contamination future par des OGM/NTG…

Inf’OGM a raconté comment deux semenciers se retrouvent aujourd’hui sous la menace d’éventuelles poursuites. Suite à cet article, nous avons interviewé l’un de ces deux semenciers, Grietje Raaphorst-Travaille, co-fondatrice, avec son mari, de Nordic Maize breeding (NMb). A l’origine biochimiste, puis professeure de chimie, elle a d’abord travaillé en laboratoire et ensuite dans le domaine de la sélection végétale à partir de 1990. Avec son mari, ils ont travaillé pour VanderHave, un semencier néerlandais qu’ils ont quitté en 1997, peu après son rachat par le britannique Zeneca. Ils ont officiellement fondé NMb en 2002.

Inf’OGMComment fonctionne Nordic Maize breeding ?

Grietje Raaphorst-Travaille – Nous travaillons en agriculture biologique certifiée. Nous n’avons pas de ferme à proprement parler et ne possédons même pas nos propres champs. Nous coopérons avec des agriculteurs. Ils sèment les maïs et nous gérons la production de semences. Mais nos variétés sont protégées par des droits d’obtenteur [NDLR : un Certificat d’Obtention Végétale (COV) portant sur une variété est un droit d’obtenteur]. En plus du maïs, nous développons également des pois d’hiver, qui se marient très bien avec le maïs récolté tôt. Si vous récoltez votre maïs à temps, vous aurez tout le temps de planter vos pois d’hiver. Ces cultures protègent également le sol en hiver et permettent aux agriculteurs de produire eux-mêmes davantage de protéines et de nourrir leurs animaux de manière plus diversifiée. Ce n’est pas si courant aux Pays-Bas. Les agriculteurs s’en tiennent généralement à une seule culture annuelle et visent les rendements les plus élevés possibles.

Qu’est-ce qui a motivé la création de Nordic Maize breeding ?

Ayant déménagé dans le nord des Pays-Bas, nous avons constaté que le maïs était récolté en novembre et décembre, ce qui est désastreux pour le sol car, à cette époque de l’année, le sol est beaucoup trop humide pour la récolte. Nous avons donc pensé que nous pourrions développer une culture de maïs qui pourrait être récoltée plus tôt. C’était l’objectif principal de notre programme régional de sélection. Nous avons donc commencé à sélectionner du maïs dont la précocité était la principale caractéristique. Pour ce faire, nous avons rassemblé des ressources génétiques provenant de différents endroits et établi des collaborations avec d’autres sélectionneurs. Les semences proviennent également de banques de semences et d’échanges. En accélérant nos sélections, nous avons pu obtenir notre première variété de maïs résistant au froid pour l’agriculture biologique en 2008, en seulement 6 à 7 ans. Nous n’avons pas besoin des modifications génétiques in vitro, qui ne se développent pas vraiment plus vite. Cela dépend aussi des traits que vous sélectionnez bien sûr. Nous avons simplement besoin de plus de bons sélectionneurs pour développer rapidement certains traits.

Était-ce la première fois que du maïs résistant au froid était développé aux Pays-Bas ? A-t-il été mis à la disposition des semenciers qui auraient pu l’analyser pour identifier les caractères de résistance au froid ?

Le maïs résistant au froid est une caractéristique commune du maïs et a été décrit dans la littérature il y a longtemps. Il est très utile dans le nord des Pays-Bas en raison de la brièveté de la saison de croissance. Nous ne sommes certainement pas les seuls à sélectionner la résistance au froid.

Comment avez-vous été informé du problème des brevets de KWS ?

No Patents on Seeds, une coalition européenne qui s’oppose aux brevets sur les semences, cherchait des contacts d’obtenteurs de maïs. Ils m’ont contacté en octobre 2022 et m’ont informé que la société allemande KWS détiendrait quatre brevets : un sur la digestibilité du maïs, et un sur un locus génétique que KWS dit être celui de la résistance au froid. KWS affirme avoir travaillé sur leurs lignées consanguines, dont 86% contiendraient ce « gène » de résistance au froid [NDLR : les lignées consanguines sont utilisées pour créer des lignées hybrides afin de profiter des effets de l’hétérosis, c’est-à-dire de l’augmentation de la capacité et/ou de la vigueur d’un hybride par rapport à ses parents.] Les troisième et quatrième brevets portent sur le criblage de la séquence génétique des gènes brevetés.

Vous avez dit que, selon vous, plusieurs caractéristiques doivent être exprimées par la plante pour qu’elle résiste au froid ?

La résistance au froid n’est pas due à l’expression d’un seul gène. Il en va de même pour l’autre caractéristique brevetée par KWS, la digestibilité. Je trouve très étrange que l’on puisse breveter un seul caractère d’un plant de maïs. C’est beaucoup plus complexe, c’est la combinaison de plusieurs éléments qui rend un maïs résistant au froid ou plus digeste. [NDLR : théoriquement, un brevet peut bien se limiter à ne revendiquer qu’un seul gène comme responsable de la résistance au froid à condition qu’il soit démontré que c’est la caractéristique essentielle pour conférer ce trait de résistance à la plante.]

Vos pois d’hiver ont-ils une résistance particulière ? Avez-vous d’autres cultures qui pourraient être menacées par des brevets ?

Les pois d’hiver ont des caractéristiques particulières, mais cette culture n’est pas économiquement comparable au maïs, et je ne pense pas que nous soyons inquiétés à ce sujet.

Que ferez-vous si KWS prend des mesures ? Allez-vous laisser votre maïs sur le marché ? Allez-vous attendre la fin de la procédure d’opposition en Europe ? [NDLR : l’Office Européen des Brevets permet à tout personne de s’opposer de manière argumentée à la délivrance d’un brevet.]

Mon objectif est bien sûr de laisser le maïs sur le marché. Je ne sais pas ce que nous ferons si nous recevons une lettre de KWS. Je ne peux pas imaginer ce que nous ferons. Nous ne savons pas si nous irons au tribunal. Je pense qu’il est vraiment étrange que nous devions nous pencher sur ces questions.

Est-ce la première fois que vous avez un problème avec les brevets ?

Je ne dirais pas qu’il y a encore un problème. Mais oui, c’est la première fois que nous entendons parler d’un brevet sur le maïs. Mais avec la proposition de déréglementation des NTG, il y aura beaucoup plus de brevets. Je n’ai vraiment aucune idée de ce qui pourrait arriver. C’est vraiment un problème parce que nous ne pouvons pas tester les semences que nous vendons aux agriculteurs pour voir si elles sont libres de droits de brevets ou non, ou même si elles sont exemptes de nouveaux OGM [NTG] [NDLR : cela serait possible – indépendamment des coûts néanmoins – si les entreprises devaient fournir une méthode de détection, d’identification et de traçabilité]. Nous les testons pour savoir si elles contiennent d’anciens OGM transgéniques. Il s’agit d’une exigence du secteur biologique, du moins en Allemagne. Les analyses doivent être envoyées avec les semences. Mais avec les nouveaux OGM, nous ne pouvons pas faire cela et nous pouvons nous attendre à ce que les nouveaux OGM soient brevetés. Les sélectionneurs et les agriculteurs courent ainsi un risque énorme, qu’ils ne pourront pas réduire. Il existe également un risque majeur pour nos entrepreneurs qui plantent le maïs pour les agriculteurs. Ils mélangent différentes variétés de maïs dans leurs machines. Nos champs de production de maïs peuvent également être contaminés pendant la phase entre la récolte et l’ensachage, mais le risque le plus important se situe dans les champs des agriculteurs [NDLR : ces derniers seraient contaminés par les machines qui apporteraient des résidus d’OGM.].

Voulez-vous dire que vous pourriez être victime d’une contamination parce qu’une machine qui vient travailler dans vos champs contient des résidus de semences qui ne sont pas les vôtres ?

Oui, bien sûr. Nous utilisons parfois les machines de nos entrepreneurs agricoles pour semer nos semences et nous demandons régulièrement aux utilisateurs de ces machines de garantir qu’elles ont été nettoyées. Mais, au moment des semailles, les entrepreneurs et les agriculteurs sont tellement occupés qu’ils ne prennent pas le temps de nettoyer les machines. Chaque fois que j’utilise la machine d’un entrepreneur, je peux facilement trouver une poignée de semences traitées et non biologiques. Elles sont rouges, donc faciles à repérer. La même chose se produira avec les OGM, mais en pire, car je ne pourrai pas les reconnaître. Le plus grand risque n’est cependant pas dans le champ sur lequel je travaille, car je contrôle bien sûr nos productions de semences. Notre risque non contrôlable est celui des agriculteurs qui achètent mes variétés de semences, lorsqu’ils font appel à des entrepreneurs. Ces derniers ne nettoient pas leurs machines et mettent mes variétés sur ce qui reste dans leurs machines.

Connaissez-vous d’autres histoires comme la vôtre qui ont affecté d’autres producteurs de semences ou agriculteurs ?

De nombreux brevets existent sur d’autres plantes telles que les poivrons, les choux-fleurs, les laitues et les tomates […]. Une autre entreprise néerlandaise (De Bolster) s’occupe également de sélection et fait face à des problématiques de brevets.

Les NTG sont brevetables, donc dire que les brevets sur les NTG seront interdits n’a aucun sens[NDLR : voir notre article expliquant la portée des brevets de procédés – Denis Meshaka, « L’exclusion de la brevetabilité des seuls OGM/NTG serait un leurre », 29 février 2024.]. Les multinationales ne l’acceptent pas. En fait, elles veulent obtenir des brevets et disent qu’elles accorderont des licences gratuites. C’est ce que fait Bayer sur son site web, par exemple.

La semaine dernière, j’ai assisté à un séminaire en ligne sur les questions de propriété intellectuelle organisé par un groupe d’universitaires européens. J’ai demandé comment je pouvais garder mes semences libres. La discussion était totalement déconnectée de ce qui se passe dans la pratique. Il n’était question que de mesures à prendre à l’avenir, il y avait un manque total d’urgence et ils ne réalisaient pas qu’il y a déjà de très nombreux brevets ! La stratégie de Bayer et d’autres grandes entreprises de semences est de déréglementer les NTG et d’offrir des licences gratuites. Je pense que soit vous avez les droits, soit vous ne les avez pas et alors vous payez pour cela. Je ne veux pas d’une licence de brevet gratuite. Même si je ne dois pas payer, je n’aurai jamais la liberté totale de choisir, je resterai dépendante et ce n’est ni acceptable ni souhaitable. Dans une situation de dépendance, en tant que sélectionneur de maïs, nous n’aurions jamais développé un maïs aussi précoce que celui que nous avons développé. La véritable innovation requiert de la créativité et celle-ci ne peut naître que dans la liberté. Car nous sommes toujours les seuls à avoir pu développer un maïs qui arrive à maturité en 18 semaines.

Pourriez-vous expliquer pourquoi vous seriez encore tributaire d’une licence de brevet gratuite ?

Une licence établit une relation de dépendance avec les brevets des multinationales, qui décideront ensuite de la manière dont la sélection sera effectuée. C’est ainsi que cela fonctionne. Ces multinationales sélectionnent en fonction d’une stratégie de marketing et disent au secteur agricole quels types de variétés sont nécessaires. Elles ne demandent pas au secteur ce dont il a besoin. Avec notre maïs, nous avions un problème de sélection très simple : le maïs se récolte trop tard, il faut donc sélectionner un maïs qui se récolte plus tôt. Cela n’aurait jamais été un objectif de sélection pour une multinationale.

Craignez-vous qu’une multinationale, qui vous a accordé une licence gratuite, ne soit pas d’accord avec vous pour une raison ou une autre et vous retire vos droits ?

Exactement, vous êtes dans une situation de dépendance, vous êtes lié par des obligations contractuelles. Nous sommes en train de perdre notre indépendance en matière de production alimentaire aux Pays-Bas, ce qui est une très mauvaise chose. Nous avons rencontré le ministre de l’Agriculture il y a quelques mois pour l’informer de la situation relative des brevets, mais il reste très favorable aux NTG et à leur déréglementation. La Commission européenne réalisera bien une étude sur les brevets l’année prochaine, mais ce sera trop tard car de nombreux brevets auront déjà été accordés. Et des milliers de brevets ont déjà été déposés pour les NTG. Il faut également souligner que les multinationales sont à l’origine de nombreux problèmes en ce qui concerne les pesticides. L’agriculture doit changer si l’on veut que tout le monde mange à sa faim. Les Néerlandais en sont de plus en plus conscients et nous soutiennent, ce qui est une bonne chose. La véritable transition doit venir de la base, et non du sommet.

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