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Les experts européens et français consultés trop tard sur les OGM/NTG ?

Par Eric MEUNIER

Publié le 21/03/2024

    
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Alors que l’Union européenne discute depuis juillet 2023 la déréglementation des OGM, les experts scientifiques européens et français ont été et sont toujours ignorés. En France, si l’avis de l’Anses a été requis dès 2021, sa publication eut lieu près d’un mois après le vote des eurodéputés. Ces derniers ont, eux, décidé de consulter leurs experts après avoir voté plutôt qu’avant. Mais, pour rendre un avis en juillet 2024, l’AESA fera une entorse à la procédure : elle n’organisera pas de consultation publique…

Le 7 février 2024, suite au vote du Parlement européen de sa propre version d’un texte réglementaire sur les OGM obtenus par de nouvelles techniques (OGM/NTG), l’eurodéputé Jessica Polfjärd saluait « un jour historique alors que le Parlement européen vient de voter en faveur de la Science, de la sécurité alimentaire et en soutien aux agriculteurs européens ». Avec cette déclaration, l’eurodéputée taisait sciemment que les experts européens et français avaient, au contraire, vu leurs avis scientifique ignorés, voire non sollicités.

La Commission refuse de consulter ses propres experts européens…

Pour produire sa proposition de déréglementation des OGM, en juillet 2023, la Commission indique s’être basée sur plusieurs avis de l’AESA1, qui recommandaient une évaluation des risques. Malgré ces avis, la Commission optera pour qu’aucune évaluation des risques ne soit requise avant mise sur le marché de la plupart des OGM/NTG (ceux qui seraient classés « catégorie 1 »). Surtout, pour déclarer une plante NTG (et non plus OGM), elle a proposé une liste de cinq critères qu’elle n’a préalablement pas soumis à l’AESA pour connaître leur pertinence ou vraisemblance scientifique. Comme nous l’avait confirmé l’AESA, « les critères spécifiquement proposés par la Commission européenne pour la catégorie 1 de NTG ont été développés par la Commission européenne elle-même ». Interrogée le 12 janvier 2024 par l’eurodéputé Christophe Clergeau, la Commission a confirmé, le 7 mars dernier, qu’elle n’avait aucunement l’intention de consulter l’AESA sur la pertinence de ses critères. Elle affirme ainsi avoir « élaboré les critères en se fondant sur une analyse de la littérature scientifique traitant des modifications du génome végétal obtenues par des techniques d’obtention conventionnelles », ajoutant que les avis produits par l’AESA « militent en faveur de ces critères »2.

Plutôt qu’interroger directement ses experts sur la pertinence scientifique des critères qu’elle propose, la Commission européenne préfère se contenter de considérer que des avis fournis « militent » pour ces critères. Elle va plus loin en laissant entendre que les experts français les appuieraient également. Elle précise ainsi que « les agences nationales, dont l’ANSES, ont collaboré avec l’AESA dans le cadre de ces travaux préparatoires, notamment par l’intermédiaire du réseau OGM de l’AESA et des consultations publiques sur les avis scientifiques pertinents de l’AESA ». Cette interprétation par la Commission est pourtant bien loin des deux opinions que les experts français ont produits en décembre 2023 et mars 2024.

contrairement au Parlement européen qui les consulte mais après coup !

Si la Commission refuse donc explicitement d‘interroger ses experts, le Parlement européen s’en est chargé le 22 février 2024 via un mandat à l’AESA. Mais ce mandat ne porte pas sur les critères en eux-mêmes mais sur l’opinion que les experts français de l’Anses ont publié en décembre 2023.

L’approche est pour le moins étonnante. Depuis le 5 juillet 2023, le Parlement européen et le Comité Environnement ont sur leur table la proposition de déréglementation formulée par la Commission européenne avec ces fameux critères scientifiques de classification. Jusqu’au 1er février, il ne fut pas envisagé de mandater l’AESA pour savoir ce qu’elle pensait de ces critères. Ce 1er février, une semaine après l’adoption du rapport du Comité environnement et une semaine avant le vote du Parlement européen en séance plénière, le Président du Comité Environnement, Pascal Canfin, écrit à la Présidence du Parlement. Au nom du Comité environnement, il lui demande de mandater l’AESA, non pas sur les critères de la Commission ou sur les critères que le Comité qu’il préside a modifié le 24 janvier, mais sur l’opinion des experts français de l’Anses, connue depuis le 21 décembre 2023.

Finalement, le mandat du Parlement européen sera adressé à l’AESA le 22 février, signé de la main de Roberta Metsola, Présidente du Parlement. Inf’OGM a interrogé la Présidence du Parlement pour connaître les raisons l’ayant poussée à ne pas mandater l’AESA avant de voter, à ne pas mandater l’AESA sur les critères en eux-mêmes et à ne pas mandater l’AESA sur les critères tel que le Parlement les modifia le 7 février. Pour seule réponse, le service presse de la Présidence nous a précisé que l’opinion de l’AESA avait été demandée pour juillet 2024, « compte tenu du calendrier politique et du fait que le Conseil n’a pas encore établi sa position ». Aucune réponse ne fut obtenue des coordinateurs de quelque groupe politique au sein du Comité environnement comme du bureau de P. Canfin, Président de ce Comité.

Les experts européens rendront leur avis en juillet 2024

Du côté des experts, un porte-parole de l’AESA nous a « confirmé avoir reçu un mandat du Parlement européen pour produire une opinion scientifique sur l’analyse de l’Anses des critères proposés par la Commission européenne ». Le 18 mars 2024, l’AESA a d’ailleurs formellement accepté le mandat reçu et répondu en ce sens à la Présidence du Parlement européen3. Dans cette réponse, l’AESA rappelle avoir déjà adopté les principes d’équivalence proposés par la Commission européenne entre certaines plantes OGM/NTG et des plantes conventionnelles. Son travail va donc se pencher sur l’opinion que les experts français ont eu de ces principes ainsi que sur leur opinion concernent les critères en eux-mêmes. Par contre, l’AESA annonce déjà que sa procédure de travail connaîtra une originalité. En effet, le Parlement ayant demandé une réponse en juillet 2024, « il n’y a pas assez de temps pour conduire une consultation publique sur l’opinion du groupe de travail OGM de l’AESA », comme la procédure habituelle le requière. Cette consultation publique n’aura donc pas lieu.

L’AESA s’attelle donc à « produire son opinion dans des délais demandés, juillet 2024 » en consultant l’Anses si besoin. Le second avis de l’Anses, publié début mars 2024, sera également « pris en compte avec attention dans le cadre de la forte coopération que nous avons sur nos travaux scientifiques respectifs ». Dans sa réponse à Inf’OGM, le porte-parole de l’AESA précise également que l’AESA « continue de discuter du sujet des NTGs avec l’Anses et les partenaires des autres États membres au sein du réseau OGM ». Une manière d’expliquer que tous les états membres, via leur comité d’experts nationaux, sont au courant des réflexions et considérations portées sur les aspects scientifiques de la proposition de déréglementation.

Les experts français, à contre-courant du gouvernement

Quand les experts français de l’Anses publièrent leur opinion sur les critères proposés par la Commission européenne, l’affaire fit grand bruit. En effet, leur opinion était le fruit d’une auto-saisine et elle était assez tranchante, considérant que ces critères n’avaient pas de fondement scientifique. Mais cette publication, connue des eurodéputés, n’a pas conduit ces derniers à auditionner l’Anses dans le cadre de leurs travaux. Le Parlement européen – et, avant lui, son comité environnement présidé par Pascal Canfin – n’ont donc pas entendu les experts français sur l’absence de solidité scientifique de leurs considérations.

En mars 2024, les mêmes experts ont publié leur opinion sur la proposition dans son ensemble, cette fois sur une demande du gouvernement français qui remontait à 20214. Le rapport, mis en ligne le 6 mars 2024, a été signé du Directeur général de l’Anses le 22 janvier 2024. Le comité d’experts spécialisés « Évaluation des risques biologiques dans les aliments » (BIORISK), en charge de l’ensemble des travaux d’expertise conduits, a adopté ses conclusions le 11 décembre 2023. Si Marc Fesneau affirmait, le 18 février 2024, qu’il n’avait pas ce rapport sur sa table, il précisait surtout que « le rapport de l’Anses est une auto-saisine pour regarder les conséquences des nouvelles techniques génomiques notamment en termes d’autorisation de mise sur le marché »5. Il se trouve que le rapport publié en mars 2024 sur lequel le ministre était interrogé était pourtant bien le fruit d’un mandat adressé à l’Anses par le ministère de l’Agriculture, via la Direction Générale de l’Alimentation, et le ministère de la Transition écologique, via la Direction générale de la prévention des risques, le 28 janvier 2021.

Alors que le gouvernement français a déjà défendu, au sein du Conseil des ministres, une position favorable au principe de déréglementation, aux réserves de la problématique des brevets près, que pensent les experts français de l’absence d’évaluation des risques, d’étiquetage et de traçabilité proposée ?

Dans le résumé de leur rapport – rapport sur lequel Inf’OGM reviendra dans un prochain article – les experts préconisent que les plantes OGM/NTG fassent l’objet d’un évaluation « au cas par cas prenant à la fois en compte la précision de la technique utilisée et les caractéristiques de la plante obtenue une fois le génome modifié, en tenant également compte de l’ensemble des potentielles conséquences toxicologiques, nutritionnelles, agronomiques et environnementales des nouvelles caractéristiques ». Ils proposent un arbre de décision qui permettrait « de proposer, selon les cas, le maintien du cadre d’évaluation actuel ou bien une évaluation simplifiée ou adaptée », cette dernière étant à décider selon les caractéristiques moléculaires, chimiques, nutritionnelles, agronomiques… de la plante. Le principe d’une évaluation des risques n’est donc pas abandonné par l’ANSES.

A cette évaluation des risques à décider au cas par cas, l’Anses recommande chaudement qu’une surveillance post-commercialisation soit mise en place « pour surveiller l’apparition d’effets sanitaires et environnementaux, mais aussi pour observer l’évolution des pratiques culturales associées à ces plantes ».

Outre les aspects sanitaires et environnementaux, les experts de l’Anses soulignent à leur tour les enjeux d’information du consommateur, de propriété intellectuelle et de concentration du secteur qui peuvent émerger. Finalement, Brice Laurent, directeur Sciences sociales, économie et société à l’Anses, ajoute que « modifier la réglementation pour tenir compte des NTG engage des choix de société car différents impacts économiques et sociétaux sont aussi dans la balance. Ce travail d’expertise de l’Anses permet d’identifier toutes les questions qu’il faut se poser afin de garantir une mise en débat la plus ouverte et éclairée possible ».

Depuis 2022, aussi bien les experts européens que français ont donc produit des opinions requérant toujours une évaluation des risques liés aux OGM/NTG dont le contenu pourrait varier au cas par cas. Selon eux, une évaluation des risques est nécessaire, qu’elle soit similaire ou allégée par rapport aux requis de l’évaluation actuelle. C’est bien loin de la proposition de la Commission européenne, de la position défendue par plusieurs États membres ou du vote du Parlement européen du 7 février 2024...

  1. EFSA Panel on Genetically Modified Organisms (GMO), « Scientific opinion addressing the safety assessment of plants developed using Zinc Finger Nuclease 3 and other Site-Directed Nucleases with similar function », EFSA journal, octobre 2012.
    EFSA Panel on Genetically Modified Organisms (EFSA GMO Panel), « Applicability of the EFSA Opinion on SDNs type 3 for the safety assessment of plants developed using SDNs type 1 and 2 and oligonucleotide-directed mutagenesis », EFSA journal, novembre 2020.
    EFSA Panel on Genetically Modified Organisms, « Scientific opinion addressing the safety assessment of plants developed through cisgenesis and intragenesis », EFSA journal, 16 février 2012.
    EFSA Panel on Genetically Modified Organisms (GMO), « Updated scientific opinion on plants developed through cisgenesis and intragenesis », EFSA journal, octobre 2022.
    EFSA Panel on Genetically Modified Organisms (GMO), « Statement on criteria for risk assessment of plants produced by targeted mutagenesis, cisgenesis and intragenesis », EFSA journal, octobre 2022. ↩︎
  2. Parlement européen, Question parlementaire – E-000100/2024(ASW), Réponse donnée par Mme Kyriakides au nom de la Commission européenne, 7 mars 2024. ↩︎
  3. Question à l’AESA référence EFSA-Q-2024-00178. ↩︎
  4. Anses, « Nouvelles techniques génomiques : l’Anses appelle à une réglementation adaptée », 6 mars 2024. ↩︎
  5. Carinne Bécard, « Questions politiques » avec Marc Fesneau, France Inter, 18 février 2024. ↩︎
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