n°177 - octobre/décembre 2024

Quelle évaluation des risques liés aux solutions biotechnologiques ?

Par Eric MEUNIER

Publié le 01/10/2024, modifié le 25/11/2024

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Comment sont évalués les risques pris lorsque des bactéries ou des virus génétiquement modifiés sont disséminés dans l’environnement pour « lutter » contre tel ou tel parasite des plantes ? Comment sont évalués les risques pris quand il s’agit de molécules biologiques comme des ARN utilisés pour interférer avec le fonctionnement normal d’un organisme ? L’Union européenne applique deux approches différentes selon la nature des produits destinés à être commercialisés. Avant, peut-être, de se débarrasser de toute évaluation des risques dans les années à venir.

Les micro-organismes, comme les virus, peuvent être génétiquement modifiés pour lutter contre des parasites. On trouve ainsi un virus modifié génétiquement pour infecter des citronniers et en modifier l’apparence afin qu’ils attirent un insecte parasite de cette plante, la psylle asiatique des agrumes. Ces citronniers infectés par le virus GM joueraient le rôle de piège à insecte et faciliteraient leur « retrait […] à l’aide d’insecticides ou d’autres moyens »i. Des virus peuvent être modifiés génétiquement afin d’exprimer une protéine d’épinard aux propriétés antimicrobiennes. Certains seraient insecticides en produisant des neurotoxines ou d’autres toxines létales, alors que d’autres pourraient servir à infecter des bactéries pathogènes pour les plantes.

Une évaluation des risques à améliorer

De tels virus appartiennent donc au monde des micro-organismes génétiquement modifiés (MGM). L’évaluation des risques associés à l’utilisation et dissémination dans l’environnementii de ces MGM a fait l’objet, au printemps 2024, d’une réflexion de l’AESA. Si l’avis final est encore attendu, ses grandes lignes sont connuesiii.

A l’heure actuelle, l’évaluation des risques liés aux MGM consiste à déterminer la « probabilité et [la] sévérité d’un impact négatif sur les humains, les animaux ou l’environnement suite à une exposition au MGM ». Étudiés au cas par cas par comparaison avec les micro-organismes non génétiquement modifiés, les MGM sont ainsi décrits par leurs caractéristiques ou celles des molécules qu’ils produisent. Sont ainsi étudiés en laboratoire les risques toxicologiques, nutritionnels, d’allergénicité, environnementaux, ou encore les effets potentiels sur la flore microbienne de l’estomac.

Mais pour les experts européens, l’évaluation de ces risques devrait, en cas de dissémination volontaire dans l’environnement, être améliorée (ce qui n’est pas le cas de l’utilisation de MGM en milieu confiné). Ils pourraient ainsi préconiser une analyse du séquençage complet et une caractérisation des nouvelles propriétés dans le cas de virus et micro-algues. Dans le cas de certaines analyses, les lignes directrices sont considérées comme non entièrement applicables, voire insuffisantes. L’AESA estime ainsi qu’en l’état, l’analyse des impacts sur le microbiote de l’estomac est non applicable. La raison s’avère assez basique puisqu’ils détaillent que « les lignes directrices existantes ne spécifient pas ce qui est considéré comme un impact sur le microbiote, de même qu’elles ne fournissent pas de recommandation pour le déterminer. Des points clefs de validation et des lignes directrices de tests standards sont toujours manquants ». Les analyses d’allergénicité font l’objet d’un constat similaire par les experts, qui estiment qu’elles ne décrivent pas de manière compréhensible une analyse des métabolites ou molécules dérivés de ces MGM.

En vue d’une dissémination dans l’environnement de MGM, l’évaluation des risques environnementaux devrait, en toute logique, être la plus commentée. Mais les experts fournissent peu de détails sur le contenu même d’analyses en ce domaine. Ils estiment assez succinctement que l’analyse de l’exposition à ces MGM doit intégrer l’ensemble des situations d’exposition potentielle, estimant qu’il est nécessaire de « couvrir tous les cas d’utilisation agro-alimentaire, tous types de micro-organismes, les voies d’exposition, les environnements où ils se trouvent et couvrir tous les domaines spécifiques de risques ». Ce manque de précision se retrouve dans leur avis sur la surveillance à conduire une fois les MGM effectivement disséminés. Les experts recommandent en effet dans leur document provisoire que soient décrites des « approches adaptées pour surveiller les effets néfastes potentiels résultant de la dissémination volontaire dans l’environnement ».

Le cas particulier des ARN interférents

En mai 2023iv, la Commission européenne expliquait publiquement considérer que les ARN interférents (ARNi) utilisés comme agent de biocontrôlev sont des produits phytopharmaceutiques (et donc pas des OGM). Elle détaillait que pour « obtenir l’approbation d’une substance active à ARN interférent, les demandeurs devraient introduire une demande auprès d’un État membre et fournir les données nécessaires, telles que requises pour toute substance chimiquement active, avant une évaluation scientifique des risques par un État membre rapporteur et un examen par les pairs mené par les autres États membres sous la houlette de l’AESA ». Les produits à base d’ARNi sont donc soumis au règlement européen n° 1107/2009vi. Ce règlement établit que l’évaluation des risques et l’éventuelle autorisation de commercialisation sont traitées au niveau des États membres.

Que prévoit ce règlement en termes d’évaluation des risques ? L’article 4 détaille que, pour être approuvées commercialement, les substances phytopharmaceutiques ne doivent être ni « mutagènes », ni « cancérogènes ». Le critère « perturbateur endocrinien » n’a par contre pas été retenu de l’exclusion d’une approbation. D’un point de vue environnemental, la substance ne doit pas être un « polluant organique persistant ». D’une manière générale, outre que la substance doit se montrer « suffisamment efficace », elle ne doit pas avoir d’effet immédiat ou différé sur la santé humaine ou animale. Elle ne doit avoir « aucun effet inacceptable sur les végétaux ou les produits végétaux » de même que sur l’environnement. Dans ce dernier cas, les entreprises doivent renseigner le devenir de la substance après dissémination, « son effet sur les espèces non visées, notamment sur le comportement persistant de ces espèces » et « sur la biodiversité et l’écosystème ».

Ces questions quant aux risques à évaluer sont répondues par les entreprises au moyen de dossiers contenant les résultats d’essais ou d’études. Le détail des données à fournir a été adopté en 2013 par le biais des règlements 283/2013 et 284/2013. Ces règlements imposent de renseigner la nature de la substance phytosanitaire, ses caractéristiques physiques et chimiques, des études de toxicologie, de persistance dans l’environnement, d’écotoxicologie, ainsi qu’une bibliographie scientifique.

Cette évaluation des risques fut présentée comme insuffisante par Pollinis, en décembre 2023. Dans son rapport, l’association détaille également qu’il « n’existe toutefois aucun consensus scientifique sur les critères d’évaluation à utiliser pour s’assurer que ces produits n’affecteront pas d’autres espèces »vii. Elle liste également des effets hors-cible d’ores et déjà observés, comme des impacts négatifs sur des espèces non-cibles (parfois à des doses supérieures à celles attendues en champs), la transmission potentielle des ARNi à d’autres organismes, une tolérance déjà existante imposant une augmentation des quantités d’ARNi utilisées…

Une évaluation bientôt facultative ?

Dans le cas des MGM, les requis actuels imposés par la législation européenne sur les OGM pourraient devenir caduques dans quelques années. Lors des débats, en début d’année 2024, sur la déréglementation des végétaux OGM, qui prévoit la fin de l’évaluation des risques, le Parlement européen a demandé à la Commission d’envisager une déréglementation similaire des MGMviii obtenus par de nouvelles techniques. Une demande qui contenterait les industries du secteur, et notamment la multinationale danoise Novonesisix, spécialisée dans la vente de « « biosolutions » pour tous les domaines industriels et agricoles ». Par le biais d’organes de lobbying tels qu‘EuropaBio, l’Association des fabricants et formulateurs de produits enzymatiques (Amfep) ou encore l’Association européenne des producteurs et livreurs d’ingrédients et leurs mélanges en nutrition animale (Fefana), Novonesis fait partie des acteurs appelant à une telle déréglementation. Le Danemark, qui occupera la présidence de l’Union européenne du 1er juillet au 31 décembre 2025 pourrait bien essayer de faire avancer ce dossier…

ii cf. article pages 9 et 10

iv Réponse de la CE à Eric Andrieu, le 3 mai 2023 :
Parlement européen, « Question parlementaire – P-001063/2023(ASW) – Réponse donnée par Mme Kyriakides au nom de la Commission européenne », 3 mai 2023.

v cf. article pages …

vii Politis, « Pesticides génétiques ARNi », chapitre 1.

Enquête

Le mirage du biocontrôle

Le biocontrôle est une notion récente qui regroupe des réalités diverses. C’est un concept qui a été développé principalement par l’industrie pour « répondre », officiellement, à la demande de la société de réduire l’usage des pesticides chimiques de synthèse. Les produits de biocontrôle lui donnent l’occasion de créer un nouveau marché florissant. Cette notion, d'une part, empiète sur d’autres réalités agronomiques, comme la lutte biologique ou les préparations naturelles, et, d'autre part, recouvre des solutions biotechnologiques. Philosophiquement et fondamentalement, PNPP et produits de biocontrôle sont très différents. Le législateur, en France, a voulu encadrer ces pratiques paysannes en leur appliquant des normes pour en restreindre l’usage. En parallèle, le concept de biocontrôle a, lui, été encadré par les pouvoirs publics pour en favoriser le développement. L’industrie ne souhaite pas que les PNPP concurrencent leurs produits brevetés, d’où la réglementation inadaptée qui les maintient dans l’illégalité. Nous décortiquons comment plusieurs organisations en faveur du biocontrôle s’imbriquent, comment les multinationales de l’agro-industrie ont très rapidement mis la main sur les entreprises qui avaient développé des produits de biocontrôle. Plus de 500 produits sont officiellement reconnus comme « biocontrôle » par le ministère de l'Agriculture. Dans cette enquête, nous insistons sur la possibilité que, petit à petit, des produits issus de biotechnologies trouvent leur place au sein des produits de biocontrôle. Tous ces nouveaux produits induisent des risques environnementaux et sanitaires, dont l'évaluation est lacunaire.
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