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« Procédé essentiellement biologique », une définition bousculée

Par Denis Meshaka

Publié le 11/04/2024, modifié le 22/04/2024

    
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A la faveur du travail parlementaire sur la proposition de règlement européen sur le matériel de reproduction végétal, dit « règlement semences », a surgi une question : la mutagenèse dite « non ciblée » doit-elle être considérée comme un « procédé essentiellement biologique » ? Ces procédés étant exclus de la brevetabilité, la question peut paraître d’importance. Mais une telle décision ne serait pas sans conséquence sur la réglementation des OGM.

Le Parlement européen votera en plénière, le 24 avril 2024, sur la proposition de la Commission européenne visant à réglementer la production et la commercialisation du matériel de reproduction des végétaux (MRV), ou « règlement semences ». La Commission agriculture du Parlement, tête de file sur ce dossier, y présentera son texte avec les amendements adoptés le 19 mars. Conformément à la procédure, des premières propositions d’amendements du texte de la Commission ont été soumises en amont à la Commission environnement. Parmi elles, une proposition déposée par l’eurodéputée autrichienne Sarah Wiener (Les Verts) visait à modifier la définition de « procédé essentiellement biologique » en y incluant, notamment, la mutagenèse dite « non ciblée »1. Bien que finalement non adopté, cet amendement mérite une rapide analyse.

Élargir la définition de « procédé essentiellement biologique »

Selon l’article 4 de la directive européenne 98/44 sur les inventions biotechnologiques, les « procédés essentiellement biologiques d’obtention de végétaux ou d’animaux » ne sont pas brevetables. L’article 2 de cette même directive précise qu’un « procédé d’obtention de végétaux ou d’animaux est essentiellement biologique s’il consiste intégralement en des phénomènes naturels tels que le croisement ou la sélection ».

L’amendement proposé par l’eurodéputée écologiste autrichienne consistait à inclure les techniques de mutagenèse dite « non-ciblée » dans la définition de « procédé essentiellement biologique » (PEB). L’objectif visé était d’empêcher une possible interprétation de l’article 2 qui limiterait la définition des « phénomènes naturels », non brevetables, au croisement et à la sélection. Bien que cet amendement n’ait pas été retenu, il peut théoriquement être à nouveau soumis, rédigé de la même manière ou différemment, lors du vote en plénière, le 24 avril, ou plus tard à l’occasion de nouvelles initiatives législatives.

Porter le débat judiciaire au niveau politique

Considérer que la sélection « conventionnelle » inclut la mutagenèse dite « non-ciblée » est en effet une position défendue depuis plusieurs années par certaines ONG, comme le collectif No Patent on Seeds (« Pas de Brevets sur les Semences »). Cette position est aussi celle du gouvernement autrichien, qui l’a intégrée dans sa législation en mai 2023. La procédure législative européenne en cours visant à adopter un nouveau cadre réglementaire sur le matériel de reproduction des végétaux fut saisie par l’eurodéputée comme une opportunité d’inclure dans la définition des procédés essentiellement biologiques les techniques de mutagenèse souvent qualifiées d’aléatoire (une notion floue non définie légalement). Sa proposition d’amendement amène sur le terrain politique du débat parlementaire une demande régulièrement rejetée par les tribunaux, au nom des règles de l’Office européen des brevets (OEB), pour lequel toutes les techniques de mutagenèse constituent des procédés techniques, et non des phénomènes naturels, et sont donc brevetables.

Cette nouvelle définition des PEB, si elle était adoptée, élargirait de facto l’exclusion de la brevetabilité à toutes les techniques de mutagenèse qualifiées d’aléatoires, bien que les plus récentes d’entre elles soient en fait reproductibles, et donc brevetables2. Tel est du moins le souhait de certains opposants à ces brevets : que des produits végétaux obtenus à base de mutagenèse non ciblée, tels que la plupart des variétés rendues tolérantes aux herbicides, ne soit plus brevetables.

Un effet boomerang ?

Les conséquences de ce raisonnement sur l’application d’autres textes juridiques en vigueur, telle que la directive européenne 2001/18, ne peuvent être ignorées. Dans le dossier OGM, la directive 2001/18, relative à la dissémination volontaire d’OGM, établit que les techniques de mutagenèse sont toutes des techniques de modification génétique donnant des OGM. En ce sens, elles ne sont pas des techniques de sélection conventionnelles, qualifiées de « procédés essentiellement biologique » ou « phénomènes naturels » dans le langage du droit des brevets. Certes, les techniques de mutagenèse « principalement développées avant 2001 » produisent des OGM exemptés de l’application de la réglementation OGM. Ce n’est cependant pas le cas des techniques de mutagenèse chimique ou physique, dites aléatoires (donc non-ciblées), appliquées in vitro sur des cellules de plantes. Ces dernières restent soumises à l’application de la réglementation OGM. Ces techniques n’ont, en effet, commencé à être développées, comme la transgenèse, que peu avant 20013.

Cette clarification des OGM exemptés ou non exemptés fut obtenue de la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE), saisie par des organisations françaises contre le gouvernement français, la Fédération française des producteurs d’oléoprotéagineux (FOP) et la Commission européenne. Ces derniers considéraient en effet les techniques de « mutagenèse aléatoire in vitro consistant à soumettre des cellules de plantes à des agents mutagènes chimiques ou physiques » comme des techniques de sélection « conventionnelle » exclues du champ d’application de la réglementation OGM. Pour Guy Kastler, qui représentait dans cette procédure la Confédération Paysanne, opposée tout autant aux OGM qu’à tout brevet sur le vivant, « cette victoire juridique a empêché la Commission européenne d’exempter les « nouveaux OGM » de l’application de la réglementation OGM 2001/18 et l’a obligée à proposer une nouvelle réglementation des OGM-NGT qu’elle n’a toujours pas réussi à faire adopter à cause avant tout des risques d’application abusive du droit des brevets qu’elle pourrait engendrer ».

En souhaitant une définition large des « procédés essentiellement biologique », incluant la mutagenèse qu’elle qualifie de « non-ciblée », Sarah Wiener crée une problématique qui pourrait s’opposer à cette jurisprudence. L’objectif d’étendre le champ d’exclusion de la brevetabilité est certes louable, mais cette manière de le faire pourrait conduire à considérer comme « naturelles » (donc exclues du champ d’application de la réglementation OGM) les techniques de « mutagenèse aléatoire in vitro consistant à soumettre des cellules de plantes à des agents mutagènes chimiques ou physiques ». Ces dernières produisent entre autres les VrTH à l’origine de l’arrêt de la CJUE qui a empêché la Commission européenne d’exclure aussi tous les « nouveaux OGM » de la réglementation OGM .

Amendement ou miroir aux alouettes ?

Cet objectif pourrait aussi être juridiquement compliqué à faire aboutir. Seule la Commission européenne dispose d’un droit d’initiative, soumis ensuite au vote du Parlement et du Conseil. Or, la Commission a soumis au Parlement une proposition concernant la commercialisation des MRV et non la propriété intellectuelle des végétaux, sujet sur lequel elle a annoncé la publication d’une étude en 2026. Le Parlement peut exprimer une demande formelle que la Commission publie cette étude, préalable indispensable à toute nouvelle initiative, dès 2025. Ce qu’il a fait. Mais il ne peut pas prendre lui-même cette initiative. De plus, l’Union européenne ne peut pas modifier seule les règles de la brevetabilité sans obtenir une modification des directives de l’OEB, qui est une institution indépendante regroupant aussi des pays non membres de l’Union. Ces directives sont bien établies concernant les procédés de croisement et de sélection. Elle considèrent ces derniers brevetables s’ils « contiennent une étape supplémentaire de nature technique, qui introduit de façon autonome un caractère dans le génome ou modifie un caractère dans le génome du végétal obtenu ». Ceci inclut toutes les techniques de mutagenèse et ne pourra pas être modifié en un claquement de doigt.

Enfin, cette proposition d’amendement de la définition de « procédé essentiellement biologique » ne pose-t-elle pas, par ailleurs, une question éthique ? Qualifier ces techniques de mutagenèse de « procédés essentiellement biologiques » ne contribue-t-il pas à une forme de banalisation de ces méthodes de modifications génétiques ?

  1. Texte de l’amendement proposé : « Un procédé d’ obtention de nouvelles plantes ou animaux est essentiellement biologique s’il implique des techniques de sélection conventionnelles telles que le croisement, la sélection, la mutagenèse non ciblée ou des variations génétiques aléatoires d’origine naturelle ». La « mutagenèse non ciblée », qualifiée le plus souvent de mutagenèse aléatoire, est un ensemble de techniques qui sont classiquement appliquées en utilisant des agents mutagènes chimiques ou physiques. ↩︎
  2. Bien qu’indépendante de l’UE, la Convention sur le Brevet Européen considère que la directive 98/44 « constitue un moyen complémentaire d’interprétation » des dispositions de la CBE. C’est le cas pour les procédés essentiellement biologiques (Règle 26 CBE). ↩︎
  3. Seules les « techniques de modification génétique qui ont été traditionnellement utilisées pour diverses applications et dont la sécurité est avérée depuis longtemps » avant 2001 sont exclues du champ d’application de la directive 2001/18. ↩︎
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