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L’Autriche tente de clarifier la brevetabilité du vivant

Par Denis MESHAKA

Publié le 21/06/2023, modifié le 21/03/2024

    
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Le 20 mai 2023, la nouvelle loi autrichienne sur les brevets est entrée en vigueur. Elle précise les exclusions de la brevetabilité dans le domaine des plantes et des animaux. Ces modifications entendent notamment garantir une certaine indépendance des sélectionneurs vis-à-vis des détenteurs de droits de brevets. Qu’en sera-t-il in fine ?

L’ancienne loi autrichienne excluait de la brevetabilité les procédés essentiellement biologiques (PEB) d’obtention d’animaux et de végétaux « basés sur des phénomènes naturels tels le croisement ou la sélection ». Elle excluait aussi les animaux et les végétaux obtenus exclusivement par de tels procédés.

Redéfinition des contours de la brevetabilité

Impulsée notamment par l’ONG Arche Noah, association autrichienne pour la conservation et le développement de la diversité des plantes cultivées, et de nombreuses entreprises semencières dites de « taille intermédiaire », la nouvelle loi autrichienne précise à nouveau le champ des objets brevetables dans le domaine du vivant [1]. Désormais, sont aussi concernées « les parties de végétaux et d’animaux obtenues exclusivement par des procédés essentiellement biologiques dans la mesure où elles peuvent être régénérées en végétaux ou en animaux » (article 2 § 2 al. 2). Le législateur veut donc clarifier le fait qu’une telle exclusion ne se limite pas aux animaux et aux plantes mais aussi à tout organisme, tel qu’une semence ou une gamète, qui en serait issue et pourrait servir à les régénérer.

La redéfinition d’un « procédé essentiellement biologique » est une autre nouveauté. Un tel procédé y est toujours défini comme étant « entièrement basé sur des phénomènes naturels tels que le croisement, la sélection ». Cependant, cette nouvelle loi ajoute qu’un procédé basé sur « la mutagenèse non ciblée ou les variations génétiques aléatoires naturellement présentes » doit aussi être considéré comme un procédé essentiellement biologique. Arche Noah nous a confirmé qu’aucune définition de ces termes n’a en revanche été fournie par le législateur autrichien.

La nouvelle loi précise que les exclusions de article 2 § 2 al. 2 « n’affectent pas la brevetabilité des inventions […] qui ont pour objet des végétaux ou des animaux obtenus par mutagenèse non dirigée à des fins autres qu’agricoles, forestières ou horticoles ». On peut donc en conclure qu’un éléphant nain d’agrément ou des poissons d’aquarium phosphorescents obtenus par « mutagenèse non dirigée » restent brevetables aux yeux de la loi autrichienne. Autrement dit, la position du gouvernement autrichien sur la brevetabilité des OGM varie selon le secteur économique concerné.

La nouvelle loi autrichienne introduit aussi, dans son nouvel article 22 modifié, des dispositions à l’égard des utilisateurs « de matières biologiques » potentiellement couvertes par des brevets. Le législateur autrichien a décidé d’étendre à tous les brevets exploités en Autriche « l’exception du sélectionneur » introduite dans le brevet unitaire européen. Exception selon laquelle les droits conférés par un brevet ne s’étendent pas à l’utilisation de la matière biologique (brevetée) à des fins de recherche, de sélection, et de mise au point d’une nouvelle variété végétale. Par exemple, un obtenteur pourra mettre au point une tomate issue d’un croisement entre une variété comprenant un gène breveté par un tiers (conférant par exemple une tolérance à un herbicide) et une variété ancienne sans que le titulaire du brevet ne puisse s’y opposer. La commercialisation de la nouvelle tomate, de ses organes de reproduction (graines, plants…) et des produits qui en sont issus devra, en revanche, être autorisée par le propriétaire du brevet. Celui-ci pourra alors exiger des royalties ou faire signer un accord de licence. Il semble donc aujourd’hui explicite que les sélectionneurs et les obtenteurs ne devraient plus être contraints dans des travaux de recherche et de sélection mettant en œuvre de la matière biologique brevetée.

Une initiative portée par les ONG et les parlementaires

Arche Noah a publiquement revendiqué son rôle d’actrice des négociations parlementaires autour de cette nouvelle loi. Sa chargée de politique semences, Dagmar Urban, nous explique que cette loi est en partie le fruit d’un compromis avec l’industrie, notamment l’exclusion des parties de végétaux et d’animaux obtenues exclusivement par des procédés essentiellement biologiques dans la mesure où elles peuvent être régénérées en végétaux ou en animaux. L’industrie ne veut pas, en effet, se voir interdire la possibilité de breveter des éléments qui ne peuvent à eux seuls permettre la régénération d’une plante ou d’un animal, par exemple un gène.

Dagmar Urban revient, par ailleurs, sur la nouvelle définition de « procédé essentiellement biologique » et sa pratique par l’Office européen des Brevets (OEB) : « Compte tenu de la décision G3/19 de mai 2020, on ne pensait même pas que des brevets européens pouvaient être encore délivrés par l’OEB avec des portées aussi larges, et incluant notamment les variations génétiques aléatoires présentes naturellement. C’est pour cela que nous avons tenu à obtenir une exclusion explicite de ce type d’inventions ».

L’association Arche Noah n’a pas été la seule à porter ces propositions de modification. « Cette initiative a été en effet soutenue par l’ensemble de la sphère politique autrichienne, à l’exception du FPÖ, parti d’extrême droite nationaliste », commente Dagmar Urban. « Le FPÖ n’est pas favorable aux OGM, il a simplement voté contre la loi sur les brevets. Nous ne savons pas exactement pourquoi, mais au parlement il dit partager les objectifs mais pas la manière dont la loi veut les atteindre », précise-t-elle. Cet objectif de légiférer en faveur d’une limitation des droits des brevets a notamment été défendue par le parti populaire autrichien (ÖVP) – droite conservatrice – via son député Georg Strasser, également président du syndicat agricole majoritaire Bauernbund, ainsi que par le parti écologiste (Die Grünen), via son député Clemens Stammler.

Nous avons interrogé Magdalena Wagner, conseillère à l’Agriculture et à l’Environnement du parti écologiste autrichien. Elle nous a fait part du contexte des négociations entre les différentes parties et des enjeux autour de la question clivante de la brevetabilité de la « sélection conventionnelle » : « Depuis les élections de 2019, le gouvernement autrichien est formé d’une coalition entre notre parti, les Verts, et le parti conservateur, le Parti populaire autrichien (ÖVP). Chaque fois que nous proposons une loi au Parlement, nous avons besoin de négocier en amont avec l’ÖVP. Leonore Gewessler, la ministre de l’Environnement, également en charge des brevets, est issue de notre parti. Elle a collaboré avec l’office des brevets autrichien sur cette nouvelle loi. Comme l’industrie hésitait, nous avons négocié pour obtenir des définitions qui laissent suffisamment de liberté à l’industrie, mais plus claires aussi pour l’agriculture. Nous avons réussi à nous entendre sur une définition de « procédé essentiellement biologique » excluant notamment les mutations naturelles et la mutagenèse aléatoire sur lesquelles des brevets se fondent en exploitant les vides juridiques du droit européen [NDLR : un débat est aujourd’hui en cours concernant l’interprétation du terme « mutagenèse aléatoire », en particulier le fait qu’il recouvre une méthode technique ou essentiellement biologique]. A ma connaissance, aucune autre loi européenne ne dispose d’une telle disposition dans la définition des procédés essentiellement biologiques ».

Quels impacts et quelle applicabilité pour cette loi ?

Bien que cette nouvelle loi – issue de plusieurs années de négociations – se limite au territoire autrichien, les opposants à la brevetabilité du vivant veulent y voir un message adressé aux autres juridictions européennes et aux institutions qui délivrent des brevets. La coalition européenne No Patent On Seeds (NPOS), dont fait partie Arche Noah, et qui s’oppose régulièrement aux brevets européens sur les plantes, commente : « les brevets tels que ceux délivrés par l’Office européen des brevets (OEB) ces dernières années sur, par exemple, l’orge de brasserie et le maïs [2], ne peuvent plus être délivrés en Autriche. Même si la [nouvelle] loi [autrichienne] n’est pas contraignante pour les décisions futures de l’OEB, elle envoie un signal clair à l’échelle européenne en faveur de l’interdiction générale des brevets sur la sélection conventionnelle ». Pour NPOS, la mutagénèse aléatoire reste donc du domaine de la sélection conventionnelle. On observera que l’interprétation de tels termes permet, par exemple, à certains semenciers de qualifier de non-OGM des plantes issues de techniques récentes de mutagenèse in vitro, qui ne sont techniquement pas plus aléatoires ni anciennes que la transgenèse ou la plupart des techniques dites de mutagenèse dirigée clairement considérées par le droit européen comme produisant des OGM.

Techniquement, un brevet européen désignant l’Autriche et couvrant de telles inventions – ou toute invention basée sur les nouvelles exclusions de la brevetabilité – ne pourra logiquement plus être opposable sur le territoire autrichien, notamment à l’encontre des sélectionneurs. Mais selon certains experts juridiques, les industriels pourraient revenir par la fenêtre en utilisant la voie du brevet européen unifié entré en vigueur le 1er juin 2023 [3]. Nous leur avons demandé un complément d’explications à cet avis, sans retour pour le moment.

On ne peut aujourd’hui dire si cette loi fera des émules dans d’autres juridictions européennes. Ni si elle supprime sur le long terme le risque juridique encouru depuis longtemps par les petits semenciers et obtenteurs européens : la contrefaçon involontaire de brevet [4]. On peut par contre regretter une forme d’assimilation de la mutagénèse aléatoire ou « non dirigée » avec un processus essentiellement biologique. En effet, si des mutations aléatoires peuvent survenir naturellement, par exemple en raison du rayonnement solaire, la mutagénèse aléatoire ne peut être considérée en tant que telle comme un procédé essentiellement biologique puisque, comme le définit l’AESA (Autorité européenne de sécurité des aliments), elle consiste à utiliser soit des procédés physiques comme des irradiations, soit des produits chimiques pour provoquer des modifications génétiques.

[1Gouvernement autrichien, « Nouvelles dispositions modifiant la loi sur les brevets d’invention », 20 mai 2023.
Aucune traduction officielle n’est à ce jour disponible en langue française.

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