Analyse

UE – « Semences » : l’autre proposition du bouquet législatif

Par Denis MESHAKA

Publié le 22/09/2023, modifié le 09/11/2023

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La Commission européenne a présenté, le 5 juillet 2023, une proposition de révision de la législation sur le « matériel de reproduction de végétaux ». Cette reforme vise à fusionner plusieurs actes législatifs et apporte quelques nouveautés. Elle reste néanmoins peu « flexible », avec certaines dispositions pour le moins hors-sol.

La Commission européenne a publié, le 5 juillet 2023, une nouvelle proposition de règlement pour « la production et la commercialisation de matériel de reproduction des végétaux » (ci-après MRV) [1] [2]. Le terme MRV désigne les végétaux ou parties de végétaux « capables de produire des végétaux entiers et destinés à cette fin » [3]. Il s’agit, entre autres, des semences, tubercules, stolons, greffons, mais aussi des cultures cellulaires et autres matériels de micropropagation.

Ce qui n’est donc encore qu’une proposition, disponible à ce jour dans la seule langue anglaise (les autres traductions officielles seraient prévues en automne), sera débattue au sein du Conseil et du Parlement de l’Union européenne (UE). Le présent article vise seulement à mettre en lumière les principales dispositions de ce texte (dans une traduction non officielle) dans leur version actuelle. Celles-ci peuvent encore évoluer au cours de la procédure législative, même si la marge est faible. Cette proposition doit, en outre, être lue en regard de celle sur les « nouvelles techniques génomiques » publiée le même jour. Enfin, son application s’appuie sur celle des règlements sur la protection des végétaux [4] et sur les contrôles officiels [5].

L’ objectif affiché de cette proposition est ambitieux : « garantir, pour tous les types d’utilisateurs, un matériel de reproduction des végétaux de haute qualité et une grande diversité de choix, adaptée aux conditions climatiques actuelles et futures prévues, qui contribueront à leur tour à la sécurité alimentaire, à la protection de la biodiversité » [6]. Mais qu’en est-il réellement ? Les dispositions sont-elles à la hauteur de ces enjeux que personne ne peut contester tant ils sont généraux et généreux ?

Les principales dispositions

Champs d’application

La Commission veut tout d’abord simplifier l’arsenal législatif en fusionnant dans un même texte les dispositions aujourd’hui éparpillées dans de nombreux actes. Ce projet de règlement entend remplacer les dix directives sectorielles actuelles, dont certaines datent des années 60.

Le texte du règlement exclut explicitement de son champ d’application le matériel forestier de reproduction, qui fait l’objet d’un projet de règlement détaché, ainsi que les plantes ornementales [7] et le MRV exporté. Le texte explicite aussi qu’il ne concerne pas la circulation de MRV entre utilisateurs finaux (tels que les jardiniers amateurs) pour leur usage privé.

Production et commercialisation

La Commission continue à autoriser la production et la commercialisation des variétés enregistrées au niveau national et selon certaines catégories : « pré-base », « base », « certifié » ou « standard  » énumérées à l’Annexe IV8 du règlement. Cet enregistrement reste soumis aux critères « distinction, homogénéité et stabilité (DHS) », et la certification des semences reste un prérequis pour leur commercialisation.

L’inscription des nouvelles variétés végétales au catalogue, renommé « Registre des variétés », comprendra désormais une évaluation en fonction de leurs caractéristiques contribuant à une production « durable », en plus de leur valeur agronomique technologique. Ce sera le cas pour toutes les espèces. A ces fins, des essais seront réalisés « afin de vérifier si les nouvelles variétés présentent des caractéristiques susceptibles de contribuer à une production agroalimentaire plus durable » (voir encadré). Cette exigence concerne tous les groupes de cultures, mais les États membres disposeraient d’une « certaine souplesse pour l’appliquer en fonction de leurs propres conditions agroécologiques ». La durée de cette inscription est limitée à une période de dix ans renouvelable.

Deux autres dispositions sont également proposées :

a) le recours au marquage moléculaire pour « vérifier l’identité et la pureté variétale » des semences commercialisées ;

b) la possibilité de confier la certification des semences aux opérateurs professionnels sous la supervision de l’autorité compétente (principe de l’auto-contrôle sous contrôle officiel [8].

Matériel hétérogène et variétés de conservation

Le mécanisme de simple notification à un organisme national compétent (pas de structure européenne prévue) mis en place pour le matériel biologique est étendu au secteur « conventionnel » (non biologique). Cette disposition reprend celle de l’article 13 du règlement sur l’agriculture biologique de 2018 [9]. Les obligations de traçabilité et les données demandées aux producteurs de matériel hétérogène restent les mêmes que pour le matériel hétérogène biologique actuel (MHB).

Les variétés de conservation ne peuvent être vendues qu’en qualité « standard » et doivent préciser sur l’étiquette « variété de conservation » [10]. Elles doivent également posséder une « description officiellement reconnue ». L’opérateur professionnel qui vend des variétés de conservation doit notifier annuellement aux autorités compétentes cette activité, en précisant les espèces et les quantités concernées.

Opérateurs

Le texte conserve la notion d’« opérateurs professionnels » [11], mais il prévoit un régime dérogatoire pour des opérateurs non professionnels : les particuliers/utilisateurs finaux. Les particuliers/utilisateurs finaux peuvent acheter du MRV de variété non enregistrée, sous certaines formes (plante individuelle, tubercules…), et à condition que son caractère non enregistré soit indiqué. L’opérateur professionnel qui commercialise de telles variétés non enregistrées destinées exclusivement aux jardiniers amateurs doit en faire part annuellement à l’organisme national compétent en mentionnant les espèces et les quantités concernées.

Les banques de gènes/réseaux pourront également vendre et échanger du MRV non enregistré sous réserve que cela se fasse sans but lucratif. Les agriculteurs pourront échanger leurs semences (et non leurs plants) avec d’autres agriculteurs sous certaines conditions, telles que l’absence d’une protection par COV (Certificat d’Obtention Végétale), des quantités limitées et le respect de critères de qualité (absence de parasites et de défauts, capacité de germination satisfaisante). Les quantités seront définies par espèce, par an et par les États « afin de garantir qu’il n’y ait pas d’abus de cette dérogation ayant une incidence sur la commercialisation des semences » (Considérant 36).

Conditions de cultures

La Commission propose de réguler les conditions de cultures de certaines variétés inscrites qui peuvent avoir des « effets agronomiques indésirables ». C’est notamment le cas des VrTH (Variétés rendues Tolérantes aux Herbicides). Ces conditions doivent comprendre « des mesures sur le terrain, telles que la rotation des cultures, des mesures de surveillance, la notification de ces mesures par les États membres à la Commission et aux autres États membres, la communication par les opérateurs professionnels aux autorités compétentes de l’application de ces mesures et l’indication de ces conditions dans les registres nationaux des variétés » (Considérant 69). La Commission s’autorise à régler ces conditions également par actes délégués ou actes d’exécution (deux types d’actes préparés par des «  comités d’experts  », et qui échappent au contrôle du Parlement) [12]. Ces nouvelles conditions seront inscrites dans le registre national référençant les variétés.

Évaluation de la « durabilité » de la production de MRV


Le projet de règlement propose (considérant 49) que les nouvelles variétés « de tous les genres ou espèces doivent présenter une amélioration par rapport aux autres variétés des mêmes genres ou espèces enregistrées dans le même registre national des variétés » en ce qui concerne certains aspects, notamment :

- le rendement (stabilité, rendement dans des conditions de faible utilisation d’intrants…) ;

- la tolérance/résistance aux stress biotiques (maladies causées par des nématodes, des champignons, des bactéries, des virus, des insectes et d’autres parasites) ;

- la tolérance/résistance aux stress abiotiques (adaptation aux conditions du changement climatique…) ;

- l’utilisation plus efficace des ressources naturelles (eau, éléments nutritifs…) ;

- la réduction des besoins en intrants externes (pesticides et engrais) ;

- les caractéristiques qui améliorent la durabilité du stockage, de la transformation et de la distribution ;

- les caractéristiques qualitatives ou nutritionnelles.

Une « flexibilité » en trompe l’œil

Derrière le message de simplification des textes affiché par la Commission, se cache une autre simplification : le passage de directives permettant leur transcription législative par chaque État selon son contexte agricole, culturel et juridique, propre à un règlement d’application obligatoire ne permettant pas d’interprétations nationales. Cette simplification est réclamée depuis de nombreuses années par les multinationales semencières qui veulent avoir un accès direct à la totalité du marché européen. Les petites structures qui proposent des semences adaptées, prenant en compte les spécificités de chaque conditions de culture, ainsi que les particularités alimentaires et culturelles locales ou nationales, seront pénalisées par les nouvelles exigences liées à cet élargissement du marché.

Par ailleurs, la tentative de révision de 2014 avait été massivement rejetée par le Parlement européen en raison notamment de l’absence de reconnaissance par la Commission d’une typologie variée d’acteurs (« opérateurs ») avec des besoins divers [13]. Si des catégories d’opérateurs sont bien proposées ici, les petits acteurs se voient imposer une gestion administrative conséquente, comme le souligne le Réseau Semences Paysannes : « […] la proposition de la Commission vient rajouter une couche à la charge administrative et bureaucratique déjà importante pour celles et ceux qui voudraient produire et vendre des MRV. Tenir des registres et les conserver pendant des années, conserver des échantillons et les mettre à la disposition des autorités, notifier annuellement sa production dans les différentes catégories… qui, à part des acteur.rice.s déjà bien implanté.e.s et/ou d’une certaine taille pourra satisfaire à ces exigences ? » [14] .

De telles obligations ne sont pas encore toutes définies et resteraient contrôlées par les diverses autorités nationales. On pourrait craindre qu’elles pénalisent l’activité première de ces opérateurs et agissent au détriment des agricultures paysannes et biologiques et du maintien de la diversité des cultures. Ces mesures auront, en outre, comme conséquence d’accroître la masse de données administratives dans les quelques pays qui avaient accepté des dérogations nationales pour les réseaux de conservation et pour les échanges de semences entre agriculteurs. Elles constitueront par contre une réelle ouverture, certes encore trop limitée, dans les autres pays qui soumettaient jusqu’à présent ces activités au respect de la réglementation catalogue.

La question des « nouveaux OGM »

Ce même 5 juillet 2023, la Commission a publié une proposition pour tenter de déréglementer de très nombreux OGM, qu’elle souhaite rebaptiser « NGT » (Nouvelles Techniques Génomiques). Cet acte législatif est lié à la présente proposition de règlement sur les MRV, puisque cette dernière cite dans ses dispositions sur l’enregistrement les « nouveaux OGM » et les « NGT » de catégories 1 et 2 (Articles 47 et 56 [15]). Mme André (DG Santé) a précisé, le 30 août 2023, lors d’une réunion du Comité « agriculture et développement rural », l’articulation de ces deux règlements. Le point de départ sera le règlement OGM/NGT concernant l’étiquetage et l’application du règlement MRV viendra ensuite.

Dans la mesure où la proposition sur les MRV inclut des critères de « durabilité » [16] (voir encadré), cela peut servir de marchepied aux « nouveaux OGM ». En effet, certains de leur défenseurs les présentent étrangement comme une opportunité pour le développement de la biodiversité et l’adaptation des ressources génétiques au changement climatique [17]. Rappelons à cet égard l’étude de la société de conseil ICF de 2021, commandée par la Commission européenne elle-même, qui souligne au contraire les dangers que peuvent représenter les « nouveaux OGM » pour la biodiversité, y compris cultivée [18].

Cette proposition sur les MRV n’aborde pas explicitement les brevets, alors que la question concerne bien certains acteurs de la filière semence, en particulier les agriculteurs et semenciers de petite et moyenne taille. Les « nouveaux OGM », comme les anciens, sont, en effet, tous protégés par des droits de brevets qui – malgré une validité questionnable – peuvent mettre dans l’illégalité les agriculteurs utilisateurs de MRV [19]. D’autant que la proposition de la Commission ne permet pas que les informations concernant les brevets – et qui pourraient éclairer les agriculteurs dans leur choix – soient incluses dans les registres.

Mais la question des brevets est bien présente en filigrane. La Commission a publié, ce même 5 juillet 2023, une communication déclarant qu’elle évaluera « l’impact que le brevetage des plantes et les pratiques connexes en matière d’octroi de licences et de transparence peuvent avoir sur l’innovation dans la sélection végétale » [20]. Le MRV comprenant potentiellement des éléments brevetés serait donc aussi concerné. Elle y souligne également l’importance de prévoir un « cadre législatif […] équilibré et calibré, garantissant l’accès des agriculteurs et des sélectionneurs aux techniques et au matériel brevetés, afin de promouvoir la diversité des semences à des prix abordables, et préserver la sélection et la culture de plantes conventionnelles et biologiques non brevetées ». La Commission prévoit de publier son rapport d’évaluation en… 2026. Voulu ou pas, ce manque d’anticipation de la Commission empêche malheureusement la prise en compte des conclusions de ce rapport dans la procédure législative actuelle.

Cette nouvelle proposition de règlement pour le MRV sera examinée en première lecture par le Parlement et le Conseil européens selon la procédure législative ordinaire (PLO) [21]. La sphère civile, les ONG et les syndicats agricoles ont donc la possibilité, notamment via les parlementaires, de la commenter et de suggérer des modifications [22]. Entre 1999 et 2019, le taux d’adoption en première lecture des actes relevant de la PLO est passé de 28 % à 89 % [23]. Quelles sont dès lors les chances que de telles modifications soient aujourd’hui effectivement prises en compte par l’Union européenne ? Aussi, que penser de l’utilité de la « consultation » mise en place par la Commission invitant les citoyens de l’UE à faire des retours sur la proposition de règlement ? [24]. La prise en compte de ces avis n’est en effet nulle part prévue dans la procédure législative.


Nos remerciements à Amélie Hallot-Charmasson du Réseau Semences Paysannes qui a contribué à la relecture de cet article.

[1Une première tentative de révision avait été faite en 2013.

[4Ibid.

[6Premier point de l’exposé des motifs

[7Ils sont actuellement régis par la directive 1999/105/CE du Conseil et les plantes ornementales par la Directive 98/56/EC.

[10Une variété de conservation est définie à l’article 3. (29) de la proposition de règlement sur le MRV n° 2023/0227 comme une variété :
« (a) cultivée traditionnellement ou nouvellement créée localement dans des conditions locales spécifiques et adaptée à ces conditions ; et
(b) caractérisée par un niveau élevé de diversité génétique et phénotypique entre les différentes unités de reproduction
 ».

[11On entend par « opérateur professionnel » toute personne physique ou morale impliquée professionnellement dans une ou plusieurs des activités suivantes dans l’Union concernant la MRV :
a) production ;
b) commercialisation ;
c) maintien des variétés ;
d) prestation de services pour l’identité et la qualité ;
e) conservation, stockage, séchage, transformation, traitement, emballage, scellage, étiquetage, échantillonnage ou test.

[14Réseau Semences Paysannes, « Actualités Juridiques, Juin-Août 2023 », 11 septembre 2023.

[15Par exemple l’article 56.1 (j) est libellé ainsi (traduction non officielle) :
« Contenu de la demande d’enregistrement d’une variété
1. La demande d’enregistrement d’une variété dans un registre national des variétés se compose des éléments suivants : […] (j) lorsque la variété contient un organisme génétiquement modifié ou consiste en un tel organisme, la preuve que l’organisme génétiquement modifié en question est autorisé à être en culture dans l’Union, conformément à la directive 2001/18/CE ou au règlement (CE) n° 1829/2003 ou, le cas échéant, dans l’État membre concerné, conformément à l’article 26 ter de la directive 2001/18/CE […]
 »

[16Critère VSCU pour « Value Sustainable Cultivation & Use »

[18Commission européenne, Etude ICF, « Data gathering and analysis to support a Commission study on the Union’s options to update the existing legislation on the production and marketing of plant reproductive material », p.20, 2021.

[21Parlement européen, « Procédure législative ordinaire » (consulté le 20 juillet 2023).

[22L’envoi des commentaires publics officiels est possible pendant 8 semaines, c’est-à-dire jusqu’au 3 septembre, bien que cette période débute normalement après la publication de toutes les traductions de la proposition de la Commission.

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