Actualités

Les nanotechnologies au service des biotechnologies

Par Christophe NOISETTE

Publié le 18/07/2024

Partager

Dans le domaine des biotechnologies, les nanoparticules sont surtout utilisées comme vecteurs. Elles ont pour mission de permettre à de grosses molécules de pénétrer dans les cellules où les modifications génétiques doivent être faites. Développé récemment, ce domaine répond aux même logiques économiques que celui des autres biotechnologies : recherche publique pour les notions fondamentales, création de startups et brevets pour la privatisation du développement commercial. Exemple d’un acteur du domaine.

Les biotechnologies ont investi le champ de la santé humaine avec des résultats pour le moment encore limités et controversés. L’une des difficultés que rencontrent ces techniques est celle de faire entrer du matériel biologique (ADN le plus souvent) dans le noyau des cellules humaines. Depuis des décennies, des chercheurs s’acharnent donc à résoudre cette problématique. Des recherches conséquentes et des financements importants sont dédiés à tenter de faire pénétrer au cœur des noyaux des cellules de molécules exogènes, de plus en plus grosses. Mais dans le cadre de la santé humaine, en comparaison avec le domaine du végétal, les chercheurs et les entreprises peuvent moins facilement faire abstraction des effets hors cibles et autres impacts que cette intrusion peut provoquer.

DNA Nanobots, une entreprise en « pointe »

Les nanoparticules sont des molécules très petites, de la taille d’un dix millionième de mètre (100 nm). En gros, elles sont des molécules constituées de quelques atomes (moins de 100). Elles ont souvent des caractéristiques changeant les propriétés de surface, dont celles des membranes, et permettant ainsi de pénétrer dans les cellules. Cette technologie vise donc en partie à disséminer partout des molécules extrêmement petites.

L’entreprise DNA Nanobotsi propose des « nanoparticules d’ADN » capables de transporter au cœur du noyau des cellules humaines tout ce qu’on veut : des molécules de chimiothérapie, des vaccins, des thérapies géniques. Elle parle de « médecine de précision spécialisée dans l’élaboration de thérapies ciblées personnalisées à l’aide de [leur] plateforme de nanoparticules d’ADN »ii. L’entreprise ne fabrique pas les molécules thérapeutiques (chimio, siRNA, protéine, peptide, gène), mais seulement le vecteur. Des virus génétiquement modifiés peuvent aussi servir de vecteurs, une technique assez largement décriée. L’entreprise souligne que ses nanoparticules sont justement une alternative à ces vecteurs viraux. L’un des responsables de DNA Nanobots, Christopher Lucasiii, souligne que « les approches actuelles de l’administration de gènes via des virus ont des limitations significatives, y compris la toxicité et l’immunogénicité, des coûts de fabrication extrêmement élevés, […] un ciblage limité des tissus et des restrictions sur la taille des gènes ».

Cette entreprise évoque, sur son site Internet, d’autres « types de problèmes » que sa technologie mêlant nanotechnologie et biotechnologie est sensée résoudre : « La thérapie génique est coûteuse, inefficace et n’est pas spécifique aux tissus, les vaccins ne sont pas spécifiques aux cellules, ce qui conduit à une performance sous-optimale, les médicaments de chimiothérapie ont des effets hors cible dangereux ». Elle continue en précisant que « de nombreuses maladies génétiques et de nombreux cancers disposent d’options thérapeutiques efficaces en cours de développement qui nécessitent un meilleur ciblage des tissus. DNA Nanobots offre une meilleure solution en développant des thérapies de précision de nouvelle génération ».

L’autre avantage de ce vecteur, toujours selon ses promoteurs, est de pouvoir apporter des molécules thérapeutiques plus grosses à l’intérieur du noyau. Tout ceci n’a pas encore été démontré et sert principalement à attirer les investisseurs en vantant une technologie en cours d’élaboration. Et il est à parier que dans quelques temps, une nouvelle entreprise vantera une nouvelle technologique qui remisera celle-ci, si elle venait à se développer…

Des brevets, des accords de licence…

Pour pouvoir utiliser son outil, DNA Nanobots est dépendante d’autres entreprises et de leurs brevets. Elle vient ainsi de signer un accord de licence commerciale exclusive avec l’Université de Californie (Berkeley) pour pouvoir utiliser l’outil moléculaire Crispr/Cas9.

En effet, la recherche scientifique à l’appui de la preuve de concept technologique a récemment été publiée dans un articleiv. Ce dernier montre une combinaison de techniques : « Notre conception inclut des sites de liaison de la ribonucléoprotéine CRISPR-Cas9 sur les nanostructures d’ADN afin d’augmenter la migration dans le noyau » .

Un des auteurs, Carlos Castrov, est membre du Conseil de DNA Nanobots (mais cette information n’est pas indiquée dans l’article ci-dessus mentionné). Deux auteurs – Jennifer A. Doudna et Alexander Marson – ont des participations dans des entreprises de biotechnologies et des brevets en lien avec ce travail. Nous détaillerons ici le cas d’Alexander Marson. Ce dernier est (ou a été) cofondateur rémunéré, membre des conseils d’administration et membre des conseils consultatifs scientifiques de plusieurs entreprises (Spotlight Therapeutics, Arsenal Biosciences, PACT Pharma, Juno Therapeutics, Trizell). Il possède également des actions d’Arsenal Biosciences, de Spotlight Therapeutics et de PACT Pharma. Il a reçu des honoraires de Merck et Vertex et est un investisseur et un conseiller informel de Offline Ventures. Le laboratoire Marson a bénéficié du soutien à la recherche de Juno Therapeutics, Epinomics, Sanofi, GlaxoSmithKline, Gilead et Anthem.

sur base de travaux de la recherche publique

L’entreprise DNA Nanobots utilisera donc cette recherche issue du secteur public étasunien (Université de Californie à Berkeley, Université de l’Ohio, Université de Californie à San Francisco). Ce travail a été financé par des subventions, notamment de nombreuses organisations publiques, et des fondations privées (comme Simons Foundation ou Burroughs Wellcome Fund)vi. D’autres liens entre DNA Nanobots et les universités étasuniennes existent, notamment via l’Université de l’Ohio. Michael Camp, un des responsables de l’entreprise, est en effet à la fois professeur dans cette université et conseiller technique dans cette entreprise. Ce dernier est à la croisée de ces milieux, de plus en plus interconnectés. A l’Université de l’Ohio, il gère un programme, nommé « the I-Corps@Ohio program », qui a permis « à plus de 125 équipes de startups technologiques de se développer »vii.

Ce nouveau partenariat public/privé est, officiellement du moins, conditionné à un engagement de la part de l’entreprise d’« établir un partenariat avec des organisations spécialisées dans les maladies rares, offrant des solutions de thérapie génique sur mesure pour répondre aux besoins médicaux non satisfaits ».

Un des partenaires est l’association « Destroy Duchenne »viii. Basée en Californie, elle a été créée par une personne atteinte de cette maladie génétique, l’avocat Elijah Stacyix, en 2017. Lors du premier gala annuelx organisé par cette organisation « caritative » en 2023, on pouvait noter la présence de plusieurs entreprises de biotechnologies, comme Satellos Bioscience ou Capricor Therapeutics. Interrogé par Inf’OGM sur les clauses et les contraintes qu’implique ce partenariat, l’association et l’entreprise DNA Nanobots n’ont pas pris le temps de répondre.

Au-delà des questions techniques, de la faisabilité ou pas de cette nouvelle technologie, de son coût réel, se pose la question de la frontière entre le vivant et l’inanimé. Les nanotechnologies et les biotechnologies, quand elles « fonctionnent » ensemble, fragilisent encore plus cette frontière en facilitant l’entrée de molécules dans les noyaux des cellules. Alors que les nanomatériaux commencent à être décrits comme potentiellement dangereux, qu’on ne sait pas quelles autres molécules leur seraient associées et que la Commission européenne envisage de supprimer l’étiquetage des nanomatériaux, on peut s’inquiéter.

i Site Internet de DNA Nanobots.

ii Ibid.

iii DNA Nanobots, LLC, « Dr. Christopher Lucas, CSO & Co-Founder ».

ivEnrique Lin-Shiao et al., « CRISPR–Cas9-mediated nuclear transport and genomic integration of nanostructured genes in human primary cells », Nucleic Acids Research, Volume 50, Issue 3, Pages 1256–1268, 22 février 2022.

v DNA Nanobots, LLC, « Dr. Carlos Castro, Director of Innovation ».

viListe in extenso : National Institutes of Health, National Science Foundation, National Institute of Allergy and Infectious Diseases, Innovative Genomics Institute, Simons Foundation, Parker Institute for Cancer Immunotherapy, Burroughs Wellcome Fund, Cancer Research nstitute, National Institute of General Medical Sciences, Université de Californie, San Francisco, Institut californien de médecine régénérative, Centre national pour l’avancement des sciences translationnelles.

vii DNA Nanobots, LLC, « Dr. Michael Camp, Senior Advisor ».

viii Site Internet de l’association Destroy Duchenne.

ix Site Internet de Elijah J. Stacy.

x Destroy Duchenne, « Destroy Duchenne’s First Annual Fall Gala 2023 », 30 octobre 2023.

Actualités
Faq
A lire également