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Le Parlement européen s’oppose à 16 autorisations commerciales d’OGM
Le 26 novembre 2024, le Parlement européen s’est opposé aux autorisations commerciales délivrées pour 15 OGM, de même qu’il s’est opposé à un projet d’autorisation pour un autre OGM. Selon l’eurodéputé Christophe Clergeau, « ce vote est une victoire pour la protection de notre santé, de la biodiversité et des écosystèmes ». Ces oppositions ne devraient néanmoins pas aboutir à un retrait des autorisations délivrées par la Commission européenne, cette dernière n’ayant jamais modifié une décision d’autorisation suite à une opposition des eurodéputés.
Réunis en plénière à Strasbourg le mardi 26 novembre 2024, les eurodéputés ont voté à la majorité contre des autorisations d’importation commerciale de 15 OGM à destination de l’alimentation humaine et/ou animalei. Les 15 OGM concernés sont tous des maïs. Il s’agit des maïs Mon89034*1507*Nk603, COT102, Mon89034*1507*Mon88017*59122 et huit de ses sous-combinaisons, Mon810, DP915635, DP23211 et DP202216. Le maïs Mon94804 n’a pas encore été formellement autorisé, le projet d’autorisation présenté par la Commission européenne devant passer une seconde fois devant les États membres avant, le cas échéant, de revenir à la Commission européenne pour décision finale (cf. tableau ci-dessous).
Tous ces maïs OGM ont fait, ou pourrait faire pour l’un d’entre eux, l’objet d’autorisations pour leur importation, autorisations délivrées par la Commission européenne depuis le 4 juillet 2024. Suite à l’absence de majorité au sein des États membres, à qui les propositions de décision furent soumises, la Commission européenne a finalement décidé d’autoriser la commercialisation de ces OGM. Le Parlement européen n’est pas consulté dans la procédure d’autorisation. Il a néanmoins la capacité de faire valoir si, à son avis, un acte d’exécution pris par la Commission « excède les compétences d’exécution prévues »ii.
Trois maïs transgéniques « originaux »
Parmi les 16 maïs concernés, 3 sortent du lot du fait des mécanismes utilisés. Il en est ainsi du maïs Mon94804 de l’entreprise Bayer qui a été génétiquement modifié pour produire une molécule appelée micro ARN interférent (miARN). Exprimée par la plante par le biais d’un transgène inséré dans le génome, cette molécule interfère avec l’expression d’autres séquences génétiques en les éteignant, ce qui aboutit à réduire la teneur en acide gibbérellique, une molécule impliquée dans la croissance des plants. Ce faisant, la caractéristique revendiquée par Bayer pour ce maïs est celle d’une taille de plant moins élevée. La seconde originalité de ce maïs est l’affirmation donnée par l’entreprise dans le dossier publiciii qu’elle n’a pas l’intention de commercialiser ce maïs. Bayer explique avoir demandé cette autorisation dans le but de pour pouvoir empiler cette caractéristique à d’autres caractéristiques par le biais de croisement entre plantes OGM. L’explication de cette manière de faire est ici légale puisque la procédure d’autorisation européenne impose qu’une plante OGM contenant, par exemple, trois modifications génétiques revendiquées (on parle alors de plante OGM empilée) ne peut être autorisée que si chacune des modifications ont été autorisées une par une.
Les deux autres maïs « originaux » sont les maïs DP915635 et DP023211, auxquels Inf’OGM a déjà consacré un articleiv. La particularité de ces deux maïs tient en effet au fait qu’ils ont été obtenus en suivant des protocoles techniques de modification génétique complexes puisque utilisant des cellules isolées et multipliées in vitro : plusieurs outils, comme des transgènes ou le complexe enzymatique Crispr/Cas, des séquences transgéniques codant pour un nouveau type de protéines insecticides issues de fougères, des séquences transgéniques codant pour des molécules d’ARN interférent… Une grande complexité pour obtenir deux maïs dont les caractéristiques revendiquées sont courantes dans les OGM : une résistance à des herbicides et la production de protéines insecticides. Il est à souligner que la molécule herbicide de glufosinate est interdite en Europe.
Liste des OGM autorisés à l’importation par la Commission européenne auxquels se sont opposés les eurodéputes le 26 novembre 2024
Maïs OGM | Nature d’autorisation | Entreprise | Caractéristiques |
---|---|---|---|
Mon89034*1507*Nk603 | Alimentation humaine et animale (renouvellement) | Corteva | Tolérance aux herbicides (glyphosate) Résistance à des insectes |
COT102 | Alimentation humaine et animale (1ère autorisation) | Syngenta | Résistance à des insectes |
Mon89034*1507*Mon88017*59122 (et huit sous-combinaisons) | Alimentation humaine et animale (renouvellement) | Corteva | Tolérance aux herbicides (glyphosate et glufosinate) Résistance à des insectes |
Mon810 | Alimentation humaine et animale (renouvellement) | Bayer | Résistance à des insectes |
DP915635 | Alimentation humaine et animale (1ère autorisation) | Pioneer | Tolérance aux herbicides (glufosinate) Résistance à des insectes |
DP023211 | Alimentation humaine et animale (1ère autorisation) | Pioneer | Tolérance aux herbicides (glufosinate) Résistance à des insectes |
DP202216 | Alimentation humaine et animale (1ère autorisation) | Pioneer | Tolérance aux herbicides (glufosinate) Rendement potentiel accru |
Mon94804 | Alimentation humaine et animale (1ère autorisation) | Bayer | Hauteur de plant réduite (par interférence à miARN) |
Le Parlement européen s’inquiète des importations
Outre des inquiétudes quant à certains manques dans l’évaluation des risques, le Parlement européen écrit dans ses résolutions adoptées fin novembre s’inquiéter de l’approche même que constituent ces autorisations commerciales. Il rappelle ainsi à la Commission européenne, dans chacune des objections votées, « que l’un des enseignements tirés de la crise de la COVID–19 et de la guerre qui se poursuit en Ukraine est que l’Union doit mettre fin à sa dépendance à l’égard de certaines matières critiques », parmi lesquelles les aliments importés pour nourrir les animaux en Europe. Il souligne à cette fin que « dans sa lettre de mission à Christophe Hansen, commissaire désigné [pour l’agriculture et l’alimentation], la présidente de la Commission, Ursula von der Leyen, lui demande d’examiner les moyens de réduire les importations de produits de base critiques ».
Autre sujet, autre inquiétude : la nécessaire garantie de « conditions de concurrence équitables au niveau mondial et [le nécessaire respect des] obligations internationales de l’Union ». A ce titre, le Parlement rappelle à la Commission européenne que le dialogue stratégique sur l’avenir de l’agriculture dans l’UE a conclu sur une demande à la Commission de « reconsidérer son approche de l’accès des importations et des exportations agroalimentaires aux marchés étant donné les difficultés découlant de normes divergentes entre l’Union et ses partenaires commerciaux ». Une demande d’autant plus d’actualité pour les eurodéputés que, « lors des manifestations de 2023 et 2024, l’une des grandes revendications des agriculteurs concernait l’instauration, à l’échelon mondial, de relations commerciales plus équitables et compatibles avec les objectifs d’un environnement sain ».
Des décisions légales mais peu démocratiques
Comme nous l’avons vu, la Commission européenne a finalement pris la décision finale pour ces 16 autorisations, du fait d’un processus législatif mobilisant en premier lieu les États membres. Conformément à la procédure établie par la législation européenne, la Commission européenne a d’abord choisi de proposer aux États membres des décisions d’autorisation pour chacun des 16 OGM concernés, sur base d’avis favorables rendus par l’Autorité européenne de sécurité des aliments (AESA). Les États membres ont ensuite voté par deux fois (un « appel » est prévu si le premier vote n’est pas conclusif pour une autorisation), mais n’ont pas atteint de majorité. Ce faisant, la Commission a hérité de la décision finale, qui pouvait être un refus ou une délivrance d’autorisation. Elle a donc choisi l’autorisation. Le Parlement européen, qui rappelle son opposition répétée aux autorisations commerciales délivrées pour des OGM depuis dix ans, écrit que si la Commission « reconnaît elle-même les lacunes démocratiques, le soutien insuffisant des États membres et les objections du Parlement », elle continue néanmoins « d’autoriser les OGM ». Ces décisions de la Commission européenne sont qualifiées par le Parlement européen comme étant le fruit d’un « processus décisionnel non démocratique ».
Le Parlement européen a donc demandé, pour chacun des 16 OGM, que la Commission européenne abroge la décision qu’elle a prise ou qu’elle retire son projet de décision. Une demande qui n’a que peu de chance d’aboutir, la Commission européenne n’ayant jamais répondu favorablement aux objections du Parlement européen.
i Parlement européen, « Textes adoptés », mardi 26 novembre 2024, Strasbourg.
ii Article 11 du « RÈGLEMENT (UE) N o 182/2011 DU PARLEMENT EUROPÉEN ET DU CONSEIL
du 16 février 2011 établissant les règles et principes généraux relatifs aux modalités de contrôle par les États membres de l’exercice des compétences d’exécution par la Commission », Journal officiel de l’Union européenne, 28 février 2011.
iii EFSA, « Dossier number: GMFF-2022-10651 ».
iv Eric Meunier, « Transgenèse, Crispr/Cas9, ARNi… package total pour deux maïs OGM ! », Inf’OGM, 29 octobre 2024.