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Limagrain, une « coopérative » qui a toujours misé sur les OGM
Derrière son étiquette de coopérative agricole auvergnate, Limagrain s’affirme désormais comme un acteur mondial des OGM. Le groupe fait leur promotion depuis de nombreuses années. En mars dernier, son directeur général, Sébastien Chauffaut, s’est montré optimiste quant à une déréglementation prochaine des OGM/NTG, qu’il souhaite commercialiser dès 2029i. Retour sur la stratégie OGM de Limagrain, mêlant privilège étatique et lobbying.

Fondée en 1965, la coopérative agricole Limagrain est devenue un acteur majeur de l’industrie semencière : quatrième producteur de semences mondialii et premier en potagères via l’acquisition de, notamment, Vilmorin (1975) et Clause (1996). Cultivant une image de proximité et de tradition, la coopérative mène cependant depuis longtemps un plaidoyer pro-OGM. Rien d’étonnant car, dès les années 90, Limagrain déposait des demandes de brevets liés à la transgenèseiii. L’engagement de Limagrain dans les biotechnologies est même plus ancien, avec la création de Biocemiv en 1986, puis la participation à la création de Biogemma en 1997, société de recherche en biotechnologies végétales.
Une coopérative singulière construite avec l’État
Sa création par des agriculteurs du Puy-de-Dôme a aidé Limagrain à façonner son image de modèle de réussite coopérative. Mais la coopérative s’est métamorphosée au fil des ans. Avec ses filiales semences, son investissement dans la recherche biotechnologique et ses alliances internationales, Limagrain agit aujourd’hui comme une entreprise multinationale implantée dans 53 pays répartis sur tous les continents. Cette transformation se retrouve dans sa gouvernance hybride : d’un côté, un fonctionnement coopératif fondé sur la participation d’agriculteurs adhérents et, de l’autre, une stratégie industrielle mondiale qui suit des logiques économiques similaires à celles des grandes entreprises privées.
Cette trajectoire a aussi été rendue possible par un soutien déterminant de l’État françaisv. Dès les années 1950, l’Institut national de la recherche agronomique (Inra, aujourd’hui Inrae) – institution publique – collabore étroitement avec Limagrain pour développer des variétés de semences hybrides adaptées aux conditions de précocité de l’hémisphère nord. Ce partenariat débouche notamment sur la création du LG11, premier hybride de maïs inscrit au catalogue officiel en 1970.
Forte de ce soutien publique, Limagrain structure sa croissance autour d’un modèle intégrant recherche (plus de 100 centres), production, transformation et commercialisation. Si les acquisitions de Vilmorin et Clause ont beaucoup contribué au développement international de Limagrain, c’est son long parcours d’acquisitionsvi qui lui permet aujourd’hui d’être présent sur plus de 90 % des surfaces mondiales cultivées en maïsvii. En parallèle, Limagrain a renforcé son emprise sur les pratiques agricoles par un système de semences hybrides (encore en développementviii) qui ne peuvent être ressemées et des cahiers des charges très stricts imposés à ses membres .
Limagrain a également renforcé sa présence dans le secteur des biotechnologies végétales en participant à la création d’Innoléa en 2019, une nouvelle société dédiée à la recherche sur les espèces oléagineuses initialement conduite par Biogemma. Innoléa regroupe trois acteurs majeurs de l’obtention variétale en France (Lidea Seeds, Limagrain et RAGT Semences) ainsi que le fonds d’innovation des huiles et protéines végétales porté par Sofiprotéol. Parallèlement, à travers sa filiale Vilmorin, Limagrain a acquis en 2019 des droits de licence sur des NTG (Crispr-Cas 9 et Crispr Cpf1) dans le cadre d’un partenariat stratégique avec Corteva et le Broad Instituteix. Ces développements illustrent une évolution marquante pour Limagrain, dont l’activité historique de semencier traditionnel s’élargit désormais vers des outils biotechnologiques bien éloignés de son métier d’origine. Bien que n’étant pas un acteur dans le domaine de la chimie à l’origine, Limagrain affiche désormais l’ambition de reprendre, lorsque cela sera possible, une activité de vente de pesticides, notamment en lien avec le développement des NGTx.
On observe également que, dans une logique de diversification de ses activités au-delà des semences, Limagrain a, au fil du temps, investi dans l’agroalimentaire en rachetant plusieurs marques emblématiques du secteur, telles que Brossard, Jacquet ou encore Crêperie Le Breton.
Une stratégie d’influence planifiée
Dès le début des années 2010, Limagrain promeut les OGM obtenus par de « nouvelles » techniques de modification génétique dans les arènes décisionnelles française et européenne. Depuis, à l’instar des grandes multinationales de la semence, l’entreprise s’efforce de convaincre un maximum d’acteurs que les OGM/NTG doivent être distingués des OGM transgéniques, l’objectif étant de les soustraire à la réglementation de Bruxelles.
En France, Limagrain s’inscrit en février 2018 au registre des « représentants d’intérêts » de la Haute autorité pour la transparence de la vie publique (HATVP)xi. L’entreprise auvergnate sollicite l’HATVP à plusieurs reprises sur les sujets « NBT » (New breeding techniques, ancienne appelation des NTG) puis NTG. Ainsi, Limagrain viendra le 9 octobre 2020 auprès de l’HATPV « partager ses inquiétudes sur les conséquences de la décision du Conseil d’État du 7 février 2020 », qui exigeait que les VRTH obtenues par « mutagenèse in vitro » respectent la réglementation OGMxii.
Dans sa stratégie d’influence, Limagrain contribue aux consultations publiques, participe à des panels d’experts, publie des tribunes et notes de position… En 2016, huit organisations, dont la Confédération paysanne, France Nature Environnement et Greenpeace, suspendent leur participation au Haut Conseil des Biotechnologies (HCB) pour dénoncer une emprise croissante de l’industrie semencière sur le Conseil et le manque d’impartialité de ce dernierxiii. A la même époque, des organisations mettent la lumière sur une autre arme des multinationales semencières : la sémantique. En prétendant que les nouvelles techniques de modification génétique ne donnent pas des OGM et qu’elles ne feraient que mimer des mutations naturelles, l’industrie semencière décide de ne plus employer le terme OGM. La Commission s’emparera de cette stratégie jusqu’à être désavouée par la CJUE en juillet 2018, puis à nouveau en 2023.
Limagrain ne se contente pas d’agir en France. Le groupe est un membre influent d’Euroseeds, principal lobby de l’industrie semencière à Bruxelles. En 2022, lors de la consultation lancée par la Commission européenne sur les NTG, la majorité des contributions positives émanaient de telles organisations ou d’experts liés à l’industriexiv. En outre, certains membres du panel scientifique OGM de l’Autorité européenne de sécurité des aliments (AESA) ont eu des liens passés avec Limagrainxv. L’association allemande Testbiotech a, de son côté, révélé que certains de ces experts avaient déposé des brevetsxvi sur des plantes issues de NTGxvii, une situation qui alimente les soupçons de conflits d’intérêts.
Des arguments bien rodés
Dans un appel publié en décembre 2023xviii, le président de Limagrain, Sébastien Vidal, demande un soutien de la France aux NTG, les estimant « indispensables pour soutenir la transition vers une économie résiliente et un système alimentaire durable ». Le message était clair : « Bien loin des épouvantails que l’on tente de nous dresser, les plantes issues des NTG n’ont rien d’ « OGM cachés » comme certains le prétendent : il n’y a aucune introduction d’ADN étranger ». Des propos erronés, mais relayés comme évidents dans la presse agricole et lors d’interventions publiques. En mars 2025, dans un entretien accordé à l’Association Française des Journalistes Agricoles (AFJA), le directeur général de Limagrain, Sébastien Chauffaut, enfonce le clou en déclarant : « les semences incarnent un levier stratégique majeur : elles ne se limitent pas à un rôle productif, mais s’inscrivent dans une logique de pouvoir et d’influence ».
Limagrain utilise ainsi des arguments d’efficacité, de souveraineté alimentaire et de compétitivité face à la concurrence internationale. Un discours qui trouve certainement un écho favorable chez certains parlementaires et ministères, soucieux d’afficher leur soutien à la « recherche française » et en faveur de la souveraineté alimentaire.
Comme le rappelle l’AFJAxix, Limagrain utilise les NTG en recherche depuis 2017 et prévoit les premières commercialisations en 2029 pour le blé et le maïsi. On notera que Limagrain commercialise déjà des variétés de blé tolérantes aux herbicides Clearfield, en particulier en Amérique du Nord, où ses filiales aux États-Unis et au Canada proposent des blés adaptés aux conditions locales, en partenariat avec BASF.
Une multinationale comme les autres
La trajectoire de Limagrain soulève une question centrale : peut-on être une coopérative et mener un lobbying digne d’une multinationale ? Avec ses milliers de coopérateurs, ses prises de participation internationales et son influence politique, le groupe incarne une forme hybride, celle d’une soit-disant coopérative contrôlant une multitude de sociétés industrielles.
Limagrain est devenu un acteur comme un autre du complexe agro-industriel, soucieux de protéger ses parts de marché plus que l’intérêt des paysans. Symbole marquant de cette évolution, sa filiale Vilmorin, longtemps emblème national des semences traditionnelles, détient désormais elle aussi d’importants brevets sur des modifications génétiques. Pour exemple, le brevet EP3629711 couvrant un caractère de résistance/tolérance au virus du fruit rugueux de la tomate brune (ToBRFV). Compte tenu de l’importance de ce trait génétique pour de nombreux cultivateurs de tomates, ce brevet (ou d’autres) pourrait, comme le laisse entendre l’ONG No Patent on Seedsxx, faire l’objet d’oppositions afin de défendre les droits de tels utilisateurs de ressources génétiques.
Présenté par ses soutiens comme un champion national à vocation internationale, Limagrain n’en reste pas moins redevable d’une transparence rigoureuse sur des pratiques de lobbying souvent opaques. Or, la multinationale a récemment choisi de s’affranchir davantage de telles obligations en retirant sa filiale Vilmorin de la Bourse, par le rachat de l’ensemble de ses actions, ce qui lui permet de ne plus publier le détail de ses comptes.
i Mouhamed Ben Diene, « Les semences … de véritables armes diplomatiques », JA Mag, 19 mars 2025.
ii Limagrain, « Les chiffres-clés de l’exercice 2023-2024 de Limagrain et nos métiers », 5 décembre 2024.
iii INPI, Demande de brevet Limagrain FR2709496 du 30 août 1993, « Procédé de production de plantes transgéniques, entièrement transformées en génération T0 à partir de méristèmes ».
iv Biocem visait à appliquer les avancées de la biotechnologie à l’amélioration des semences, notamment celles de maïs et de blé, en développant des variétés plus performantes et résistantes aux maladies.
v Christophe Bonneuil et Frédéric Thomas, « Semences : une histoire politique. Amélioration des plantes, agriculture et alimentation en France depuis la Seconde Guerre mondiale », p. 89-90, ECLM, 2012.
vi Limagrain, « Près de 60 ans d’audace et de passion ».
vii Fabien Benoît et Antoine Boureau, « Comment la coopérative Limagrain a bâti un empire des semences avec l’aide de l’État », Reporterre, 11 mai 2024.
viii En 2021, Limagrain publiait dans le journal Nature un article décrivant la découverte de gènes pouvant faciliter la création de blés hybrides :
Melonek, J., Duarte, J., Martin, J. et al., « The genetic basis of cytoplasmic male sterility and fertility restoration in wheat », Nat Commun 12, 1036 (2021).
Ces travaux font l’objet de demandes de brevet PCT : WO2019086510 du 31/10/2018 et WO2020161261 du 6/02/2020 couvrant l’utilisation de orf279, Rf1 et Rf3 dans le contrôle de la fertilité mâle du blé pour la production d’hybrides.
ix Chris Lusvardi, « Vilmorin & CIE Signs A New Agreement On Genome Editing Techniques With the Broad Institute », Seed Today, 12 décembre 2019.
x « NGT, pesticides : la feuille de route de Limagrain », Agra Presse, 20 mars 2025.
xi La Haute Autorité pour la transparence de la vie publique (HATVP) est une autorité administrative indépendante (AAI) chargée d’une mission de service public : promouvoir la probité et l’exemplarité des responsables publics.
xii HATPV, Limagrain (voir onglet « Action »)
xiii Christophe Noisette, « HCB : une neutralité très relative sur le dossier des nouvelles biotechnologies », Inf’OGM, 10 mars 2016.
xiv Commission européenne, Consultation « Législation applicable aux végétaux produits à l’aide de certaines nouvelles techniques génomiques », avril 2022.
xv Charlotte Krinke, « AESA : une agence assez peu indépendante et transparente », Inf’OGM, 28 avril 2023.
xvi Selon une recherche effectuée sur la base Lens.org, Limagrain détient 278 familles de brevets, la première datant de 1978.
xvii Testbiotech, « NGT plant developers take over the EFSA GMO panel », 5 septembre 2024.
xviii Pleinchamp, « NTG, le plaidoyer Limagrain », 12 décembre 2023.
xix Mouhamed Ben Diene, « Les semences … de véritables armes diplomatiques », JA Mag, 19 mars 2025.
xx No patents on seeds, « The tomato Jordan Virus », 2024.