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Des enzymes issues d’OGM utilisées dans l’alimentation

Par Eric MEUNIER

Publié le 10/10/2023, modifié le 09/01/2024

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Entre 2005 et 2023, l’Autorité européenne de sécurité des aliments (AESA) a reçu et étudié 601 demandes d’autorisation commerciale concernant des enzymes produites par des micro-organismes. Ces protéines capables de catalyser des réactions chimiques occupent une place de choix dans l’industrie agro-alimentaire. Dans le cadre de notre enquête, Inf’OGM a consulté les 601 dossiers : près de la moitié concernent des enzymes produites par des micro-organismes génétiquement modifiés (MGM) !

Bactéries, levures, champignons, mais également animaux, végétaux, tout organisme vivant produit des enzymes. Ces protéines ont un rôle fondamental : elles catalysent les nécessaires réactions chimiques pour que le vivant puisse… vivre. Depuis quelques décennies, une partie du monde industriel s’est spécialisée dans la production de ces enzymes. Ces dernières peuvent en effet être utilisées dans l’industrie de « transformation des aliments, alimentation animale, soins de santé, textiles, transformation du cuir, détergents et nettoyants, biocarburants, cosmétiques… », et elles le sont [1]. Pour les produire, les industriels ont leurs usines de production préférées, les micro-organismes, qu’ils soient génétiquement modifiés ou non.

Une production industrielle OGM hors des radars

En Europe, les enzymes utilisées dans l’alimentation humaine ou animale doivent faire l’objet d’un feu vert de l’AESA. Cette instance met donc à disposition des citoyens maîtrisant l’anglais des dossiers très technique en accès libre, mais difficile. Sur les 723 dossiers déposés entre 2005 et juillet 2023 qu’Inf’OGM a pu étudier [2], 601 concernent des enzymes destinées à l’alimentation humaine ou animale [3]. Les autres dossiers concernent des vitamines ou des additifs. Sur ces 601 dossiers, 242 concernent des enzymes produites par des micro-organismes génétiquement modifiés (MGM) (soit 40,3 % des dossiers consultés). 107 dossiers impliquent des micro-organismes spécifiquement déclarés non-OGM (soit 17 % des dossiers consultés). 252 autres demandes ne fournissent pas assez d’information pour savoir si le micro-organisme utilisé est un OGM ou non.

Rappelons que les utilisateurs de ces enzymes (transformateurs de la chaîne alimentaire par exemple) ne sont pas tenus au courant du processus de production. En effet, depuis 2006 et une décision politique prise par le Conseil de l’Union européenne, les producteurs d’enzymes n’ont pas d’obligation légale d’étiqueter leurs enzymes commercialisées comme produites par des OGM [4]. La 6-phytase et l’alpha-amylase sont deux exemples caractéristiques du dossier des enzymes produites par des MGM.

Nom Nbre de dossier OGM Non OGM Origine inconnue Nbre d’entreprises
6-Phytase 18 13 (76,5 % des dossiers consultés) 0 4 9
Alpha-amylase 54 24 (44,4%) 12 18 17
Autres

(56 enzymes)
529 204 (38,6%) 95 230
Total 601 242 (40,3%) 107 252 137 (50 pour les dossiers MGM)

Les phytases, une production microbienne d’importance

La 6-Phytase appartient à la famille des phytases, qui comprend d’autres enzymes numérotées, comme la 3-phytase, la 4-phytase… Il s’agit d’une famille d’enzymes d’importance dans la filière agro-alimentaire car les phytases occupent, ces dernières années, 40% des parts de marché des enzymes alimentaires. Une de leurs fonctions est de dégrader des molécules complexes de phytates en phosphore. Le phosphore est un sel minéral important dans la croissance des animaux. Mais, pour pouvoir être métabolisé par les animaux, ce phosphore doit être disponible via l’alimentation. Ce que l’on nomme sa disponibilité biologique est devenu un sujet pour la filière d’alimentation animale.

Chez les végétaux, ce phosphore est majoritairement stocké dans une molécule complexe qu’est l’acide phytique, ou phytate. Tout animal ayant une alimentation végétale doit donc être capable de dégrader ces phytates pour récupérer et utiliser le phosphore. Chez les animaux ruminants, cette dégradation se fait naturellement par le biais des enzymes produites par leur microflore. Mais chez les volailles ou porcs, par exemple, animaux non ruminant, cette enzyme n’est pas suffisamment présente ou dans des conditions inadéquates pour que la dégradation naturelle en phosphore des phytates apportés par les végétaux soit suffisante. Si certains végétaux, comme le blé ou le seigle, produisent naturellement suffisamment de phytase, le souci est qu’elle ne libère pas suffisamment le phosphore des matières premières, mais également que « cette phytase naturelle est en partie détruite par les procédés de fabrication des aliments » [5]. Il est dès lors nécessaire de complémenter l’alimentation des animaux. Deux possibilités se présentent :

L’alpha-amylase, une enzyme « façonnée » pour l’industrie

L’alpha-amylase est une des stars des enzymes produites industriellement par des micro-organismes. Elle dégrade l’amidon (un sucre complexe) en plusieurs sucres simples, comme le glucose, le fructose, le maltose. Ce processus a lieu naturellement comme avec la salive qui contient de l’amylase permettant de dégrader l’amidon en maltose. Les utilisations industrielles découlant de cette réaction sont de fait nombreuses : alimentation humaine ou animale, textile, papier, voire détergents industriels.

La production d’alpha-amylase par le biais de micro-organismes a bénéficié de la préférence industrielle du fait d’un plus faible coût économique de production ainsi que d’une plus grande facilité à manipuler les micro-organismes pour leur faire produire l’alpha-amylase désirée [9]. Parmi les caractéristiques recherchées par l’industrie de transformation se trouvent la stabilité des enzymes à diverses températures ou à différentes concentrations salines. La principale utilisation industrielle de l’alpha-amylase est donc celle de la transformation de l’amidon en sirop de glucose ou de fructose. Dans l’alimentation humaine, cette enzyme peut être utilisée en « boulangerie, brassage de bière, la production de gâteaux, de jus de fruit ou d’amidon », tout comme pour pré-digérer des aliments pour animaux.

L’importance de cette enzyme dans les procédés de fabrication industrielle lui donne une place particulière que l’on retrouve dans les dossiers traités par l’AESA. Inf’OGM a ainsi pu consulter 56 demandes d’autorisation, déposées par 17 entreprises différentes [10]. 24 de ces demandes impliquent des MGM, 12 impliquent des micro-organismes non-GM et 18 ne permettent pas d’établir formellement le caractère GM ou non du micro-organisme utilisé.

Une production non-OGM sauvegardée ?

Le suivi des dossiers déposés auprès de l’AESA effectué par Inf’OGM donne une image partielle des modes de production des enzymes. Si beaucoup sont naturellement produites par des animaux, végétaux et/ou micro-organismes, ces derniers ont néanmoins été privilégiés par l’industrie de production d’enzymes. Comme nous l’avons vu, la cause est principalement économique puisque travailler avec des micro-organismes est régulièrement décrit comme moins coûteux. L’irruption des techniques de modification génétique a également renforcé la position de ces micro-organismes, car plus rapides pour travailler. La rapidité de multiplication d’un micro-organisme est en effet sans commune mesure avec les végétaux ou animaux.

Cette vision probablement partielle que fournit la lecture des dossiers déposés auprès de l’AESA fait émerger une interrogation : est-il possible que telle ou telle enzyme ne fasse l’objet de production que par des micro-organismes génétiquement modifiés ? Aux incertitudes près pour les dossiers ne fournissant pas assez d’information, certaines enzymes apparaissent en effet n’avoir fait l’objet de demande d’autorisation que dans le cadre d’une production par des MGM. Il en est ainsi de 35 enzymes dont le nom scientifique est indiqué en note pour épargner le lecteur n’ayant pas fait d’études en biologie [11].

[3L’AESA ne s’intéresse qu’aux enzymes destinées à l’alimentation humaine et animale mais la production d’enzymes avec des micro-organises OGM ou non concerne d’autres domaines industriels, comme la pharmacie, l’agriculture (biocontrôle), les cosmétiques, les peintures, les détergents, les agro-caburants, l’industrie du papier, etc. Une autre enquête mériterait d’être menée sur ces autres utilisations.

[6Jean dit Bailleul, P. et al., « Méta-analyse de l’effet de la phytase dans les aliments pour porcs », Journées Rech. Porcine en France, 33, 43-48, 2001.

[7Classées par nombre de dossiers déposés indiqué entre parenthèse :
DSM Nutritional Products (5), Roal Oy (3), Danisco Animal Nutrition (2), Huvepharma AD (2), Andrés Pintaluba SA (1), BASF (1), Nutrex (1), Syngenta (1), Victory Enzymes GmbH (1).

[8Aspergillus oryzae, Komagataella phaffii, Pichia pastoris, Schizosaccharomyces pombe, Trichoderma reesei.

[9de Souza PM, de Oliveira Magalhães P., « Application of microbial α-amylase in industry – A review », Braz J Microbiol, octobre 2010.

[10Classées par nombre de dossiers déposés indiqué entre parenthèse :
Danisco (13), Novozymes A/S (12), Amano Enzyme Inc (7), DSM Food Specialties B.V. (5), Association of Manufacturers and Formulators of Enzyme Products (4), Intertek Scientific & Regulatory Consultancy (2), Kemin Europa N.V. (2), Sunson Industry Group (2), AB Enzymes (1), Advanced Enzyme Technologies Ltd (1), BASF Enzymes LLC (1), Biozyme (1), Enmex SA de CV, a Kerry Company (1), Framelco B.V. (1), Hayashibara Co (1), HBI Enzymes Inc. (1), Nagase GmBH (1).

[11Classées par ordre alphabétique, il s’agit des enzymes :
4-Phytase, Acetolactate decarboxylase, Acid prolyl endopeptidase, Acylglycerol lipase, Alpha, alpha-trehalase, Amyloglucosidase, Aqualysin 1, Arabinofuranosidase, Asparaginase, Beta-mannanase, Carboxypeptidase C, Cellobiose phosphorylase, Chitinase, Chymosin, Chymotrypsin, D-allulose 3-epimerase, D-Fructose 4-Epimerase, D-tagatose-epimerase SD16, Endothiapepsin, Glucan 1,4-alpha-glucosidase, Glucan 1,4-alpha-maltohydrolase, Glucan 1,4-alpha-maltotetraohydrolase, Hexose oxidase, Invertase, Lipase, Lysophospholipase, Maltogenic amylase, Microbial collagenase, Peroxidase, Phospholipase A1, Phospholipase A2, Phospholipase C, Serine endopeptidase, Serine protease, Sucrose phosphorylase.

Enquête

Les micro-organismes OGM : l'offensive cachée

Aujourd’hui, les micro-organismes génétiquement modifiés (MGM) sont un marché très prometteur sur le plan économique. Les multinationales semencières ont d’ailleurs commencé à l’investir depuis quelques années, souvent en lien avec les entreprises du secteur, dans le cadre de ce qu’on nomme « le biocontrôle ». Pour éclairer ce domaine méconnu, Inf’OGM a mené une enquête pendant plusieurs mois. Nous avons dépouillé des centaines de demandes d’autorisation pour des micro-organismes utilisés comme usines de fabrication d’enzymes, édulcorants, vitamines, ou autres additifs alimentaires. Des produits issus d’OGM invisibles pour les transformateurs et les consommateurs, leur étiquetage et traçabilité n’étant pas exigés par le législateur. Dans le cas des édulcorants, les entreprises peuvent même avoir une communication volontairement trompeuse. Ces entreprises s’organisent par des jeux d’alliance, de fusion et d’acquisition jusqu’à former un secteur industriel très peu diversifié. Comme dans le monde de la semence, elles ne sont que quelques-unes à dominer le marché.

1

Micro-organismes et industrie : un marché très, très concentré

2

UE : des vitamines et additifs produits par des OGM

3

Des enzymes issues d’OGM utilisées dans l’alimentation

4

Micro-organismes OGM : des usines de production bien discrètes

5

Pas d’étiquetage pour les additifs produits par des micro-organismes OGM

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