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Brevets et OGM : des solutions différentes selon les acteurs
Depuis juillet 2023, la question des brevets sur le vivant est au cœur des débats dans l’Union européenne. Ces débats ont surgi à la faveur de la proposition de la Commission européenne d’arrêter d’évaluer les risques liés aux OGM, d’arrêter de les étiqueter comme tel, ou encore de mettre fin à leur détection. En décembre 2024, une conférence a permis à plusieurs acteurs du débat d’exprimer leur position.
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Le 9 décembre 2024, l’eurodéputé allemand Martin Häusling organisait une conférence en lignei sur le sujet des brevets et des nouvelles techniques de modification génétique. Des acteurs comme la Coordination européenne de la Via Campesina (ECVC), le collectif No Patent on Seeds (NPoS) ou la Copa-Cogeca ont pu confronter leurs points de vueii. Les multinationales ont également eu l’occasion de s’exprimer via la structure Euroseeds. Cette conférence a permis de mettre en balance les différentes approches sur la question des brevets.
Copa-Cogeca, ECVC, NPOS… des solutions aux antipodes !
Pour la Copa-Cogeca, une structure représentant des organisations professionnelles agricoles et des coopératives agroalimentaires, les questions de la déréglementation des OGM et des brevets doivent être traitées séparément. Sa proposition est donc simple : adopter au plus vite la déréglementation des OGM et remettre à plus tard le problème posé par les brevets. La Copa-Cogeca estime par ailleurs qu’une réflexion devra être menée pour « trouver un moyen de mixer [les] deux systèmes de droits sur les variétés végétales » existants en Europe, à savoir le Certificat d’Obtention Végétal (COV) d’une part et le brevet d’autre part.
Comme il l’a récemment rappelé en réaction à une proposition de solution par la Pologneiii, le syndicat agricole européen qu’est ECVC estime de son côté qu’un des problèmes majeurs de la déréglementation proposée par la Commission européenne concerne « les risques de confiscation de toute la biodiversité cultivée et de contrôle de la chaîne alimentaire par les brevets d’une poignée de sociétés semencières ». ECVC a fait valoir qu’un des points clefs est de maintenir l’obligation existante pour les producteurs d’OGM de fournir les procédés de détection et d’identification permettant de tracer les produits obtenus par de nouvelles techniques. Car, à défaut, « les paysan.ne.s et les semenciers traditionnels qui utilisent ou commercialisent des semences contenant naturellement ou suite à des contaminations une séquence génétique semblable à une séquence brevetée par des NTG n’auront plus aucun moyen de s’opposer à des poursuites abusives en contrefaçon du brevet ».
Pour la coalition européenne No Patents on Seeds, l’objectif de l’Union européenne devrait au moins être « d’exclure complètement les plantes sélectionnées de manière conventionnelle du droit des brevets »iv. NPoS estime qu’une marge de manœuvre suffisante existe « pour appliquer une interdiction de breveter les plantes obtenues par mutagénèse aléatoire ». Bien que cette notion de « mutagénèse aléatoire » ne soit pas définie juridiquement, la coalition propose que cette technique de modification génétique soit considérée comme un procédé essentiellement biologique et soit, à ce titre, non brevetable, tout comme les produits obtenusv.
Euroseeds propose une solution pour le moins imprécise
Au cours de cette conférence, un autre acteur a pu s’exprimer. Il s’agit d’Euroseeds, structure représentant les multinationales semencières. Par la voix de Petra Jorasch, Euroseedsvi a exposé son point de vue avec des propositions déjà publiées en juillet 2024vii,mais alors passées plutôt inaperçues. En lien avec le dossier des techniques de modification génétique, les multinationales semencières proposent donc quelques mesures qui, selon elles, permettraient de garantir un système de protection de la propriété intellectuelle, tout en maintenant un accès aux matériel végétal pour les semenciers.
Ainsi, une proposition des multinationales qui s’expriment via Euroseeds est par exemple directement liée au dossier des OGM. Affirmant qu’elle soutient depuis longtemps le principe d’exclusion de procédés dits « essentiellement biologiques » de la brevetabilité, Euroseeds propose que cette exclusion soit étendue à tous procédés « donnant des résultats non reproductibles (comme la mutagénèse aléatoire utilisant des produits chimiques ou l’irradiation et la fusion de protoplastes) ». En termes plus simples, les multinationales souhaitent qu’une technique de modification génétique qu’elles appellent « mutagénèse aléatoire » (sans la définir) soit considérée comme non brevetable en bénéficiant du même régime que les procédés essentiellement biologiques. Elles précisent que les produits obtenus doivent également être exclus de la brevetabilité. Il est important de souligner ici que cette proposition, combinée à l’absence d’obligation de fournir une méthode de détection et d’identification des OGM comme proposée par la Commission européenne, permettrai aux multinationales de commercialiser des OGM brevetés sans avoir à les déclarer comme tels. Il en fut ainsi de Cibus et son canola 5715. Présenté et autorisé initialement au Canada comme obtenu par mutagénèse dirigée par oligonucléotides, ce canola OGM fut déclaré en Europe avoir été en fait obtenu par « mutagénèse aléatoire ». Grâce à ce chagement, Cibus espérait échapper à une décision de 2018 prise par la Cour de Justice de l’Union européenneviii.
Autre proposition, celle visant à limiter la portée d’un brevet. Euroseeds estime important que « les effets d’un brevet produit sur du matériel biologique ne s’étende pas à quelque matériel biologique que ce soit qui a les mêmes propriétés mais qui sont apparus naturellement ou sont le résultat de procédés indirects et donc non reproductibles comme la mutagénèse aléatoire et la fusion de protoplaste ». Mais l’organisation ne demande pas pour autant que la fourniture d’une méthode de détection et d’identification des OGM soit maintenue ; pourtant seule et unique condition à laquelle une telle proposition pourrait paraître faisable.
D’une manière plus large, et rejoignant la Copa-Cogeca dans son analyse, Euroseeds estime que les deux systèmes de propriété intellectuelle que sont le COV « pour protéger une variété végétale et les brevets pour protéger les technologies et caractéristiques obtenues par des procédés biotechnologiques » doivent être soutenus et améliorés. L’organisation propose par exemple « de renforcer et améliorer le COV » pour permettre aux semenciers de résoudre les difficultés qu’ils rencontrent à faire valoir leurs droits sur les semences de ferme (information de la part des paysans et collecte de la « juste rémunération » que ces paysans doivent payer).
Dernier exemple de proposition, celle faite pour les semenciers. Euroseeds recommande que l’exemption du sélectionneur prévu dans le droit des brevets dans certains pays (comme la France) soit adoptée par d’autres pays. Cette exemption prévoit un accès des semenciers aux variétés brevetées dans le cas de travaux d’amélioration variétale. Une exemption qui vaut pour la phase de recherche, mais pas pour la phase de commercialisation, comme l’avait expliqué la RAGT et Florimond Desprez en 2023ix.
i Martin Häusling, « Freier Zugang zu Saatgut- Für ein krisensicheres Ernährungssystem », 9 décembre 2024.
ii Pour les points de vue d’ECVC et NPOS, voir :
Denis Meshaka, « Brevets sur les OGM : sortir de l’impasse est-il possible ? », Inf’OGM, 31 mai 2025.
Pour le point de vue de la Copa-Cogeca, voir :
Eric Meunier, « Les ambiguïtés de la Copa-Cogeca sur le sujet des brevets dans le végétal », Inf’OGM , 23 janvier 2024.
iii ECVC, « Nouveau OGM et brevets : les solutions illusoires de la Pologne », 14 janvier 2025.
iv NPoS, « What can be achieved at EU level against patents on seeds? », 9 décembre 2024.
v Christoph Then (No Patents on Seeds!), « Short comment on the expert opinion: “Legal options for changing the patent protection of plants in Germany, Europe and international law – Expert opinion commissioned by the Bundestagsfraktion Bündnis 90 /Die Grünen” », décembre 2024.
vi Martin Häusling, « Freier Zugang zu Saatgut- Für ein krisensicheres Ernährungssystem », de 57min50sec à 1h59, décembre 2024.
vii Euroseeds, « Euroseeds View on Intellectual Property », 4 juin 2024.
viii Eric Meunier, « Colza Cibus : une mutation aux origines mystérieuses », Inf’OGM, 29 septembre 2020. Eric Meunier, « Canola OGM : le gouvernement canadien au secours de Cibus », Inf’OGM, 10 novembre 2020.
ix Eric Meunier, « Des semenciers dénoncent les brevets, mais… », Inf’OGM, 21 mars 2023.