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Des organisations de la société civile inquiètes de l’issue du trilogue sur les OGM/NTG

Par Denis MESHAKA

Publié le 28/10/2025, modifié le 05/11/2025

    
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Alors que le trilogue sur le règlement des nouvelles techniques de modification génomique (NTG) se poursuit, des organisations de la société civile expriment leurs inquiétudes quant à l’issue des discussions, en particulier sur la question des brevets. En témoignent deux prises de position récentes : celles de la Coordination européenne de la Via Campesina (ECVC) et d’Arche Noah, qui illustrent leur mobilisation autour de ce débat crucial, à un moment clé où les arbitrages européens sont en cours.

L’issue du trilogue (négociation entre les représentants du Parlement, du Conseil et de la Commission européenne) en cours sur le règlement des NTG reste incertaine, notamment au sujet des brevets couvrant les OGM obtenus par ces techniques. ECVC et Arche Noahi ont analysé les positions du Parlement et du Conseil européens. Chacune des organisations présente son avis dans sa propre note d’informationii iii. Ces notes interviennent au moment stratégique du trilogue où les arbitrages se jouent et où les études d’impact des brevets, demandées par la Commission européenne en juillet 2023iv, pourraient réduire, ou au contraire conforter, leurs inquiétudes. Nous mettons en avant deux aspects de ces notes qui pèsent dans le débat : « l’exception du sélectionneur » et la traçabilité des produits issus de NTG.

Étendre « l’exception du sélectionneur »

Les discussions en cours concernent un sujet de fond sur les brevets, qui a pris récemment plus de place : « l’exception du sélectionneur »v. Dans le droit des obtentions végétales, cette exception permet aux sélectionneurs d’utiliser librement des variétés couvertes par un certificat d’obtention végétale (COV) pour en sélectionner de nouvelles variétés, sans demander l’autorisation du détenteur des droits ni payer de droits de licence. Ce principe garantit un accès ouvert au matériel végétal et encourage a priori la diversité de l’offre commerciale de nouvelles semences. En revanche, dans le droit européen des brevets, cette exception est pour l’instant limitée à l’expérimentation et la recherche. Or, cette dernière reste insuffisante pour préserver la liberté de sélection face à l’expansion des brevets sur des séquences ou informations génétiques présentes dans des plantes issues de sélections paysannes ou traditionnelles. Ainsi, l’idée de créer une « exemption totale pour les sélectionneurs », laissant les sélectionneurs libres d’utiliser des matériaux biologiques brevetés pour sélectionner et commercialiser de nouvelles variétés, fait son chemin. Ce mécanisme est décrit ainsi par les juristes allemands Metzger, Hertz et Kockvi : « si l’utilisation d’un procédé breveté pour la fabrication d’une plante [issue de] NTG nécessite toujours une licence, l’utilisation des plantes [issues des NTG] par les obtenteurs, qui créent et commercialisent de nouvelles variétés végétales, ne serait pas couverte par le brevet ».

Arche Noah soutient une telle proposition d’exception totale pour les sélectionneurs. Cette association reproche au système européen actuel des brevets d’ignorer l’exception du sélectionneur en empêchant l’utilisation du matériel breveté (contenant par exemple un gène associé à une résistance à un ravageur) pour développer et commercialiser de nouvelles variétés. Arche Noah estime que cette restriction freine l’innovation et limite la diversité cultivée. Dans sa note d’information, l’ONG précise sa position pour l’exemption totale : « Les sélectionneurs ne seraient plus tenus d’obtenir l’autorisation du titulaire du brevet ni de payer des redevances s’ils développent (ou ont développé) une variété présentant les mêmes caractéristiques, à condition qu’ils n’aient pas utilisé le procédé breveté et qu’ils recourent essentiellement à des procédés biologiques tels que le croisement ou la sélection (mais pas exclusivement) ». Arche Noah étend sa position à la situation des agriculteurs : « Dans le même esprit, les agriculteurs qui multiplient ou propagent une variété présentant les mêmes caractéristiques que celles revendiquées dans le brevet, mais obtenue sans utiliser le procédé breveté, peuvent également le faire sans l’autorisation du titulaire du brevet ».

C’est sur ce dernier point qu’ECVC, en tant qu’organisation paysanne, met essentiellement l’accent. Elle considère que les brevets sur les semences menacent non seulement le travail des sélectionneurs, mais aussi les droits fondamentaux des paysans à conserver, échanger et réutiliser leurs semences. Pour ECVC, la concentration du pouvoir entre les mains de quelques multinationales semencières accentue la dépendance des agriculteurs et fragilise la souveraineté alimentaire. L’organisation, qui s’est toujours opposée à l’Union internationale pour la Protection des Obtentions Végétales (UPOV) depuis sa réforme de 1991, cite sans la cautionner l’existence de cette demande d’exception totale de l’obtenteur formulée par de nombreux semenciers et reprise par Arche Noah. Elle évoque le fait « d’aligner le droit des brevets sur les dispositions du brevet unitaire européen et de l’UPOV qui permettent à un obtenteur de réutiliser librement une variété couverte par un COV afin d’en sélectionner une nouvelle, qui ne peut cependant être commercialisée qu’après suppression de la matière biologique ou de l’information génétique brevetée ». ECVC rappelle en effet que cette solution, « si elle a en effet certains mérites pour le secteur semencier, ne résout absolument pas les risques majeurs auxquels seront confrontés les paysan.ne.s en cas de déréglementation des NTG : interdiction d’utiliser et de réutiliser leurs propres semences issues de la récolte d’OGM/NTG ou, pour certaines espèces, obligation de paiement de redevances, interdiction de facto des sélections paysannes adaptatives face au risque de poursuites abusives en contrefaçon, biopiraterie, risques de poursuite de saisie de leur récolte en cas de contaminations génétiques, etc. ».

Une limitation de la portée des brevets via cette « exception totale » peut être envisagée sans avoir à modifier la Convention sur le brevet européen. Révision qui est, quoi qu’il en soit, illusoire à court termevii. Il s’agirait d’introduire des articles précisant une nouvelle règle d’application du droit des brevets prenant en compte les récentes évolutions des techniques de modification génétique, directement dans la directive européenne 98/44 (complétant ses articles 8 et 11) et/ou dans les législations nationales en matière de brevets des États membres de l’UE. Une telle modification aurait une incidence sur tous les brevets déjà accordés tout autant que sur les demandes de brevet en cours.

Traçabilité et contrefaçon en débat

Un autre aspect du sujet « brevets et NTG » apparaît sans surprise – car fondamental – dans la note technique d’ECVC : l’obligation de « traçabilité analytique » des plantes issues des NTG. Comme le rappelle l’organisation, la suppression de l’obligation de publication des procédés de détection et d’identification des OGM – telle qu’actuellement requise par la directive européenne 2001/18 et que la proposition de nouveau règlement NTG vise à supprimer – permettrait « une extension abusive de la portée des brevets à des semences paysannes ou conventionnelles contaminées de manière accidentelle, ou présentant, sans recours à l’invention brevetée, un trait similaire au trait breveté ». Une telle mesure mettrait en effet les paysans, les petits semenciers et le secteur sans OGM, dans une incertitude juridique lourde : ils ne sauraient pas s’ils cultivent ou commercialisent des plantes ou des semences brevetées et, de plus, ils pourraient voir leurs semences traditionnelles confisquées par de nouveaux brevets portant sur leurs « traits natifs ». Cela impacterait foncièrement leur travail et leur revenu. Cet abus de brevet enfermerait la plupart d’entre eux dans une contrainte irréalisable : devoir démontrer qu’ils n’ont pas utilisé de procédé breveté pour obtenir leurs semences. C’est l’« inversion de la charge de la preuve ».

La contrefaçon est évoquée à plusieurs reprises par Arche Noah, qui rappelle aussi la contrainte de la charge de la preuve de non-contrefaçon qui menace les petits et moyens sélectionneurs. L’ONG ne l’associe toutefois pas explicitement à la question de la traçabilité : « limiter la portée des brevets accordés sur les NTG/OGM et appliquer des règles équitables et proportionnées en matière de charge de la preuve permettrait également aux sélectionneurs, aux agriculteurs et aux transformateurs alimentaires qui ne travaillent pas avec les NTG ou les « anciens » OGM réglementés d’opérer et d’innover librement, sans craindre de violer un brevet ». Les semenciers qui ont enregistré et commercialisé leurs variétés avant la revendication d’un nouveau brevet par un de leurs concurrents peuvent en effet facilement prouver qu’ils n’ont pas utilisé l’invention brevetée. Mais ce n’est pas les cas des agriculteurs qui n’ont aucun moyen de prouver la composition génétique des semences issues de leurs propres sélections qu’ils n’ont jamais séquencées ni enregistrées.

L’exigence de la traçabilité pas uniquement documentaire, mais aussi de publication des procédés de détection et d’identification, constitue donc la clé de voûte de la protection des droits des agriculteurs face aux risques de contrefaçon de brevet, sans oublier les risques résultant de contaminations fortuites. Cette exigence introduite dans la directive 2001/18 est venue combler une carence de la directive « inventions biotechnologiques » 98/44/CE. Pour quelles raisons ne serait-elle plus maintenue aujourd’hui, au moins dans le droit des brevets, si elle vient à être malheureusement supprimée dans le droit des OGM/NTG ?

Le débat européen sur les NTG est à un moment décisif où les agriculteurs et les consommateurs pourraient être amenés à cultiver ou consommer des OGM à leur insu. Tandis que la Commission soutient la position d’une industrie semencière souhaitant rendre ces nouveaux OGM « invisibles » dans les champs et les filières, ces organisations de la société civile défendent des obligations de transparence limitée ou totale. Une autre forme d’invisibilité touche les petits semenciers et agriculteurs confrontés à la complexité et à l’opacité des brevets couvrant le matériel végétalviii : la persistance, jusqu’en 2037, d’anciens brevets portant sur des produits issus de procédés essentiellement biologiques, seuls les nouveaux brevets étant – théoriquement – impossibles d’obtenir depuis juillet 2017ix.

Une issue du trilogue qui inquiète

Alors qu’Arche Noah demande une refonte complète de la législation européenne sur les brevets sur le vivant, ECVC soutient leur interdiction totale et, à court terme, une transformation structurelle, mais pragmatique, nourrie par la défense des droits paysans. Il convient également de rappeler qu’une divergence juridique significative persiste entre les deux organisations concernant la mutagenèse aléatoire. Arche Noah la juge comme devant être expressément exclue de la brevetabilité, car considérée comme une méthode conventionnelle, tandis qu’ECVC alerte contre son impossibilité sans modification illusoire à court terme de la Convention du brevet européen et met en garde contre la propagande de l’industrie présentant cette solution comme seule échappatoire stratégiquex.

À l’heure où le trilogue européen entre dans sa phase décisive, ECVC et Arche Noah espèrent chacune de leur côté influencer ce qui pourrait être la dernière occasion pour le législateur européen d’encadrer la question cruciale des brevets portant sur les OGM issus de NTG ou sur les NTG elles-mêmes. Les prochains mois seront décisifs pour savoir si l’éventuel texte final du règlement tiendra compte des inquiétudes portées par ces deux organisations, et plus largement aussi par d’autres acteurs de la société civile. Dans le cas contraire, il pourrait laisser perdurer un système autorisant des brevets aussi opaques que puissants, ignorant dans les faits l’exception du sélectionneur du droit d’obtention végétale et privant les petits agriculteurs de leur liberté semencière.

À la dernière session du trilogue, les échanges ont essentiellement porté sur la définition des NTG1 (modifications de l’Annexe 1xi) et la traçabilité. Le Parlement aurait, par ailleurs, infléchi son positionnement « anti-brevets » sur les NTG en indiquant pouvoir « s’écarter de l’interdiction totale »xii. Des amendements auraient également été proposés pour supprimer l’obligation d’étiquetage, pourtant destinée à fournir une information simple et factuelle sur la présence ou non d’OGM dans les semences cultivées et les produits commercialisés couverts par des droits de brevets.

i Arche Noah, association autrichienne pour la conservation et le développement de la diversité des plantes cultivées, se définit comme une ONG (organisation non gouvernementale).
Union européenne, Accredited organisation, « ARCHE NOAH GESELLSCHAFT FUR DIE ERHALTUNG DER KULTURPFLANZENVIELFALT UND IHRE ENTWICKLUNG VEREIN ».

ii Arche Noah, « BRIEFING ON Patents on NGT plants and processes », septembre 2025.

iii ECVC, « Brevets sur les OGM-NTG : état des lieux et solutions pour protéger les paysan.ne.s, les petits semenciers et le secteur sans OGM », octobre 2025.

iv Commission européenne, « Communication from the Commission to the European Parliament, the Council, the European Economic and Social Committee and the Committee of the Regions », 5 juillet 2023.

v Eric Meunier, « Brevets et évolution du COV », Inf’OGM, le journal, n°176, juillet/septembre 2024.

vi Axel Metzger et al., « Mitigating impact of patents on plants obtained from New Genomic Technique (NGT) », 27 janvier 2025.

vii Ce type de modifications touchant aux principes de base du système des brevets de l’OEB (Office européen des brevets) nécessiterait un consensus parmi les États membres de la Convention sur le brevet européen (CBE), qui regroupe aussi des pays non membres de l’Union européenne. Ceci nécessite en général une conférence diplomatique.

viii Denis Meshaka, « De Bolster : une autre PME néerlandaise sous la menace de brevets », Inf’OGM, 4 juillet 2024.

ix Zoé Jacquinot, « Produits issus de procédés biologiques : finalement non brevetables », Inf’OGM, 4 juin 2020.

x Denis Meshaka, « « Procédé essentiellement biologique », une définition bousculée », Inf’OGM, 11 avril 2024.

xiTrilogue sur les OGM/NTG, « ANNEX I – Criteria of equivalence of NGT plants to conventional plants », octobre 2025.

xiiMaria Simon Arboleas et Sofia Sanchez Manzanaro, « Gene-editing talks inch forward as MEPs soften on patent ban », Euractiv, 14 octobre 2025.

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