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La Commission européenne propose déjà de déréglementer des micro-organismes OGM

Par Eric MEUNIER

Publié le 11/03/2025

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La proposition de déréglementation des OGM, formulée par la Commission européenne en juillet 2023, a été présentée et comprise comme ne concernant que les végétaux. Micro-organismes, animaux ou encore champignons ne seraient pas concernés. Une lecture attentive permet pourtant de comprendre que, contrairement à ce que semble avoir compris le Parlement européen, certains micro-organismes sont bien concernés… car considérés comme des végétaux !

Les textes de loi s’écrivent avec des mots. Une lapalissade pourrait-on dire… et pourtant ! Il est courant que chacun veuille donner aux mots d’un texte de loi la signification qui lui convient le mieux. In fine, en cas de lectures différentes, seule la justice est à même de trancher. Cette situation rend la compréhension des mots utilisés par un législateur fondamentale pour cerner la signification d’une loi. Qui, par exemple, aurait en effet pu imaginer, en 2001, que « les techniques de mutagénèse » principalement développées avant 2001 citées dans la Directive 2001/18 concernaient aussi, pour la Commission européenne, les « nouvelles » techniques de mutagenèse développées après cette date ? Ce qui obligera la Cour de Justice de l’Union européenne (CJUE) à lui rappeler, en 2018 puis 2023, que tel n’est pas le cas ? Qui aurait pu imaginer, en 2004, que les États membres eux-mêmes seraient amenés à « clarifier » leur propre texte réglementaire adopté un an plus tôt ? Cela afin de décider que les additifs produits par des micro-organismes génétiquement modifiés ne sont pas concernés par la réglementation sur les OGM adoptée en 2003, considérant qu’ils sont produits à l’aide d’OGM et non à partir d’OGM. Ces débats sémantiques ne sont pas sans importance. Dans le dernier exemple cité, passer de « produit par » à « produit à l’aide de » a permis à l’industrie des enzymes, colorants, vitamines et autres additifs d’échapper à l’étiquetage « produit à partir d’OGM ».

Déréglementer les OGM végétaux, mais… quels OGM végétaux ?

En juillet 2023, quand elle propose de déréglementer un grand nombre d’OGM, la Commission européenne écrit que « le présent règlement devrait être limité aux OGM qui sont des végétaux, c’est-à-dire des organismes appartenant aux groupes taxonomiques Archaeplastida ou Phaeophyceae, à l’exclusion des micro-organismes, des champignons et des animaux pour lesquels les connaissances disponibles sont plus limitées ». Les choses semblent claires : seuls les végétaux seraient concernés. Mais, comme nous l’avons déjà vu dans deux précédents articlesii, les végétaux ne sont pas que terrestres puisque les algues marines ou d’eau douce sont également concernées. Les groupes taxonomiques Archaeplastida et Phaeophyceae concernent en effet les plantes terrestres mais également les algues dites « vertes », « rouges » (Archaeplastida) et « brunes » (Phaeophyceae), dont certaines sont consommées par les humains.

Les choses deviennent floues quand on sait que les algues peuvent être pluricellulaires ou unicellulaires. Un organisme unicellulaire est couramment considéré comme un micro-organisme. Le droit européen lui-même, dans sa Directive 2009/41 qui encadre les micro-organismes génétiquement modifiés, définit un micro-organisme comme « toute entité microbiologique, cellulaire ou non, capable de se reproduire ou de transférer du matériel génétique, y compris les virus, les viroïdes et les cultures de cellules végétales et animales ». Une entité microbiologique cellulaire capable de se reproduire ou transférer du matériel génétique, voila qui recouvre bien des algues unicellulaires.

Ces dernières sont-elles des végétaux concernés par la proposition de déréglementation ou sont-elles des micro-organismes exclus de cette proposition ? D’une manière plus générale, les micro-organismes appartenant aux groupes taxonomiques cités sont-ils concernés par la proposition car « végétaux » ou exclus car micro-organismes ? Selon les informations d’Inf’OGM, la rédaction adoptée par la Commission européenne est à lire comme concernant tous les organismes appartenant aux deux groupes taxonomiques cités, qu’ils soient pluricellulaires ou unicellulaires. Des micro-organismes sont donc bien concernés par la proposition de déréglementation, ceux appartenant aux groupes des Archaeplastida et Phaeophyceae.

Les législateurs ne lisent pas tous la même chose

Les experts européens rangent certaines algues dans la catégorie des micro-organismes. En janvier 2023, dans un avisiii lié à la sécurité des micro-organismes, l’Autorité européenne de sécurité des aliments (AESA) cite spécifiquement certaines micro-algues, comme Chlamydomonas reinhardtii ou Galdieria sulphuraria, deux algues unicellulaires appartenant au groupe taxonomique des Archaeplastida. La première des deux est d’ailleurs une des algues unicellulaires les plus étudiées en recherche en vue de modifications génétiquesiv. Cet écrit de l’AESA de janvier 2023 confirme, s’il en était besoin, que des micro-organismes appartiennent aux deux groupes taxonomiques cités.

Les eurodéputés paraissent ne pas avoir la même compréhension des termes que la Commission européenne. Tout en conservant la référence aux deux groupes taxonomiques, ils ont en effet modifié la rédaction proposée. Le 24 avril 2024, le texte final voté en première lecture par le Parlement européen propose que « le présent règlement devrait être limité aux OGM qui sont des végétaux, c’est-à-dire des organismes appartenant aux groupes taxonomiques Archaeplastida ou Phaeophyceae. Les connaissances disponibles sur d’autres organismes, tels que les micro-organismes, les champignons et les animaux, devraient être examinées aux fins de futures initiatives législatives les concernant ». Ici, les micro-organismes tels que définis par la Directive 2009/41 sont exclus en tant que tels de la proposition. Les algues unicellulaires ne sont donc pas concernées par le texte voté par le Parlement européen. Toute autre interprétation différente reviendrait à faire dire au droit européen tout et son contraire.

Une définition non intuitive des micro-organismes…

Hors de tout cadre législatif, le terme micro-organisme renvoie habituellement à la notion d’organismes microscopiques. Le dictionnaire Larousse définit ainsi un micro-organisme comme un « être vivant microscopique tel que les bactéries, les virus, les champignons unicellulaires (levures), et les protistes ». Mais le législateur européen a historiquement adopté une vue que l’on pourrait qualifier de « plus large ». En 1990, dans la Directive 90/219v adoptée cette année là sur l’utilisation confinée de micro-organismes génétiquement modifiés, Commission, Parlement et Conseil de l’Union européenne s’accordaient pour définir un micro-organisme comme « toute entité microbiologique, cellulaire ou non cellulaire, capable de se reproduire ou de transférer du matériel génétique ». Cette définition sera reprise et précisée en 2009 dans la Directive 2009/41vi qui, remplaçant la Directive 90/219, est toujours en vigueur. Selon cette directive, un micro-organisme est défini comme « toute entité microbiologique, cellulaire ou non, capable de se reproduire ou de transférer du matériel génétique, y compris les virus, les viroïdes et les cultures de cellules végétales et animales ».

La même année, la Directive 1107/2009vii concernant la mise sur le marché des produits phytopharmaceutiques définit les micro-organisme comme « toute entité microbiologique, y compris les champignons inférieurs et les virus, cellulaire ou non, capable de se répliquer ou de transférer du matériel génétique ». Une dernière définition légale est fournie par le règlement 528/2012viii, qui porte sur la mise à disposition sur le marché et l’utilisation des produits biocides. D’après ce règlement, un micro-organisme est défini comme « toute entité microbiologique, cellulaire ou non cellulaire, capable de se répliquer ou de transférer du matériel génétique, y compris les champignons inférieurs, les virus, les bactéries, les levures, les moisissures, les algues, les protozoaires et les helminthes parasites microscopiques ».

Si on laisse de côté les exemples de micro-organismes donnés dans chaque définition et qui peuvent varier d’une définition à l’autre, il ressort que, selon la législation européenne, un micro-organisme est « toute entité microbiologique, cellulaire ou non cellulaire, capable de se répliquer ou de transférer du matériel génétique ». Les virus, bactéries, champignons inférieurs (microscopiques), protozoaires… sont donc bien des micro-organismes. Les algues microscopiques le sont également, elles qui appartiennent au règne des végétaux couverts par les deux groupes taxonomiques cités par la Commission européenne. Enfin, les cellules végétales comme les cellules animales sont légalement des micro-organismes. Il reste ici à comprendre ce que pourrait être un micro-organisme définit comme une entité microbiologique non cellulaire. Le droit des brevets en vigueur en Europe fournit la réponse.

mais qui recoupe le droit des brevets

Les micro-organismes sont, pour le droit européen, des entités microbiologiques qui sont capables de se répliquer ou de transférer du matériel génétique. L’expression « entité » suggère que les micro-organismes ne sont donc en fait pas forcément des organismes pour le législateur européen.

Pour le comprendre, il faut se pencher sur le droit des brevets tel que suivi par l’Office européen des brevets (OEB). Cette instance précise en effet dans ses lignes directricesix que « le terme « micro-organisme » recouvre les bactéries et d’autres organismes généralement unicellulaires, invisibles à l’œil nu, qui peuvent être multipliés et manipulés en laboratoire (cf. T 356/93), y compris les virus et les plasmides et les champignons unicellulaires (y compris les levures), les algues, les protozoaires et, en outre, les cellules humaines, animales et végétales ». Dans la liste des exemples fournis, la présence des plasmides (molécules d’ADN circulaire) permet de comprendre que les micro-organismes ne sont donc pas forcément des organismes mais peuvent aussi être des molécules.

Cette définition fut précisée en 1995, dans le cadre d’une décision qui clarifiait justement ce qui était recouvert par le terme « micro-organisme ». L’OEB s’était montré soucieux d’avoir une lecture du terme qui, en droit des brevets, permettait de répondre aux pratiques industrielles, comme il le nota en précisant que « cette pratique [l’interprétation du terme micro-organisme] tient manifestement compte des développements de la microbiologie industrielle moderne »x. Une approche qui permet à l’OEB de conclure, dès 1995, que « les procédés […] mis en œuvre sur des cellules végétales peuvent être définis comme des « procédés microbiologiques« , et leurs produits, à savoir des cellules végétales génétiquement modifiées et leurs cultures, comme des « produits obtenus par ces procédés » ». La conclusion est importante car, en droit des brevets, les procédés microbiologiques sont brevetables, contrairement aux procédés essentiellement biologiques.

Tout un champ commercial qui échapperait à la législation OGM

On comprend donc que le terme « micro-organisme » recouvre des organismes vivants, des cellules isolées, mais également des molécules comme les plasmides. Dans le cas de la proposition de déréglementation, ces micro-organismes, quand ils sont qualifiés de « végétaux » et appartiennent aux deux groupes taxonomiques déjà cités dans les OGM devant être déréglementés, sont bien concernés, à l’instar des organismes pluricellulaires, comme les plantes terrestres, les arbres, les algues…

L’exemple des algues est d’ailleurs parlant, puisque ce marché de plusieurs milliards d’euros par an fait l’objet de convoitises industrielles croissantesxi. Le domaine des micro-algues, qui sont parmi les micro-organismes inclus dans la proposition de déréglementation, fait en effet partie des domaines industriels dont la Commission européenne souhaite « exploiter pleinement le potentiel »…

ii Eric Meunier, « Algues OGM : une matière première en devenir pour l’industrie », Inf’OGM, 4 février 2025.
Eric Meunier, « Objet de toutes les convoitises, les algues OGM existent-elles vraiment ? », Inf’OGM, 7 février 2025.

iii EFSA BIOHAZ Panel (EFSA Panel on Biological Hazards), Koutsoumanis K. et al., « Scientific Opinion on the update of the list of qualified presumption of safety (QPS) recommended microorganisms intentionally added to food or feed as notified to EFSA », EFSA Journal, 2023; 21(1):7747, 23 pp.

iv Voir le tableau des modifications génétiques de micro-algues dans :
Eric Meunier, « Objet de toutes les convoitises, les algues OGM existent-elles vraiment ? », Inf’OGM, 7 février 2025.

v « Directive 90/219/CEE du Conseil, du 23 avril 1990, relative à l’utilisation confinée de micro-organismes génétiquement modifiés », Journal officiel n° L 117 du 08/05/1990, p. 0001 – 0014, article 2.

vi « DIRECTIVE 2009/41/CE DU PARLEMENT EUROPÉEN ET DU CONSEIL du 6 mai 2009 relative à l’utilisation confinée de micro-organismes génétiquement modifiés (refonte) », Journal officiel de l’Union européenne n°L 125/75, article 2, 21 mai 2009.

vii « RÈGLEMENT (CE) N o 1107/2009 DU PARLEMENT EUROPÉEN ET DU CONSEIL du 21 octobre 2009 concernant la mise sur le marché des produits phytopharmaceutiques et abrogeant les directives 79/117/CEE et 91/414/CEE du Conseil », Journal officiel de l’Union européenne n°L 309/1, article 3, 24 novembre 2009.

viii « Règlement (UE) n ° 528/2012 du Parlement européen et du Conseil du 22 mai 2012 concernant la mise à disposition sur le marché et l’utilisation des produits biocides Texte présentant de l’intérêt pour l’EEE », Journal officiel de l’Union européenne n°L 167/1, article 3, 27 juin 2012.

ix OEB, « Directives relatives à l’examen pratiqué à l’Office européen des brevets », version de mars 2024, partie G, chapitre II-53, point 5.5, Procédés microbiologiques.

x OEB, « T 0356/93 (Cellules de plantes) 21-02-1995 », 21 février 2025.

xi Eric Meunier, « Algues OGM : une matière première en devenir pour l’industrie », Inf’OGM, 4 février 2025.
Eric Meunier, « Objet de toutes les convoitises, les algues OGM existent-elles vraiment ? », Inf’OGM, 7 février 2025.

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