Loi

La Commission européenne veut sa « révolution biotech »

Par Denis MESHAKA

Publié le 11/02/2025

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En mars 2024, la Commission européenne annonçait des mesures visant à impulser ce qu’elle nommait une « révolution biotechnologique », mesures parmi lesquelles une proposition de « loi » en 2025. Cette annonce intervenait alors que plusieurs dossiers législatifs justement liés aux biotechnologies étaient déjà dans l’impasse, à l’instar de la déréglementation des OGM végétaux. Alors que le Danemark, fervent défenseur des biotechnologies, s’apprête à assumer la présidence du Conseil de l’UE à partir de juillet 2025, la Commission envisage-t-elle de tout regrouper dans une « loi biotech » généraliste pour complexifier les débats politiques et forcer le passage ? Le Parlement européen vient de s’autosaisir de la question.

L’année 2025 pourrait être animée sur le plan législatif dans l’Union européenne. Les discussions sur la proposition de déréglementation des OGM végétaux obtenus par de nouvelles techniques de modification génétique 1, lancée en juillet 2023, vont continuer. Des propositions similaires sur les micro-organismes et les animaux ont été demandées par le Parlement européen. Mais surtout, comme l’a annoncé en mars 2024 Margrethe Vestageri, alors vice-présidente de la Commission européenne, des « mesures pour stimuler les biotechnologies et la bioproduction », incluant une proposition de « Loi biotech », sont à l’agenda. Le 23 janvier 2025, le Parlement a annoncé en plénière son auto-saisine, chargeant sa commission « Industrie, Recherche et Energie » d’étudier la question. La rapporteuse principale sera l’eurodéputée allemande Hildegard Bentele (Parti populaire européen – PPE)ii. Si elles devaient être mises sur la table de l’UE cette année, ces mesures pourraient être discutées sous la présidence danoise de l’UE, pays dont le gouvernement est résolument « pro-biotech ».

Lancer l’ère « biotech »

Le communiqué de presse du 20 mars 2024 est clair sur l’analyse portée par la Commission européenne. Il affirme que « les avancées dans le domaine des sciences du vivant, auxquelles contribuent la numérisation et l’intelligence artificielle (IA), et le potentiel offert par les solutions fondées sur la biologie pour résoudre des questions sociétales font des biotechnologies et de la bioproduction l’un des secteurs technologiques les plus prometteurs de ce siècle. Les biotechnologies et la bioproduction peuvent aider l’UE à moderniser ses secteurs de l’agriculture, de la foresterie, de l’énergie et de l’alimentation humaine et animale ainsi que son industrie ». Mais, selon la Commission européenne, plusieurs obstacles doivent être levés.

Les mesures annoncées par Margrethe Vestager en mars 2024 sont aujourd’hui sous la responsabilité du Commissaire européen à la Santé, Olivér Várhelyi. Cette liste relativement hétérogène de propositions, présentées sous le slogan « Bâtir l’avenir à l’aide de la nature », permettrait de « relever plusieurs défis : la recherche et le transfert de technologies vers le marché, la complexité réglementaire, l’accès au financement, les compétences, les obstacles le long de la chaîne de valeur, la propriété intellectuelle, l’acceptation par le public et la sécurité économique ». Pour ceux qui suivent les débats en cours sur les OGM, les brevets et la numérisation du vivant, cette liste reprend les reproches faits à la réglementation des OGM végétaux. Pour répondre à ces « défis », la Commission propose plusieurs actions. 

Tout d’abord, la simplification du cadre réglementaire serait préparée par une étude en vue d’une proposition d’une « éventuelle Loi biotech qui harmoniserait et rationaliserait la législation ». Comme le rappelait en juillet 2024 Ursula von der Leyen, alors candidate à sa réélection au poste de Présidente de la Commissioniii, cette proposition de « loi » entend « faciliter le passage de la biotechnologie du laboratoire à l’usine, puis au marché ». On ignore encore si cette proposition de « loi » se limitera à établir des orientations générales de la Commission ou si elle prendra la forme d’un instrument juridique plus contraignant, imposant des mesures spécifiques impactant chaque dossier en cours, comme celui des OGM/NTG végétaux. On remarquera toutefois que la Commission évoque la volonté de « simplifier le cadre réglementaire », laissant entendre que cette proposition de « Loi biotech » pourrait prendre la forme d’un règlement directement applicable à l’ensemble des États membres, plutôt que d’une directive à transposer nationalement. Cela signifierait-il aussi que les réflexions politiques sur la proposition de déréglementation des OGM/NTG végétaux seraient ainsi élargies aux autres secteurs économiques visés ? Cette hypothèse apparaît d’autant plus vraisemblable que parmi les objectifs affichés par la Commission européenne figurent la réduction du « délai de commercialisation des innovations biotechnologiques », ou encore l’évaluation des « obstacles réglementaires qui se dressent au niveau national ou à d’autres niveaux de gouvernance et qui nuisent à l’efficacité du marché unique ». La Commission simplifierait le cadre réglementaire… en le réduisant drastiquement.

Autre mesure : la création d’un pôle biotechnologique européen, prévue pour fin 2024 et finalement lancée le 30 janvier 2025iv, pour aider les entreprises à naviguer dans les multiples règles et trouver « l’assistance nécessaire » à cela. Par ailleurs, la coopération internationale serait renforcée, avec des partenaires identifiés comme stratégiques, tels que les États-Unis, afin de stimuler la recherche et le transfert technologique. La stratégie de bioéconomie de l’UE serait aussi révisée en 2025 pour mieux intégrer les défis industriels, environnementaux et sociétaux, tout en renforçant ses liens avec les biotechnologies. La Commission entend également élaborer des méthodologies permettant une évaluation équitable entre les bioproduits et les produits fossiles, notamment en affinant l’analyse de leur empreinte environnementale. L’objectif annoncé est « d’accélérer le remplacement des matières premières fossiles et de stimuler la demande en produits issus de la bioproduction ». Des mesures seraient prises pour encourager les investissements, notamment par l’inclusion de la bioproduction dans le programme 2025 de l’Accélérateur du Conseil européen de l’innovationv. Enfin, l’adoption de l’intelligence artificielle sera appuyée pa l’initiative GenAI4EUvi, avec un accès facilité aux supercalculateurs EuroHPCvii, pour soutenir l’innovation dans le domaine.

Une « loi biotech » en guise de plan B

En mars 2024, quand elle rend publique sa communication, la Commission européenne propose faire du secteur des biotechnologies un levier stratégique pour l’innovation et la compétitivité industrielle de l’UE, s’alignant ainsi sur l’objectif des États-Unis et de la Chine. Dans cette posture résolument « pro-biotech », la Commission estime que la simplification réglementaire, la création d’un pôle dédié, le soutien à l’investissement… positionneraient l’UE comme un acteur majeur des biotechnologies à l’échelle mondiale.

Cependant, cette orientation « pro-biotech » semble nourrie par une volonté de favoriser le travail des multinationales en passant, par exemple, par une déréglementation implicite du secteur des biotechnologies. La mention d’une éventuelle « Loi biotech » pourrait, dès lors, être interprétée comme une solution de secours, un plan B envisagé par la Commission pour harmoniser et encadrer les biotechnologies si ses projets de modifications réglementaires en cours continuent de se heurter à des réticences politiques. C’est aujourd’hui le cas du dossier de déréglementation des OGM/NTG végétaux, et potentiellement d’autres dossiers touchant au sujet du vivant qui ne font pas consensus pour des raisons politiques, économiques, d’acceptation sociale ou institutionnelles (et éthiques).

…pour contourner les chantiers législatifs actuellement en échec

La stratégie « pro-biotech » de la Commission européenne peut en effet impacter une série de chantiers législatifs concernant le vivant, comme la déréglementation des végétaux OGM/NTG, la numérisation du vivant (DSI ou « informationss ur les séquences numériques »), le sujet des brevets, la possible déréglementation des micro-organismes et animaux OGM…viii. Si la Commission présente ces mesures à venir comme visant à simplifier le cadre réglementaire et à « stimuler l’innovation », elles soulèveront à n’en pas douter des préoccupations concernant une possible appropriation accrue du vivant par les entreprises disposant de ressources significatives. L’exemple des DSI illustre particulièrement ces préoccupations, car ce domaine, dominé par de grandes entreprises disposant déjà de moyens financiers et logistiques considérables, pourrait bénéficier du soutien de l’UE pour poursuivre des développements controversés. Ces derniers reposent en effet souvent sur l’exploitation de ressources génétiques sans origine reconnue, alimentant des accusations de biopiraterie et soulevant des questions éthiques et juridiquesix.

En facilitant et accélérant l’accès aux biotechnologies, et en allégeant pour cela certaines obligations, la Commission chercherait-elle à éviter un débat approfondi sur les enjeux éthiques, sanitaires, environnementaux et socio-économiques liés à ces technologies ? Et voudrait-elle passer en force contre l’avis du Parlement ? Dans les domaines agricole et environnemental, cette approche pourrait notamment réduire la capacité des autorités nationales à tracer les OGM et à réguler efficacement le secteur, renforçant ainsi le pouvoir des multinationales sur la biodiversité et les ressources génétiques.

i Commission européenne, « La Commission prend des mesures pour stimuler les biotechnologies et la bioproduction dans l’UE », 20 mars 2024.

ii Parlement européen, « L’avenir du secteur des biotechnologies et de la bioproduction dans l’UE: mettre la recherche à contribution, stimuler l’innovation et accroître la compétitivité », 23 janvier 2025.

iii Commission européenne, « Europe’s choice, Political guidelines for the next european commission 2024−2029 », 18 juillet 2024.

iv Commission européenne, « Commission launches new Biotech and Biomanufacturing Hub to support innovative companies », 30 janvier 2025.

v L’Accélérateur du Conseil européen de l‘innovation est un programme de financement d’Horizon Europe qui offre un soutien aux jeunes entreprises et aux PME.

vi European Innovation Council, « GenAI4EU: Creating European Champions in Generative AI ».

vii EuroHPC, « Leading the Way in European Supercomputing ».

viii Eric Meunier, « Les chantiers législatifs de la Commission européenne sur le vivant », Inf’OGM, 7 novembre 2024.

ix Guy Kastler, « DSI : la biopiraterie dématérialisée », Inf’OGM, le journal, n°176, juillet/septembre 2024.

1. Ces OGM végétaux obtenus par de nouvelles techniques de modification génétique sont nommés « nouvelles techniques génomiques » ou « NTG » par la Commission européenne, pour éviter d’utiliser l’acronyme OGM.
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