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OGM/NTG : une interdiction des brevets en trompe l’œil

Par Denis MESHAKA

Publié le 06/02/2024, modifié le 18/04/2024

    
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La Commission « Environnement » du Parlement européen présentera le 6 février 2024, en séance plénière, ses propositions d’amendements du projet initial de déréglementation des plantes OGM obtenues par de « nouvelles techniques génomiques ». La non brevetabilité des « plantes NTG » en fait partie. Mais que peut cacher une telle proposition alors qu’elle a été discutée en amont avec les multinationales de la semence, qui concentrent la majorité des droits de brevet sur les NTG ?

Depuis le 5 juillet 2023, date de sa publication, la proposition réglementaire de la Commission européenne sur les « nouvelles techniques génomiques » (NTG) est l’objet d’un débat complexe et intense. Plusieurs problèmes ont été soulevés, comme l’absence de fondements scientifiques, la suppression envisagée de la traçabilité des OGM issus de ces techniques, la suppression du droit des États d’en interdire la culture, ou encore la fin de l’information des citoyens. Mais ces dernières semaines, le sujet de la brevetabilité a été l’objet de toutes les attentions depuis que certains États membres ont proposé d’interdire la brevetabilité des plantes OGM/NTG. Un vrai dissensus politique est ainsi venu peser sur le vote du 11 décembre 2023 du Conseil européen des ministres de l’agriculture, qui n’a donc pas adopté la proposition de compromis de la présidence espagnole. Aujourd’hui, c’est au tour des Commissions « agriculture » et « environnement » du Parlement européen de proposer la non brevetabilité de ces plantes. Mais des organisations paysannes et de la société civile ont déjà alerté sur l’effet d’annonce d’une telle décision qui, en l’état, ne remplirait pas son office.

Rappel de la problématique brevets

Le problème des brevets s’est surtout cristallisé autour d’une orientation majeure du texte initial de la Commission, qui propose la suppression de toute traçabilité et étiquetage des plantes issues des NTG. Une telle suppression entraînerait de facto la perte d’information sur les procédés de détection et d’identification des OGM/NTG brevetés, et donc sur la possible présence de « matières biologiques » ou « d’informations génétiques » brevetées dans différents produits : les semences commerciales modifiées par NTG, les plantes, semences et produits contaminés au champ ou dans les filières, les semences paysannes ou traditionnelles qui contiennent des matières biologiques ou des informations génétiques ne pouvant pas être distinguées des descriptions faites dans les brevets, ainsi que dans tous les produits qui en sont issus. Cette perte d’information mettrait en insécurité juridique les paysans comme les filières des petits et moyens semenciers, des transformateurs et des distributeurs de produits agricoles. En effet, ces derniers ne disposent pas des moyens de savoir s’ils risquent ou non d’être poursuivis pour contrefaçon de ces brevets, ou de se défendre contre des poursuites abusives, ni dans la capacité de s’assurer qu’aucun brevet ne couvre une plante avant de travailler avec celle-ci.

Si certaines bases de données de brevets, telles Pinto, proposées par le représentant des semenciers européens, Euroseeds, sont disponibles, elles sont cependant incomplètes, car basées sur le principe du volontariat. L’information sur les semences couvertes par des brevets se fait ainsi à la discrétion des seuls obtenteurs de ces semences. Les « clubs de brevets », édifiés par les grands semenciers qui concentrent l’immense majorité des droits de brevets autour des NTG, ne sont pas non plus une solution pour les petits acteurs de la filière, car ils leurs sont eux aussi peu accessibles1.

Déréglementer les OGM impliquerait donc de soumettre toute la paysannerie et toutes les filières semencières, ainsi que celles de transformation et de distribution de produits agricoles, aux brevets de quelques multinationales. Or, contrairement aux apparences, la non-brevetabilité des plantes NTG, proposée par les eurodéputés membres des commissions Environnement et Agriculture du Parlement européen, ne suffirait pas, loin de là, à résoudre ce problème.

Une « convergence » parlementaire

Le 13 décembre 2023, cette Commission Agriculture avait proposé, entre autres, la non-brevetabilité des « plantes NTG et de leurs parties » (sans préciser NTG1 ou NTG 2)2. Elle parait sans ambiguïté sur la non-brevetabilité des OGM/NTG : « les végétaux NTG, leurs semences, leur matériel végétal, le matériel génétique associé tel que les gènes et les séquences gènes et les séquences de gènes, ainsi que les caractéristiques des plantes devraient exclus de la brevetabilité ». Cet amendement est toutefois limité à la seule non-brevetabilité des produits des NTG et ne concerne pas les procédés.

Dans son rapport voté le 24 janvier 2024, tel qu’Inf’OGM a pu le lire, la Commission Environnement, cheffe de file parlementaire sur ce dossier, propose au Parlement européen les amendements suivants :

– Exclusion de la brevetabilité (nouvel article 4a)
Ne seront pas brevetables « les plantes [issues de] NTG, le matériel végétal, leur parties, les informations génétiques et les caractéristiques des procédés qu’elles contiennent ».

– Rapport d’évaluation sur l’impact des brevets (Nouvel article 30, par. 5 a)
Soumission, d’ici juin 2025, d’un rapport de la Commission européenne évaluant l’impact des brevets sur l’accès des sélectionneurs et des agriculteurs à divers matériaux reproducteurs végétaux, l’innovation, et les opportunités pour les PME. Ce rapport, qui prendra en compte les articles 4a (Exclusion de la brevetabilité) et 33a (Modification de la Directive 98/44 sur les inventions biotechnologies) (cf. ci-dessous) du règlement en vigueur, déterminera si des mesures légales additionnelles sont requises.

– Modification de la Directive européenne 98/44/EC sur les inventions biotechnologies (nouvel article 33a) de son article 43
Ce dernier, qui définit les éléments exclus de la brevetabilité, se verrait complété des exclusions du nouvel article 4a du règlement NTG évoqué ci-dessus, ainsi que des objets exclus de la directive 2001/18 : « les végétaux, le matériel végétal, les parties de celui-ci, les informations génétiques et les caractéristiques de processus qu’ils contiennent et qui peuvent être obtenus par des techniques exclues du champ d’application de la directive 2001/18/CE, telles qu’elles sont énumérées à l’annexe I B de cette directive ».

Selon l’Annexe IB de la Directive 2001/18, les techniques exclues du champs d’application de cette directive car disposant d’un historique d’utilisation sans risque sont « la mutagenèse » (pas sur cellules multipliées in vitro mais sur plante entière par exemple) et « la fusion cellulaire » de cellules végétales d’organismes qui peuvent échanger du matériel génétique par des méthodes de sélection traditionnelles. Ne seraient donc pas brevetables « les végétaux, le matériel végétal, les parties de celui-ci, les informations génétiques et les caractéristiques de processus qu’ils contiennent » issus de ces techniques. On notera que ces dispositions d’amendements sont éloignées de la proposition initiale de règlement de juillet 2023 de la Commission européenne. Cette dernière ne contenait, en effet, aucune disposition relative aux brevets. Mais, surtout, cette non-brevetabilité peut-elle être effective ?

Faux semblants et risques encourus

En proposant la non-brevetabilité des « plantes NTG, des parties de matériel végétal de celles-ci, des informations génétiques et des caractéristiques des procédés qu’elles contiennent », les deux commissions du Parlement ne s’intéressent qu’aux brevets couvrant des produits. Restent les brevets couvrant des procédés, qui portent sur les techniques en elles-mêmes. L’industrie des biotechnologies conserve, en effet, la possibilité légale de revendiquer des droits de brevets sur tous les procédés et autres « ciseaux génétiques » qu’elle souhaite. L’ensemble des réactifs mettant en œuvre ces procédés sont eux aussi bien évidemment brevetables, comme par exemple de nouvelles enzymes « Cas » de nouveaux systèmes Crispr. L’existence même de ces brevets procédés rend caduque la proposition des Commissions du Parlement d’abolir les brevets sur les plantes NTG. Cette réalité du droit des brevets fut rappelée par ECVC et douze organisations françaises, le 25 janvier 2024, qui écrivaient que « la promesse d’interdire la brevetabilité des plantes OGM/NTG n’est qu’un miroir aux alouettes destiné à tromper le public […] une telle modification serait totalement inutile en pérennisant la brevetabilité des techniques NTG qu’il n’est pas prévu de supprimer ».

Les risques, pour les semenciers comme pour les paysans, résultant de contamination ou d’utilisation involontaire pour la sélection de ressources génétiques couvertes par brevet, resteraient donc d’actualité. Comme les risques d’extension abusive de la portée des brevets aux « traits natifs » résultant.
En cas de poursuite en contrefaçon imposant une inversion de la charge de la preuve4, les semenciers qui ont enregistré leurs variétés ou matériels hétérogènes avant le dépôt d’une demande de brevet, déposé un échantillon dans une collection officielle et/ou publié dans une revue officielle leurs séquences génétiques, pourront faire valoir l’antériorité de leurs semences et donc qu’ils n’ont pas fait usage de l’invention brevetée. Les paysans et les petits semenciers amateurs qui n’enregistrent pas leurs semences au catalogue, ne séquencent pas leurs génomes et ne déposent pas d’échantillon dans des collections officielles ne pourront par contre pas amener cette preuve d’antériorité leur permettant de prouver que leurs semences ne sont pas des contrefaçons de l’invention brevetée.

Des multinationales consultées en amont

Les multinationales de la semence ont été consultées par les Commissions parlementaires, comme le montrent leurs pages « Transparency ». Les nouvelles dispositions ont-elles reçu l’aval de ces multinationales ? Et, le cas échéant, que cela signifierait-il ? A l’instar des semenciers de taille moyenne qui regardent vers les COV plutôt que vers les brevets, les multinationales pourraient se contenter d’une protection par brevets de leurs procédés5. Car l’existence même de ces derniers leur permettra de revendiquer des droits sur des plantes issues des procédés NTG.

Ils pourraient en outre bénéficier du COV portant sur les caractères génétiques qui, lié à des brevets procédé, leur permettrait de retrouver une forme de protection génétique de leur produits issus de NTG. Par ailleurs, la protection par brevets reste très chère et peut pousser, y compris les grands semenciers, à rationaliser leur portefeuille de brevets. A fortiori, si les produits issus de NTG n’étaient plus brevetables. Un seul brevet procédé peut couvrir de multiples variétés, éventuellement de multiples espèces, contenant les caractères génétiques, obtenues directement par ce procédé. Pour valoriser au mieux leurs développements sur les NTG, les multinationales de la semence pourraient alors toujours compter sur leur brevets couvrant leurs procédés. Des actions en justice sont en effet possibles sur la base de tels droits.

Directive 98/44 et Convention sur le Brevet Européen

Pour finir, si la non-brevetabilité des « plantes NTG, les parties de matériel végétal de celles-ci, les informations génétiques et les caractéristiques des procédés qu’elles contiennent » devait être adoptée, cela aura des conséquences sur la directive européenne sur les inventions biotechnologiques 98/44/CE, qui devra être modifiée, comme le propose l’amendement présenté ci-dessus. Puis, les États membres de l’UE devront intégrer les nouvelles dispositions dans leur législation nationale avec les ajustements dans leurs systèmes juridiques nationaux pour assurer la conformité. Le « Brevet unitaire européen », dépendant de l’Union européenne, devra également prendre en compte les nouvelles dispositions encadrant les brevetabilité des plantes issues de NTG.

Ensuite, pour que ces modifications s’appliquent aux brevets européens, c’est la Convention sur le Brevet Européen (CBE) régissant le fonctionnement de l’Office Européen des Brevets (OEB), organe qui ne dépend pas de l’Union européenne, qui devra intégrer ces nouvelles dispositions sur les NTG, comme elle l’avait fait pour les procédés essentiellement biologiques. Mais le parcours officiel pour une telle modification n’est ni simple, ni rapide, et passe par l’approbation des membres de la CBE, qui ne sont pas tous membres de l’Union européenne6. En outre, les demandes de brevets déposées et les brevets délivrés avant ces modifications ne seront pas annulés mais seraient limités (« further limited »/considérant 45a amendements Commission environnement) aux revendications de procédés. Ils resteront néanmoins valides jusqu’au terme des 20 années suivant la date de leur dépôt. Délai suffisant, si on continue à laisser les rennes du droit européen aux lobbyistes de l’industrie, pour faire voter une nouvelle évolution des réglementations OGM….

Adoption et transposition

La présentation du rapport est prévue en séance plénière du Parlement européen pour le 6 février, avec possiblement un vote. Si le Parlement européen devait voter un texte, ce dernier suivra la procédure législative ordinaire dans le cadre d’un trilogue incluant également le Conseil (qui doit encore proposer son texte amendé) et la Commission européenne dans les discussions pour aboutir à un texte final. De nombreux acteurs et observateurs commencent à douter de la possibilité d’adoption d’un tel texte final avant l’élection d’un nouveau Parlement européen, en juin 2024, et la désignation d’une nouvelle Commission.

  1. Frédéric PRAT, « Brevets : certains semenciers enterrent la hache de guerre », Inf’OGM, 7 mai 2018. ↩︎
  2. European Parliament, Agriculture Committee, « Opinion of the Committee on Agriculture and Rural Development for the Committee on the Environment, Public Health and Food Safety on the proposal for a regulation of the European Parliament and of the Council on plants obtained by certain new genomic techniques and their food and feed, and amending Regulation (EU) 2017/625 », 13 December 2023. ↩︎
  3. OJEU, « Directive 98/44/EC of the European Parliament and of the Council of 6 July 1998 on the legal protection of biotechnological inventions », 30 July 1998. ↩︎
  4. The burden of proof is said to be reversed when it is not for the patentee to prove that there is infringement but for the accused party to prove that it is not an infringer. This situation arises more particularly in the case of process patents. ↩︎
  5. Denis MESHAKA, « The dilemma faced by certain seed companies in relation to intellectual property rights », Inf’OGM, 6 décembre 2023. ↩︎
  6. Denis MESHAKA, « Deregulation of GMOs : 13 organisations call for it to be rejected », Inf’OGM, 29 janvier 2024. ↩︎
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