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Mutagenèses dirigée, ciblée, précise… Des adjectifs faussement qualificatifs ?
Être précis, cibler et atteindre son objectif, diriger une mutagénèse… voilà des qualificatifs porteurs d’un sens évoquant la maîtrise, la précision. Pourtant, à bien les lire, ces qualificatifs ne veulent rien dire dans un texte juridique. Car, dans la proposition de la Commission européenne visant à déréglementer nombre d’OGM, ils ne sont pas accompagnés de leurs corolaires : ciblé où ? Précis à quel niveau ? Dirigé par quoi ou par qui ?
Tant en 1990 qu’en 2001, le législateur européen établissait que les techniques de modification génétique utilisées pour modifier le matériel génétique d’un organisme d’une manière que ne s’effectue pas naturellement par multiplication et/ou par recombinaison naturelle donnaient des OGM. Une définition qui inclut aussi bien la méthode d’obtention de la modification génétique que cette dernière en elle-même. Mais le législateur allait plus loin dans sa pensée.
La mutagénèse, en 1990 puis 2001
Ce même législateur arrêtait en effet une liste non exhaustive de techniques donnant des OGM soumis aux requis de la législation. Il citait par exemple les techniques de « recombinaison de l’acide désoxyribonucléique » consistant à insérer des molécules d’acides nucléiques dans un organisme dans lequel elles n’apparaissent pas de façon naturelle.
Une autre technique était citée comme donnant des OGM : la mutagénèse. Si, dans la directive 2001/18, cette « mutagénèse » donne des OGM non soumis aux requis de la législation, c’est uniquement dans les cas où elle est utilisée traditionnellement et avec une sécurité avérée d’une part, et à la condition qu’elle n’implique pas l’utilisation de molécules d’acide nucléique recombinant ou d’OGM d’autre part. Cette terminologie fut clarifiée en 2018 par la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE) comme ne s’appliquant pas aux techniques de mutagénèse principalement développées après 2001, actant donc que les mutagenèses développées plus récemment (depuis 2001 mais également sur une période précédent 2001) ne donnent pas non plus des OGM exemptési. En 1990, comme en 2001, le législateur faisait donc clairement la différence entre les techniques consistant à insérer des séquences d’ADN et ce qu’il nommait alors « la mutagénèse ».
La mutagénèse en 2025, selon la Commission européenne
En faisant sa proposition de déréglementation de nombreux OGM végétaux (et de certains micro-organismes) en 2023ii, la Commission européenne introduit discrètement une vision législative plus large de ce qu’est la mutagénèse. Elle propose ainsi de définir la « mutagénèse ciblée » comme « les techniques de mutagenèse causant une ou plusieurs modifications de la séquence d’ADN à des endroits précis du génome d’un organisme ».
À lire l’annexe 1 que la Commission européenne a joint en 2023 au règlement proposé, on comprend que, cette fois, la mutagénèse peut concerner aussi bien des substitutions de nucléotides par d’autres nucléotides, des insertions (ajouts) de séquences génétiques « de 20 nucléotides maximum » ou encore des délétions (pertes) de séquences. Par un jeu rhétorique assez fin, la Commission propose également que soient cumulables ces modifications. Les substitutions ou insertions de séquences peuvent s’additionner les unes aux autres, sans limites. On est loin de « la mutagénèse » version 2001, qui ne couvrait pas les insertions de séquences…
La mutagénèse « ciblée », « précise »…
De plus, la Commission européenne adjoint au terme mutagénèse le terme « ciblée ». Elle justifie ce qualificatif en détaillant que « une ou plusieurs modifications » seraient causées « à des endroits précis du génome d’un organisme ». En faisant référence à « une ou plusieurs modifications », la Commission ouvre la porte aux multinationales de pouvoir présenter des végétaux soi-disant modifiés génétiquement de manière maîtrisée, alors même qu’ils ont été obtenus au petit bonheur la chance, comme le montre certains dossiers déposés aux États-Unisiii.
De son côté, le Parlement européen proposera, en 2024, de remplacer le terme « précis » par le terme « ciblé »iv. L’intention derrière ces mots est de rassurer : si la modification est « ciblée », c’est qu’elle serait maîtrisée, voire sans danger. Mais finalement, sans autre précision, quelle contrainte représenterait ce terme de « ciblé » pour une entreprise ? A priori, toute demande d’autorisation d’OGM obtenu par « mutagénèse ciblée » pourrait passer par ce nouveau règlement. Une entreprise affirmera sans mal avoir « ciblé » telle ou telle séquence du génome d’un organisme et pourra tout aussi facilement cacher avoir dû s’y reprendre 809 fois avant d’y parvenir.
La considération ajoutée que ces modifications aient lieu « en plusieurs endroits précis du génome » interpelle également. Si le terme « précis » laisse à penser à une précision de la technique et/ou des techniciens, il n’en est rien, car le terme n’est pas contraignant. Par définition, une modification génétique obtenue n’importe où dans un génome, dans un endroit souhaité initialement ou ailleurs, se trouvera dans un endroit du génome souvent précisément identifié a posteriori, soit après la première application du procédé revendiqué. À l’image d’une voiture s’arrêtant au hasard n’importe où entre Marseille et Briançon, une fois arrêtée, elle se trouvera dans un endroit précis de la route, qui sera qualifié de précis dès lors que toute voiture voulant reproduire précisément ce trajet s’y arrêtera aussi.
À lire la définition de mutagénèse ciblée proposée par la Commission européenne, les termes scientifiques utilisés ne sont pas précis et ne sont là que pour laisser croire à une maîtrise qui n’existe pas.
Une visée politique précise elle aussi ?
Face à l’imprécision de ces termes « ciblé » ou « précis » adjoints au terme mutagénèse, la question se pose des enjeux législatifs. Comme nous l’avons déjà vu, une entreprise ne rencontrera aucune difficulté à affirmer que tel ou tel OGM a été obtenu par « mutagénèse ciblée » avec l’obtention de mutations dans un endroit précis du génome. À titre d’exemple, on se rappelle l’entreprise Cibus et la description de son canola 5715. Cette plante génétiquement modifiée était, en 2013, décrite comme obtenue par « mutagénèse dirigée », l’entreprise usant même à l’époque d’une précision aujourd’hui absente des débats en parlant de « mutagénèse dirigée par oligonucléotides »v. Mais, en 2018, la CJUE rappelait à tous que cette technique de mutagénèse donne des OGM soumis aux requis de la législation européenne sur les OGM. En 2020, Cibus changeait sa description et expliquait qu’en fait, son canola avait été obtenu par une méthode de mutagénèse appelée « variation somaclonale », espérant échapper à la réglementation européenne sur les OGMvi.
Ce colza ayant disparu du marchévii, le fin mot de l’histoire légale en Europe ne sera pas connu, mais elle révèle la facilité du changement de description faite par une entreprise pour un même OGM. Le législateur européen, en usant de termes imprécis, risque fort de faciliter encore plus la tâche des entreprises à échapper à la législation sur les OGM…
i CJUE, « affaire C‑528/16 », 25 juillet 2018.
ii Parlement européeen, Observatoire législatif, « 2023/0226(COD) – Plantes obtenues par certaines nouvelles techniques génomiques et les denrées alimentaires et aliments pour animaux qui contiennent de telles plantes », 5 juillet 2023.
iii Annick Bossu et Eric Meunier, « Les mots à la base de la stratégie des multinationales », Inf’OGM, le journal, n°173, octobre/décembre 2023.
iv Voir la modification proposée de l’article 3 :
Parlement européen, « Végétaux obtenus au moyen de certaines nouvelles techniques génomiques et denrées alimentaires et aliments pour animaux qui en sont dérivés », 24 avril 2024.
v Eric Meunier, « Colza Cibus : une mutation aux origines mystérieuses », Inf’OGM, 29 septembre 2020.
vi Eric Meunier, « Canola OGM : le gouvernement canadien au secours de Cibus », Inf’OGM, 10 novembre 2020.
vii Claire Robinson and Jonathan Matthews, « GMO company Cibus investigated for deceiving investors », GMWatch, 8 juillet 2024.


