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Mutagénèse : l’UE viole-t-elle le Protocole de Cartagena ?
Six députés Verts/ALE ont adressé une question écrite à la Commission européenne concernant le respect par l’Union européenne du Protocole de Cartagena qui encadre les mouvements transfrontaliers d’Organismes vivants modifiés. Mais la question était bizarrement posée, et la réponse de la Commission nous laisse sur notre faim…
Dans leur question [1], les députés indiquent qu’aux États-Unis et au Canada, l’entreprise Cibus commercialise depuis 2015 des semences de colza génétiquement modifié par mutagénèse dirigée par oligonucléotides (SU Canola) pour tolérer les herbicides à base de sulfonylurée [2]). Selon les députés, « puisque rien ne s’y oppose, il y a tout lieu de croire que ce canola est exporté vers les partenaires commerciaux habituels de ces deux pays, dont l’Union européenne. Après avoir été introduit dans l’Union européenne, ce canola pourrait ensuite être exporté vers d’autres partenaires commerciaux ». Les députés demandent donc à la Commission si elle sait si des graines de SU canola sont exportées de l’Union européenne vers d’autres partenaires commerciaux et si tel est le cas, si nous pouvons considérer que les obligations imposées par le Protocole de Cartagena sont respectées.
La directive qui encadre les OGM dans l’Union européenne a été adoptée en 2001. Ce texte exempte des obligations qu’elle pose les plantes issues de la mutagénèse, sans référence à une technique de mutagénèse particulière [3]. Par conséquent, dans l’Union européenne, les variétés de colzas rendus tolérantes aux herbicides (VrTH) par mutagénèse échapperaient aux obligations posées par la directive en matière d’évaluation des risques, d’étiquetage ou de traçabilité. Il est fort probable que certaines de ces variétés de colza mutées soient issus de mutagénèse appliquée sur des cellules végétales cultivées in vitro.
Une réponse théorique de la Commission
Le Protocole de Cartagena, auquel l’Union européenne est liée, encadre les mouvements transfrontières d’organismes vivants modifiés [4]. Ce Protocole impose notamment aux États parties d’identifier ces organismes vivants modifiés en tant que tels lorsqu’ils les exportent vers un autre État partie.
Dans le Protocole, seuls sont considérés comme étant des organismes vivants modifiés les organismes issus de la « biotechnologie moderne », définie comme « l’application de techniques in vitro aux acides nucléiques […] qui surmontent les barrières naturelles de la physiologie de la reproduction ou de la recombinaison et qui ne sont pas des techniques utilisées pour la reproduction et la sélection de type classique ».
Or comment l’Union européenne peut-elle satisfaire à ses obligations en vertu du Protocole de Cartagena si les plantes soumises au Protocole de Cartagena échappent aux obligations d’étiquetage et de traçabilité en vertu du droit de l’Union européenne ? Plus précisément, comment peut-elle respecter les obligations découlant du Protocole si les plantes issues de mutagénèse appliquée sur des cellules végétales cultivées in vitro ne sont pas soumises aux obligations d’étiquetage et de traçabilité ? Et si le mode de production des plantes mutées n’est pas obligatoirement précisé par les entreprises semencières ?
La Commission européenne, dans sa réponse aux euro-députés, précise qu’elle « n’a pas connaissance d’exportations de SU canola™ de l’Union européenne vers des pays tiers. Le SU canola™ ne figure pas sur la liste du catalogue commun des espèces de plantes agricoles/légumes de l’UE, qui énumère les variétés qui peuvent être commercialisées dans l’UE, et aucune production commerciale de SU canola™ ne devrait donc avoir lieu dans l’Union ». Et de renvoyer à la procédure en cours devant la Cour de justice de l’Union européenne s’agissant du statut juridique des organismes obtenus par mutagénèse au regard du droit de l’Union européenne [5].
Cette réponse vous laisse sur votre faim ? Nous aussi ! Mais si cela tient à la façon dont les questions, certes importantes, étaient posées, cela tient surtout au mensonge par omission de la Commission européenne.
Un mensonge par omission de la Commission ?
La question du respect du Protocole par l’Union européenne suppose, comme l’ont fait les euro-députés, de poser la question de ses exportations vers des États tiers parties au Protocole. En effet, les obligations posées par le Protocole reposent essentiellement (mais pas seulement) sur la partie qui exporte des organismes vivants modifiés, de sorte que la question de savoir si des importations de ce colza ont lieu dans l’Union européenne n’aurait pas permis de savoir si l’Union européenne respecte les obligations pesant sur elle en vertu du Protocole de Cartagena.
Mais quand la Commission européenne affirme que l’Union européenne n’exporte ni ne produit commercialement le SU canola™, elle donne l’impression qu’il n’y a pas du tout d’importations de ce colza dans l’Union et donc que cette dernière respecte les obligations découlant du Protocole de Cartagena. Les choses sont toutefois plus subtiles… La Commission a certes raison de dire que les graines de colza destinées à être commercialisées et/ou utilisées comme semences ne peuvent être importées dans l’Union européenne que si la variété est inscrite au catalogue commun des espèces et variétés, ce qui n’est pas le cas aujourd’hui. Mais les graines peuvent aussi être destinées à être transformées en huile et tourteaux et importées en mélange variétaux, sans que le nom de la variété soit indiquée. Si l’État dont proviennent les graines de colza n’est pas partie au Protocole, ce qui est le cas des États-Unis et du Canada, rien ne permet d’assurer leur traçabilité s’ils sont issus de mutagénèse appliquée sur cellules cultivées in vitro. Par conséquent, si les graines sont réexportées depuis l’Union européenne en gardant leur capacité de germer, l’Union européenne ne peut pas en informer le pays destinataire et manque donc à ses obligations d’information découlant du Protocole de Cartagena. Il est peut-être peu probable que de telles graines soient réexportées avant d’avoir été transformées (auquel cas elles ne sont plus soumises au Protocole, car elles ne sont plus vivantes), mais rien ne l’interdit.
En introduisant leurs questions, les euro-députés ont sous-entendu que l’UE importait des graines de colza des États-Unis et du Canada sans en préciser la destination. La réponse de la Commission tient donc en quelque sorte du mensonge par omission.
Mais il reste curieux que les députés aient restreint leur question au colza, qui plus est une variété de colza non cultivée dans l’Union européenne.
Outre le colza, d’autres variétés tolérantes aux herbicides ont été obtenues par mutagénèse a priori in vitro. C’est le cas notamment du tournesol et de certains riz en Italie.
Quant au colza que citent les euro-députés, le SU canola™, il est cultivé au Canada et aux États-Unis. Mais les surfaces cultivées sont peu importantes de sorte que leur part dans les exportations vers l’Union européenne ne peut pas être très importante – du moins pour l’instant [6]. Mais en France, le colza et le tournesol tolérant les herbicides par mutagénèse, a priori appliquée sur des cellules végétales cultivées in vitro, sont déjà cultivés [7]. Or ces variétés, inscrites au Catalogue commun des variétés, le sont sans aucune indication sur la technique utilisée. Ne faudrait-il pas aussi s’interroger sur le respect des obligations du Protocole de Cartagena pour les exportations de ces cultures-là ? [8]
[1] Molly Scott Cato (Verts/ALE), José Bové (Verts/ALE), Bart Staes (Verts/ALE), Maria Heubuch (Verts/ALE), Martin Häusling (Verts/ALE), Claude Turmes (Verts/ALE). Parlement européen, Question parlementaire P-003628-17, Non-respect du protocole de Cartagena pour ce qui est de l’exportation des produits obtenus par les nouvelles techniques de sélection, 31 mai 2017, http://www.europarl.europa.eu/sides/getDoc.do?type=WQ&reference=P-2017-003628&format=XML&language=FR
[2] voir , « États-Unis : les nouvelles plantes mutées déjà dans les champs », Inf’OGM, 24 octobre 2016
[3] La principale explication de cette exemption consiste à dire que, lors de l’adoption de la directive, les plantes mutées étaient cultivées depuis des décennies sans conséquence négative manifeste. Selon l’expression utilisée par la directive 2001/18, la mutagénèse fait partie de ces « techniques de modification génétique qui ont été traditionnellement utilisées pour diverses applications et dont la sécurité est avérée depuis longtemps » (considérant 17 de la directive).
[4] Le Protocole définit les organismes vivants modifiés comme « tout organisme vivant possédant une combinaison de matériel génétique inédite obtenue par recours à la biotechnologie moderne » (article 3 g).
[5] Parlement européen, Question parlementaire P-003628-17, Non-respect du protocole de Cartagena pour ce qui est de l’exportation des produits obtenus par les nouvelles techniques de sélection, 3 juillet 2017, http://www.europarl.europa.eu/sides/getAllAnswers.do?reference=P-2017-003628&language=FR
[6] D’après le journal Bloomberg, les agriculteurs étasuniens ont récolté 3 237 hectares en 2015 et 8 094 hectares en 2016 de ce colza. voir , « États-Unis : les nouvelles plantes mutées déjà dans les champs », Inf’OGM, 24 octobre 2016
[7] Le nombre d’hectares cultivés peut varier selon les sources. voir , « Progression des OGM « cachés » en France et en Europe », Inf’OGM, 25 avril 2018
[8] La question de la compatibilité de l’exemption de mutagénèse aménagée par la directive 2001/18 et le Protocole de Cartagena est aussi posée par les organisations françaises à l’initiative du recours devant le Conseil d’État français au sujet des organismes issus de mutagénèse.