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Les OGM, la Suisse et l’Europe

Par Zoé JACQUINOT Sylvain Aubry (*)

Publié le 29/04/2020

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Biologiste en fonction à l’Office fédéral de l’agriculture suisse, Sylvain Aubry est spécialiste des biotechnologies végétales. Il est l’une des personnes en charge de l’expertise sur ces questions pour le gouvernement suisse. Inf’OGM l’a interrogé sur les conséquences qu’ont les décisions françaises et européennes sur la Suisse concernant les techniques de mutagénèse.

Inf’OGM – Quels sont les OGM aujourd’hui autorisés en Suisse ?

Sylvain Aubry – La culture des OGM en Suisse a été interdite par un moratoire après une votation populaire en 2005, puis cette interdiction a été reconduite trois fois consécutives par le Conseil fédéral. Ce moratoire s’applique désormais jusqu’à fin 2021 [1] [2].

Par ailleurs, la Suisse est plus restrictive que l’Union européenne en terme d’importations d’OGM pour l’alimentation (seulement quatre OGM autorisés, contre plus de 70 dans l’UE), mais s’aligne sur l’Europe en terme d’importation de fourrage OGM (destiné en majorité à l’alimentation des animaux d’élevage). Il est important de noter que malgré l’autorisation des fourrages OGM, peu ou pas d’OGM sont effectivement utilisés dans l’agriculture et dans l’élevage suisses.

Y a-t-il d’autres différences ou similitudes concernant les OGM entre la Suisse et l’Europe ?

SA – N’étant pas membre de l’Union européenne, la Suisse a développé un appareil législatif qui lui est propre [3] mais largement inspiré par la directive européenne 2001/18. On note cependant quelques différences. Par exemple, les produits issus de mutagénèse sont explicitement considérés comme n’étant pas des OGM (contrairement à la réglementation européenne) [4] à condition que cette « mutagénèse » ne soit pas « liées à l’usage de molécules d’acide nucléique recombinant ou d’organismes génétiquement modifiés » [5].

Il est important de noter également qu’il existe une reconnaissance bilatérale des catalogues de semences entre la Suisse et l’Union européenne, sauf en ce qui concerne les OGM [6]. L’agriculture suisse est très dépendante des réglementations européennes.

Quelles ont été en 2018 les réactions des autorités suisses face à l’arrêt de la Cour de justice de l’UE sur le statut des organismes issus de nouvelles techniques de mutagénèse ?

SA – Il est difficile d’affirmer si l’arrêt de la CJUE de juillet 2018 [7] a eu un effet direct sur le débat suisse. Le Conseil fédéral a confirmé en novembre 2018 que les techniques Crispr/Cas9 sont considérées comme des techniques de modification génétique et que le droit actuel en la matière s’y applique. Cependant, l’interprétation générale sur l’ensemble des « nouvelles techniques » est toujours en discussion. Particulièrement, les problèmes de détection et d’étiquetage des produits issus de ces techniques restent un sujet ouvert.

De quelle manière la Suisse prend-elle en compte l’arrêt du Conseil d’État français et les obligations vis-à-vis du catalogue des variétés ? [8] [9]

SA – Pour le moment, il n’y a pas de prise de position officielle en Suisse sur les distinctions faites entres les techniques de mutagénèse. Par exemple, la décision du Conseil fédéral sur les nouvelles technologies ne mentionne pas explicitement les techniques classiquement exemptées. Il n’y a pas à ma connaissance de remise en question de ce point dans la discussion publique pour le moment comme en France. Mais les autorités suisses suivent avec attention la situation dans les différents États membres, dont la France.

Le Conseil fédéral est en train de préparer l’étape post-moratoire de 2021. Différentes motions parlementaires proposent comme décision la poursuite du moratoire (motif sanitaire, socio-économique…) et la prise en compte des nouvelles techniques de sélection végétale (dont le « genome editing »). Le parlement (Conseil national) doit statuer prochainement sur l’éventuelle exemption de «  l’édition génomique » de la liste des techniques de modification génétique qui doivent être soumises à la réglementation sur les OGM [10]. Le Conseil fédéral, concernant la motion proposée, estime « qu’il n’est pas justifié de soustraire au domaine d’application du droit sur le génie génétique la culture de plantes issues de l’édition génomique et modifiées sans introduction de matériel génétique étranger » et propose de rejeter la motion.

À l’heure actuelle, il n’y a pas de ré-évaluation des procédures ou des variétés déjà inscrites au catalogue suisse. Vu la forte dépendance de la Suisse vis-à-vis du catalogue européen, il est important que la situation soit clarifiée au plus tôt entre l’Union européenne et la Suisse.

[4Loi sur le génie génétique (LGG) RS 814.91 et ordonnance sur la dissémination dans l’environnement (ODE) RS 814.911, Ibid.

[5Cela place la législation helvète dans le même cas que la législation française avant l’arrêt du Conseil d’État en février 2020.

[6La reconnaissance des procédures étrangères est inscrite dans l’ordonnance du matériel de multiplication art. 3b. f. sur la définition de variétés connues.

[9En février 2020, le Conseil d’État obligeait le gouvernement français à établir une liste des techniques de mutagénèse qui donnent des OGM exemptés du champ d’application de la réglementation OGM et de mettre en accord le catalogue des variétés avec cette liste. Donc d’en retirer les variétés issues de nouvelles techniques de mutagénèse donnant des OGM régulés, tant que celles-ci n’auront pas été autorisées en accord avec la législation européenne sur les OGM et/ou de suspendre la culture et la commercialisation de leurs semences.

Cette décision confirme le décalage existant entre le droit suisse et le droit européen depuis la décision de la CJUE en 2018 concernant le statut OGM d’organismes issus de nouvelles techniques de mutagénèse. Elle impacte également la reconnaissance bilatérale de la Suisse du catalogue européen des variétés qui en exclut en principe les OGM.

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