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La filière semences en France : deux plans, deux visions
Le 12 décembre dernier, le Groupement national interprofessionnel des semences et plants (Gnis, interprofession), a présenté à la presse son plan semences pour la France. Conjointement, les deux syndicats Confédération paysanne et Modef en ont fait de même… Deux plans, deux visions de l’agriculture et de la société…
Lors des États généraux de l’alimentation (EGAlim), le président Macron a demandé que toutes les interprofessions rédigent leur plan de développement. Pour les semences, le plan élaboré par le Gnis [1] a été remis officiellement le 15 décembre au ministre de l’Agriculture, Stéphane Travers. Il comporte pas moins de 30 engagements, votés « par le Conseil d’administration du Gnis le 8 décembre 2017 » sur la base d’une consultation déclarée par le Gnis comme « la plus large possible » de ses 41 membres et d’acteurs non membres. Mais pour mieux comprendre d’où vient ce plan, petit retour en arrière.
Pourquoi deux plans semences ?
Durant les États généraux de l’alimentation, vers la mi-novembre, le ministre de l’Agriculture a en effet confié au Gnis la réalisation d’un plan national semences. Stupeur au sein de la Confédération paysanne et du Modef, un autre syndicat paysan minoritaire, pour qui le Gnis n’est pas légitime à élaborer, seul, ce plan, puisqu’il ne représente « qu’une partie des acteurs des filières semences françaises » et entretient des « relations très conflictuelles avec les agriculteurs producteurs de semences de ferme et paysannes ou encore les multiplicateurs de semences potagères de variétés anciennes ». En effet, depuis le Grenelle de l’environnement, « il existe au sein du CTPS [Comité Technique Permanent de la Sélection des plantes cultivées] un groupe de travail, devenu comité de pilotage du Plan Semences et Agriculture Durable, très ouvert dans sa composition à l’origine (y compris avec la Confédération paysanne, Les croqueurs, RSP, FNE, Parc régionaux, Inra…), moins ouvert aujourd’hui mais où la Conf’ et les croqueurs/RSP sont toujours présents » explique à Inf’OGM Guy Kastler, de la Confédération paysanne. Mais ce comité ne s’est plus réuni depuis le début des EGAlim (été 2017). C’est donc le Gnis, en tant qu’interprofession, qui a été choisi pour élaborer le plan national semences, ce qui revient, pour l’État, à déléguer la définition des politiques publiques aux professionnels de la filière semencière industrielle.
Pour asseoir sa légitimité, le Gnis a convoqué largement tous les acteurs, dont la Confédération paysanne, le 30 novembre. À l’issue de cette réunion, le président du Gnis, François Desprez, a déclaré « nous avons pu constater que les orientations du plan filière avec ses propositions concrètes dégageaient un consensus des participants à la réunion » [2]. Mais, selon Daniel Evain, de la Confédération paysanne, « la réunion du 30 [novembre] relevait plus de l’information que de la consultation et encore moins de la concertation. (…) Nous avons exprimé notamment notre désaccord sur les nouvelles techniques de modification du génome et (…) nos positions ne figurent pas dans le plan filière ».
Voilà pour le contexte, et voilà qui explique pourquoi, dans la foulée, Confédération paysanne et Modef ont à leur tour élaboré leur plan semences, qu’ils ont diffusé le 12 décembre, outre aux organisateurs des EGA, aux ministres de l’Agriculture, de l’Environnement ainsi qu’au Premier ministre.
Des points communs ? Seulement en apparence…
« Mieux répondre aux attentes des citoyens, des consommateurs et des clients ; innover pour accompagner les filières en transition agro-écologique ; protéger, enrichir et diffuser la biodiversité » [3] : qui pourrait s’insurger contre ces trois objectifs principaux du plan du Gnis ? Mais le diable se cache souvent dans les détails.
Pour la Conf’, qui veut rétablir la confiance des consommateurs, « le droit des citoyens et des consommateurs à l’information ne se réduit pas aux seules informations commerciales volontairement fournies par les entreprises ». Prenant pour exemple le dossier des nouveaux OGM, les deux syndicats demandent qu’il devienne obligatoire de fournir par exemple les procédés d’obtention de chaque nouvelle variété et « mettre en place un nouveau programme de recherche chargé de définir les protocoles permettant de distinguer les nouveaux OGM qui ne seraient pas déclarés ». Le Gnis semble approuver cette demande quand il propose d’« apporter aux utilisateurs une information consolidée sur l’ensemble des variétés mises sur le marché en France incluant les caractéristiques techniques, ainsi que gustatives et organoleptiques, les performances, les modes d’obtention et de propriété intellectuelle ». Sauf qu’il refuse toute obligation d’information car, pour lui, elle doit rester volontaire, au bon vouloir des entreprises.
Autre point qui peut sembler convergent entre les deux plans : fournir des variétés adaptées à l’agriculture biologique et plus généralement à l’agroécologie, en « prenant en compte les conditions et contraintes de l’agriculture biologique à partir des recommandations de la commission inter-sections pour l’agriculture biologique » du Comité Technique Permanent de la Sélection des plantes cultivées (CTPS) et en travaillant avec l’Institut technique d’agriculture biologique (Itab) [4] : décidément le Gnis affiche l’ouverture, désirant également « redynamiser l’amélioration variétale sur certaines espèces comme les plantes protéagineuses, certaines légumineuses, certaines espèces de culture intermédiaire, les espèces à impacts thérapeutiques pour le bétail (lotier, mélilot, …) [ainsi que] promouvoir le développement des associations culturales ». La Conf’ et le Modef ne sont pas en reste, proposant à la recherche publique et l’industrie semencière de « sélectionner [entre autres] les plantes et les caractères adaptés aux modes de cultures agroécologiques, les espèces orphelines, les couverts végétaux, les légumineuses et protéagineux, les cultures associées, les mélanges de variétés, les pailles hautes… ». Si les espèces choisies sont similaires, le type de sélection, on le verra plus bas, est totalement différent : participative, semence reproductible sans Droit de propriété (DPI) pour la Conf’ et le Modef, versus des semences souvent DHS et sous certificat d’obtention végétale pour le Gnis.
Un catalogue plus ouvert
Il existe aussi une convergence apparente des deux plans sur l’inscription au catalogue de matériel hétérogène. Alors qu’il s’était jusqu’à présent toujours opposé à cette demande, le Gnis prend acte du « futur règlement européen sur la « production biologique et l’étiquetage des produits biologiques » [qui] vient de décider l’ouverture à partir de 2021 d’une liste de matériel hétérogène avec un enregistrement sur simple déclaration. L’absence de cloisonnement entre l’agriculture conventionnelle et l’agriculture biologique justifie qu’une telle liste soit prévue pour l’ensemble des agricultures ». Conf’ et Modef vont dans le même sens, mais en précisant le contenu de la demande afin de ne pas s’arrêter au seul changement de vocabulaire : pour eux, il faut « autoriser la commercialisation de semences et plants (a) de variétés hétérogènes ne répondant pas à la définition de la variété du Certificat d’obtention végétale et (b) de ressources phytogénétiques non enregistrées au catalogue ». Le Gnis entend par ailleurs « demander au CTPS de faciliter les conditions d’inscription sur les listes c [variétés menacées d’érosion génétique] et d [réservée aux semences potagères, avec les variétés dites « sans valeur intrinsèque » ou encore destinées à des conditions de culture particulières] du Catalogue officiel des semences (…) [et] demander la gratuité de l’inscription des variétés aux listes c, d et matériel hétérogène du Catalogue ». Le Gnis propose également de « faire évoluer [cette] liste d (…) [en l’élargissant] pour accueillir des variétés adaptées à des marchés de niche, (…) des espèces agricoles, [et en faisant] évoluer les modalités pratiques (poids des emballages) pour permettre une commercialisation non seulement aux amateurs mais également aux petits professionnels actifs sur les marchés de niche ».
Quant aux variétés radiées du catalogue, le Gnis propose d’en « faciliter l’identification, l’accès et la reprise (…) en créant un fonds pour le maintien des variétés du domaine public n’ayant plus de mainteneur (sélection conservatrice) ».
Enfin, dernier point d’apparente convergence : la nécessité d’une gestion durable des ressources phytogénétiques. Pour le Gnis, « les obtenteurs ou mainteneurs de variétés, membres des réseaux de conservation de ressources génétiques, aux côtés de la recherche publique et des associations, continueront de s’engager dans la conservation, la caractérisation et la gestion des collections nationales qui en seront issues ». Conf’ et Modef insistent pour leur part sur la « complémentarité entre les grandes banques de germoplasmes, les petites maisons des semences locales gérées par les communautés et les collectifs de paysans pratiquant la gestion dynamique in situ à la ferme [pour] permettre une conservation et une gestion durable des ressources phytogénétiques ». Preuve de l’engagement du Gnis ? Il s’engage à apporter « chaque année au Fonds de Partage des Avantages du Traité international sur les ressources phytogénétiques (Tirpaa) une contribution volontaire de 175 000 euros » somme qui ne représente que 1 % de ce que la filière semence française devrait payer à ce Fonds [5]. Conf’ et Modef précisent d’où devraient provenir ces contributions : « il convient de taxer la commercialisation de semences non librement reproductibles pour financer le Fonds de partage des avantages. Cela profiteraient deux fois à la conservation, alors que taxer les semences de ferme pour financer la production de semences non librement reproductibles (comme le font les Contributions volontaires obligatoires (sic) (CVO) « semences de ferme ») la pénalise deux fois ».
Ces affichages apparemment communs cachent des divergences profondes qui se révèlent notamment sur les semences de ferme, la propriété du vivant, et les méthodes d’obtention des nouvelles variétés.
Des divergences irréconciliables ?
Première divergence forte et non des moindres : le processus d’obtention des nouvelles variétés. Pour les deux syndicats paysans, il faut promouvoir les semences paysannes, « issues de techniques de sélection à la portée du paysan utilisateur final privilégiant la pollinisation libre au champ, la sélection massale au terroir, les échanges de semences entre agriculteurs et la gestion dynamique à la ferme ». Pour cela, « l’accession de chaque paysan à une offre de semences hétérogènes et reproductibles lui permet de l’adapter à son terroir particulier bien plus rapidement qu’une variété homogène et stable incapable d’évoluer ou qu’un hybride F1 non reproductible ». Même si, on l’a vu, le Gnis fait une ouverture vers les variétés hétérogènes – sans toutefois les définir – il ne remet pas en question l’obtention de variétés distinctes homogènes et stables (DHS), ainsi que d’hybrides. Et ne s’interdit nullement le recours « aux méthodes récentes d’amélioration pour répondre aux enjeux agricoles, alimentaires et environnementaux [en lançant] un grand programme de recherche public-privé sur le développement de ces technologies en privilégiant des méthodes open-source ». Sans être jamais nommés, les OGM ne sont donc pas loin, avec la demande déjà formulée depuis plusieurs années avec beaucoup d’insistance que les nouveaux OGM ne soient pas juridiquement qualifiés comme tels, afin d’échapper à la législation OGM…
Promotion de l’Upov versus droit des paysans d’utiliser, d’échanger et de vendre leurs semences
Pour le Gnis, le système de droits de propriété intellectuelle (DPI) des variétés végétales de l’Union pour la protection des obtentions végétales (Upov) doit être défendu. Mais « la préservation de ce système implique de s’assurer qu’il est rémunérateur pour les obtenteurs, même quand la part des semences de ferme augmente, et qu’il n’est pas limité par le développement des brevets sur les inventions biotechnologiques ». Et il ajoute qu’il « est (…) de l’intérêt de la diffusion de la biodiversité d’étendre l’adoption du système Upov dans le monde ».
Les deux syndicats estiment quant à eux que les paysans doivent avoir le droit d’utiliser et d’échanger les semences de ferme mais constatent que « l’offre commerciale de variétés techniquement reproductibles et libres de DPI est très restreinte [et que] les semences de ferme de variétés protégées par un COV sont interdites pour la majorité des espèces et/ou par des verrous techniques (hybrides F1). Lorsqu’elles sont autorisées (30 espèces), elles sont pénalisées par des royalties ». Ils proposent de « reconnaître le droit des agriculteurs de vendre au titre de l’écoulement de leur récolte (donc sans obligations d’enregistrement du paysan comme semencier) des quantités limitées de semences prélevées dans leurs propres productions agricoles et n’appartenant pas à une variété commerciale enregistrée au catalogue et/ou protégée par un COV ». Ils ajoutent que « la protection du COV et du brevet sur les semences doit se limiter à la production des semences ou autres matériels de multiplication destinés à être commercialisées et à leur commercialisation ». Mais ils précisent qu’il « convient de cesser les soutiens financiers publics à une recherche privée qui se rémunère avec des DPI et de les transférer vers les entreprises et la recherche publique qui œuvrent pour des variétés « libres de DPI », seule solution pour re-territorialiser la sélection et la production des semences, pour développer les variétés locales, les sélections d’espèces aujourd’hui orphelines, la recherche collaborative avec les collectifs et réseaux de paysans sélectionneurs et pour encourager les complémentarités entre la sélection formelle en station d’expérimentation et les sélections paysannes au champ ».
Conf’ et Modef souhaitent « interdire les abus de brevet » : « Il convient (1) d’interdire l’extension de la protection d’un brevet portant sur une information génétique aux plantes contenant la même information génétique et issues exclusivement de procédés traditionnels de sélection ; (2) de rendre obligatoire lors de toute commercialisation de semences l’information sur tout brevet ou autre droit de propriété intellectuelle susceptible de limiter leur utilisation ou réutilisation ; et (3) de ne pas ratifier le CETA et les procédures de la juridiction du brevet unitaire européens s’ils remettent en cause les acquis du droit français contre les abus de brevet ».
Enfin, le Gnis semble avoir entendu les nombreux questionnements de la société civile à son égard. Il préconise d’« ouvrir un dialogue structuré avec les acteurs concernés dont les associations de consommateurs et les ONG afin de mieux intégrer leurs préoccupations dans les processus mis en œuvre dans la filière semences ». Ce dialogue sans aucun arbitrage de l’État pour définir les politiques publiques ne répond pas vraiment à la dénonciation, par le Modef et la Conf’, du statut du Gnis qui a récemment évolué en « interprofession totalement indépendante, [où] l’État a perdu les moyens et les compétences indispensables pour assurer ou contrôler l’application de ses missions régaliennes ». La Conf’ questionne notamment « la gouvernance du SOC [6], chargé du contrôle officiel de la qualité saine et loyale des semences mises en marché, par l’organisation professionnelle des entreprises soumises à ce contrôle », ce qui, selon elle, est révélateur « du conflit d’intérêt majeur que génère cette privatisation » [7]. En réponse partielle à cette accusation, le Conseil d’État, dans son arrêt du 24 novembre 2017 concernant une autre demande de la Confédération paysanne [8], « juge que, dans la mesure où les missions de contrôle déléguées au Gnis par l’État sont assurées par un service indépendant géré par un fonctionnaire d’État détaché, ni le Gnis ni ses adhérents ne tirent de profit personnel desdites activités ». Jugement totalement contraire au rapport concernant l’examen des délégations du ministère de l’agriculture au Gnis réalisé en 2015 par les services de l’État [9].
Deux plans, deux paradigmes : incompatibles ?
Ces deux « plans semences » reflètent deux visions distinctes de l’agriculture : l’une où la fonction « production de semences » est clairement détachée de celle de la production agricole ; et l’autre où coexisteraient la sélection classique des entreprises semencières et celle, collective et si possible collaborative avec la recherche publique, des paysans. Encore faudrait-il que cette coexistence soit possible : la confiscation du vivant par des droits de propriété, et donc sa privatisation par une poignée de multinationales, pourrait en effet empêcher à terme toute sélection paysanne légale ultérieure.
Le Gnis, reconnu légitime par le gouvernement, a une longueur d’avance : le gouvernement vient de mettre en ligne [10] les plans de filière de chaque interprofession, et pour les semences, seul celui du Gnis y figure. Gageons que le Modef, la Confédération paysanne et les organisations de la société civile feront tout pour mettre en avant leurs différences lors du « temps d’échange entre les acteurs économiques et la société civile » qui s’ouvre maintenant après les États généraux de l’Alimentation. Leur voix sera-telle entendue ?
[2] Sur la méthodologie, voir p.2 du Plan de filière semences et plants du Gnis : « Ce plan, en effet, est le fruit d’une consultation la plus large possible dans le calendrier contraint qui nous a été imposé, non seulement des 41 organisations qui composent le Gnis mais aussi des organisations professionnelles non membres de l’Interprofession qui travaillent à un titre ou à un autre sur les questions d’amélioration variétale, de conservation, de production, et de distribution des semences et des plants. Neuf groupes de travail ont été constitués dont les conclusions et les propositions ont été présentées le 30 novembre lors d’une réunion où était invitée la totalité des organisations (Organisations non représentées au sein de l’Interprofession ayant participé à la journée du 30 novembre : CNDSF, Confédération paysanne, Coordination rurale, FNAB, FRB, ITAB) ; enfin, le projet de plan finalement adopté par le Conseil d’administration du Gnis le 8 décembre 2017 a été également soumis à tous au préalable pour recueillir des remarques et contributions complémentaires ».
[3] Sauf mentions contraires, les citations sont tirées des deux plans semences.
[4] Dans le même temps, les Chambres d’Agriculture (APCA), proches du Gnis, ont toutefois demandé au Ministre de refuser l’agrément qui conditionne les financements de l’Itab, si ce dernier ne modifiait pas ses statuts pour permettre à l’APCA d’en prendre la présidence… Ouverture, mais sous contrôle !
[5] Au cours des négociations du Tirpaa à Kigali, la France s’est positionnée pour que le montant versé au Fonds de partage du Tirpaa représente 0,5 % du chiffre d’affaire de la filière semences. En France, pour la campagne 2016/2017, ce chiffre d’affaire a représenté 3,3 milliards d’euros. Elle aurait donc dû reverser 17,5 millions d’euros au Fonds de partage.
[6] Le service officiel de contrôle des semences est un service interne du Gnis.
[7] Sur ce conflit d’intérêt, voir : , « Comment les semences sont-elles contrôlées et certifiées en France ? », Inf’OGM, 31 mai 2017
[8] Arrêt du Conseil d’État du 24 novembre 2017, n° 400442 – demande d’annulation extension de l’accord interprofessionnel relatif au financement des actions du Gnis pour les campagnes de 2015 à 2018.
[9] Voir Rapport n° 15076 du CGAAER, décembre 2015.