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Le Tirpaa travaille sur une réforme controversée

Par Denis MESHAKA

Publié le 10/06/2025

    
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Début avril, le Tirpaa a de nouveau discuté de l’élargissement de la liste des cultures couvertes par le système multilatéral et la révision du contrat encadrant leur utilisation. Alors que des États membres du Traité invoquent la nécessité de garantir la sécurité alimentaire mondiale, des craintes sur une dérive de l’accès généralisé aux semences paysannes et traditionnelles se font entendre. Cela faciliterait leur brevetage, et ce sans réel partage des avantages, au détriment des pays du « Sud » et des droits des paysans.

Du 1er au 4 avril 2025, à Rome, la treizième réunion du groupe de travail spécial (GT13) du Traité international sur les ressources phytogénétiques pour l’alimentation et l’agriculture (Tirpaa) a ravivé un débat stratégique de fond : faut-il, sous couvert de la sécurité alimentaire, ouvrir un accès à l’ensemble des semences agricoles ou « ressources phytogénétiques pour l’alimentation et l’agriculture » (RPGAA) ? Des espèces aussi importantes que le soja ou la tomate, et bien d’autres, ne sont, en effet, pas couvertes par le Système multilatéral (SML) du Tirpaa. Prétextant répondre à cette demande pressante de l’industrie semencière appuyée par les pays du « Nord » et renforcer la coopération internationale, le Tirpaa risque de pénaliser les pays du « Sud », premières victimes potentielles de l’insécurité alimentaire.

Des propositions pour modifier le Tirpaa en profondeur

Le GT13 du Tirpaa a formulé dans son rapporti des propositions qui transformeraient profondément le fonctionnement du système multilatéral (SML). Ce système permet un accès facilité à certaines ressources phytogénétiques agricoles (pour la recherche, la sélection et la formation), supprimant le partage bilatéral des avantages découlant de la Convention sur la diversité biologique (CDB) entre les paysans qui ont fourni leurs semences aux banques de gènes du SML et leurs utilisateurs (l’industrie semencière essentiellement)ii. En échange, il prévoit une interdiction de revendiquer tout droit de propriété intellectuelle portant sur ces semences (RPGAA), leurs parties et composantes génétiques, ainsi qu’un partage multilatéral des avantages issus de leur utilisation devant abonder un fonds international géré par le Traité. Son fonctionnement est cependant critiqué, en particulier par des organisations paysannes, qui estiment que leurs droits sont insuffisamment protégés contre l’appropriation croissante de leurs semences par les brevets des multinationalesiii. Les pays du « Sud » et les ONG dénoncent, eux, l’absence de partage des bénéfices.

Trois « points sensibles » ont été plus spécialement abordés par le GT13 : l’élargissement de la liste des cultures couvertes par le SML (Annexe 1 du Traité) à toutes les RPGAAiv, la révision de l’Accord type de transfert de matériel (ATTM) et l’adoption d’une résolution traitant notamment de la question des informations de séquençage numérique, couramment appelées « DSI » (Digital Sequence Information).

Liste des RPGAA

La proposition la plus significative concerne l’abandon de la liste fermée de l’Annexe 1, qui regroupe actuellement 64 espèces végétales, pour son ouverture à « toutes les autres RPGAA », sous réserve d’exclusions limitées pouvant être décidées par les États. La liste de l’Annexe 1 actuelle a été construite en 2001 sur un compromis politique et scientifique qui a vu l’exclusion, pour des raisons stratégiques, de certaines espèces. Ce fut par exemple le cas de la tomate et du soja sous la pression, notamment, du Brésil et de la Chinev, qui ont ainsi voulu garder le contrôle de l’accès à ces espèces.

DSI

Sans qu’un texte n’ait été finalisé, le GT13 a proposé un encadrement du partage des avantages liés à l’utilisation des DSI ou GSD (Genetic Sequence Data), qu’il soit monétaire ou non, sujet majeur dans le contexte des nouvelles techniques de modification génétiques et des brevets les concernantvi. L’intégration des avantages dits « non monétaires » (transfert de technologie, renforcement des capacités…) est encore en débat. Parmi les points importants :
i) maintien de l’emploi provisoire des termes « informations de séquençage numérique/données de séquençage »,
ii) intégration du sujet DSI/GSD dans un projet de résolution, et non dans l’ATTM révisé, ce qui affaiblit grandement sa portée juridique,
iii) focalisation sur la commercialisation des RPGAA indépendamment de la source des DSI/GSD,
iv) soutien de façon générale au libre accès à ces données de séquençage numérique.
Mais l’accès aux DSI/GSD des RPGAA étant désormais libre sur les bases de données électroniques indépendantes du Tirpaa, les utilisateurs de ces DSI/GSD ne sont liés par aucune des obligations résultant de l’accès à ces RPGAA, ni interdiction de breveter, ni partage des avantages, qui ne peut être que volontaire.

ATTM

Les co-présidents du groupe GT13 proposent, dans le projet d’ATTM révisé, une nouvelle structure de paiement axée sur une souscription avec paiement anticipé, comme le soutiennent les pays du « Sud » et les ONGvii. Cette modalité est considérée comme l’option de base pour le partage des avantages. Deux autres options sont soumises au groupe de travail : un paiement différé (avec un taux plus élevé) et un paiement déclenché à la commercialisation du produit issu d’une RPGAA particulière (« option d’accès unique »). Le dispositif prévoit également la possibilité de contributions volontaires déductibles du montant des paiements obligatoires, en particulier pour couvrir les bénéfices tirés de l’utilisation des informations des DSI/GSD associées aux RPGAA. L’ATTM révisé entrerait en vigueur à compter du 1er juillet 2026, qui sera également la date d’ouverture de l’option de souscription.

Une réforme qui élargirait l’accès sans garantir de partage équitable

Cette réforme du Tirpaa dit vouloir rendre le système multilatéral (SML) plus attractif et accessible, notamment face aux défis climatiques et à la perte de biodiversité. Elle sera discutée par l’Organe Directeurviii du Traité fin 2025, mais suscite déjà de vives critiques, notamment autour de l’élargissement de l’Annexe 1 et de la brevetabilité des DSI/GSD.

Le groupe de travail GT13 évoque un accès élargi à de nouvelles ressources (RPGAA) détenues essentiellement par les pays du « Sud » (58% rien que pour l’Afrique et l’Amérique Latine)ix. En apparence favorable à ces pays en attente d’un partage effectif des avantages, cette mesure risque pourtant d’aggraver les déséquilibres existants. Ces pays risquent, en effet, d’être encore plus exclus de tout partage des bénéfices générés à partir de leurs propres ressources par l’accès libre aux bases de données de DSI/GSD. Ceci va à l’encontre des objectifs de la CDB, qui promeut un partage juste et équitable des avantages issus de l’exploitation des ressources génétiques, principe que le Tirpaa contribue à mettre en œuvre dans le secteur agricole. En pratique, les obligations de partage des bénéfices sont rarement appliquées. Bien que l’ATTM soit conçu pour encadrer toute utilisation de RPGAA du SML, la mise en œuvre effective des clauses destinées à protéger les fournisseurs de ces ressources, notamment en matière de propriété intellectuelle et de partage des avantages, est quasiment impossible à contrôler.

Depuis sa mise en place, le système multilatéral a permis plus de 112 000 transferts représentant 6,7 millions d’échantillonsx. Pourtant, en 2021, seules 5 entreprises, dont Nunhems/Bayer (à hauteur de 91%) et Bejo Zaden, ont contribué au Fonds de partage pour un total inférieur à 400 000 dollarsxi. L’ATTM présente de nombreuses failles, dont la difficulté à relier RPGAA et produit final ainsi que l’absence de traçabilité des multiples échanges et de l’utilisation effective de chaque RPGAA. En effet, la recherche peut utiliser une ressource génétique issue du SML uniquement dans une phase initiale, sans l’intégrer directement dans le produit final. Ainsi, même si la ressource a été utile au processus qui se termine avec la sélection d’une nouvelle RPGAA, son utilisation ne sera pas comptabilisée dans le calcul du partage des avantages. Par ailleurs, ces ressources sont souvent sollicitées par le monde de la recherche, qui n’est pas tenu de verser de contribution au fonds de partage des avantages. En outre, toutefois, les chercheurs collaborent fréquemment, dans le cadre de projets, avec des entreprises privées. Il existe alors un risque que ces dernières utilisent les ressources au-delà des objectifs du projet, notamment pour développer des semences commerciales protégées par des droits de propriété intellectuelle, sans en déclarer l’origine, contournant ainsi les obligations de partage des avantages.

De plus, le développement actuel d’une « biopiraterie numérique », via l’accès libre aux DSI/GSD contenues dans les bases de données publiques ou privées, pénalise davantage les pays du « Sud », principaux fournisseurs de RPGAA. Ces données peuvent être utilisées pour développer de nouvelles variétés et breveter des caractères sans accès direct à la RPGAA d’origine, échappant ainsi à l’interdiction de DPI et à tout partage des bénéfices. Cette faille remet en cause l’intégrité du système multilatéral.

Comment réformer dans le respect de la souveraineté ?

La réforme du Tirpaa soulève une question politique essentielle : à qui appartiennent les semences, et selon quelles règles peuvent-elles être partagées à l’échelle mondiale ? Le Traité a été à l’origine conçu comme un instrument de solidarité internationale visant à rejeter l’appropriation par les DPI d’un apparent « patrimoine commun de l’humanité » afin de préserver la diversité agricole et de garantir la sécurité alimentaire dans un esprit de coopération. A défaut de les rectifier, cette initiative de réforme ne risque-t-elle pas d’aggraver encore les déséquilibres générés par la mauvaise application historique du Tirpaa ?

Pour éviter cela, les membres du Tirpaa pourraient s’imposer plusieurs obligations. Par exemple, une transparence réelle sur l’usage des RPGAA, l’intégration explicite et rigoureuse des DSI/GSD dans le champ du partage des avantages et l’interdiction de confisquer les RPGAA avec des DPI portant sur les DSI/GSD qu’elles contiennent. Les pays du « Sud » ainsi que les communautés locales et autochtones pourraient en outre se voir attribuer une place centrale dans la gouvernance du système. Ce n’est qu’à ces conditions que l’élargissement envisagé de l’Annexe 1 du Tirpaa pourra être accepté par tous les pays.

Le GT13 poursuit un cycle de négociation ouvert en 2013 avec une échéance désormais fixée à la fin de l’année 2025. Le Traité pourrait en sortir profondément remanié. Dans un scénario idéal – bien que peu probable – le Traité atteindrait ses objectifs de partage équitable des semences, sans pour autant devenir, comme le dénoncent de nombreux acteurs, un instrument d’appropriation des ressources phytogénétiques dissimulé derrière un semblant de solidarité.

i FAO/ Tirpaa, « Treizième réunion du second groupe de travail spécial à composition non limitée chargé d’améliorer le fonctionnement du système multilatéral », avril 2025.

ii Le Tirpaa est l’application particulière de la CDB pour les plantes.

iii Guy Kastler, « DSI : la biopiraterie dématérialisée », Inf’OGM, le journal, n°176, juillet – septembre 2024.

iv L’article 2 du Tirpaa définit les RPGAA comme « le matériel génétique ayant une valeur réelle ou potentielle pour l’alimentation et l’agriculture ».

v FAO et Bioversity International, « Plant Genetic Resources and Food Security stakeholder perspectives on the international treaty on plant genetic resources for food and agriculture », p. 11, 2011.

vi Guy Kastler, « Interconnexions entre les nouvelles biotechnologies et les DSI ou GSD », Inf’OGM, 11 juillet 2024.

vii Third World Network, « Info Service on Biodiversity and Traditional Knowledge », 4 avril 2025.

viii L’Organe Directeur rassemble tous les pays ayant ratifié le Traité.

ix Third World Network, « Info Service on Biodiversity and Traditional Knowledge », 1er avril 2025.

x Ibid.

xi FAO, « Le fonds pour le partage des avantages : rapport 2020-2021 », 2023.

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