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Fusion : l’entreprise DowDuPont est née

Par Christophe NOISETTE

Publié le 01/09/2017, modifié le 09/12/2024

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Le 27 mars 2017, la Commission européenne a autorisé le projet de concentration entre Dow et DuPont. Cette autorisation a été subordonnée à la vente d’une partie importante du secteur pesticide et de la pétrochimie, afin de maintenir la concurrence et l’innovation dans ces domaines. Le 16 juin 2017, c’étaient les autorités étasuniennes qui donnaient leur accord. Enfin, le 31 août 2017, la fusion était reconnue et dès le lendemain des actions DWDP pour DowDuPont étaient disponibles à la bourse de New-York.

Le 1er septembre 2017, une nouvelle entreprise était cotée à la bourse de New-York : DowDuPont [DWDP] [1] [2]. Les deux groupes internationaux plus que centenaires ont obtenu toutes les autorisations nécessaires de la part des autorités : DowDuPont devient ainsi le numéro un mondial du secteur de la chimie devant l’allemand BASF, avec une capitalisation boursière de près de 150 milliards de dollars et plus de 100 000 salariés.

Le rapprochement aura mis près de deux ans à se finaliser, en raison d’enquêtes approfondies par les autorités, notamment de la part de la Commission européenne.

Cependant, il est prévu depuis 2016 que ce nouveau monstre soit, d’ici à mars 2019, scindé en trois entités indépendantes, et chacune cotée en bourse : deux d’entre elles se partageront les secteurs de la chimie et la troisième sera consacrée à l’agrochimie [3]. Mais d’après Les Echos [4], « à l’origine, le rapprochement devait créer une structure plus forte, plus à même de lutter contre les difficultés du marché, notamment la baisse des cours agricoles, qui a entraîné une baisse de la demande sur les pesticides ». Mais malgré des réductions drastiques de personnel (- 10% chez DuPont l’année dernière), « des inquiétudes ont surgi aussi quant à la capacité d’innovation du nouvel ensemble ».

L’entité « agriculture » (« spin-off » en terme économique, c’est-à-dire une société issue d’une branche d’une plus grosse entreprise) la scission pourrait dégager 16 milliards de dollars de chiffre d’affaire et deviendrait alors l’acteur principal pour les semences et les produits agrochimiques. Et depuis plusieurs années, DuPont s’intéresse aux nouveaux OGM et à la technologie Crispr/Cas9. En 2015, l’entreprise signait un accord de collaboration avec Caribou Biosciences Inc. [5]. La division « Agriculture » de Dupont avait proposé 53 nouvelles variétés de maïs l’année dernière, notamment à travers sa filiale Pioneer.

En 2017, DuPont avait acheté l’entreprise Granular Inc., qui propose des logiciels et des outils d’analyse destinés à l’agriculture [6]. Cette entreprise apportera donc ces technologies à la nouvelle entité en cours de création. Ce rachat fait forcément écho à l’achat par Monsanto en 2013 pour 930 millions de dollars de l’entreprise the Climate Corp.

« Que la concentration ne porte pas atteinte à la concurrence« …

Le 27 mars 2017, la Commission européenne avait autorisé le projet de concentration entre ces deux entreprises étasuniennes, Dow Chemical et DuPont, estimant qu’il ne restreignait pas le jeu de la concurrence dans le marché intérieur. Cette autorisation avait été subordonnée à deux conditions : que DuPont vende une partie de son secteur « pesticide » et que Dow Chemical vende une partie significative de son activité « pétrochimie ». Ces deux conditions ont été imposées pour maintenir la concurrence et l’innovation dans ces domaines.

La Commission craignait que le projet de concentration, s’il était accepté en l’état, restreigne la concurrence par les prix et la diversité de l’offre sur plusieurs marchés de pesticides existants. Mme Margrethe Vestager, Commissaire chargée de la politique de concurrence, avait en effet souligné dans un communiqué de presse [7] que : « les pesticides sont importants – pour les agriculteurs, pour les consommateurs et pour l’environnement. Nous avons besoin d’une réelle concurrence dans ce secteur pour amener les sociétés à développer des produits toujours plus sûrs pour les citoyens et meilleurs pour l’environnement. Avec la décision adoptée aujourd’hui, nous veillons à ce que la concentration entre Dow et DuPont ne porte pas atteinte à la concurrence par les prix pour les pesticides existants, ni à l’innovation pour les produits plus sûrs et de meilleure qualité de demain ».

En matière d’innovation, « l’enquête de la Commission sur les filières d’innovation de Dow et DuPont a démontré que les deux sociétés se livrent une concurrence frontale dans plusieurs domaines d’innovation liés aux herbicides, insecticides et fongicides. À l’issue de la concentration, les parties seraient tentées de mettre un terme à certains de ces efforts de développement coûteux ». La Commission détaille ses craintes : « Seules cinq entreprises (BASF, Bayer, Syngenta et les parties à la concentration) sont actives à l’échelle mondiale sur tout le processus de R&D, depuis la découverte de nouveaux ingrédients actifs (molécules produisant l’effet biologique désiré), leur développement, les essais et l’enregistrement réglementaire, jusqu’à la fabrication et la vente des produits formulés finis par les canaux de distribution nationaux ».

L’intérêt des pesticides pour les consommateurs et l’environnement resterait bien entendu à questionner… En quoi la concurrence permet-elle d’améliorer la sécurité d’un produit si ce dernier n’est pas évalué correctement ? Comment les agriculteurs peuvent-ils choisir sans avoir d’information détaillée et précise sur la nocivité d’un pesticide ? Confier la question de la sécurité à la libre loi du marché semble être un pari risqué.

Concrètement, les deux entreprises se sont donc engagées auprès de la Commission européenne à vendre la quasi totalité de l’activité R&D de DuPont sur les herbicides, insecticides et fongicides. Et l’acheteur de cette activité pourra alors « assurer durablement la pression concurrentielle exercée jusqu’alors par DuPont sur ces marchés et continuer à innover ».

Aucune restriction de concentration sur les semences

La Commission n’a en revanche imposé aucune session d’activités d’une des entreprises dans le secteur des semences, malgré une crainte « préliminaire ». La Commission européenne craignait en effet, en août 2016 [8], que « les entreprises soient moins incitées à octroyer des licences pour ces technologies à des concurrents ou rendent plus difficile le développement de technologies concurrentes » dans le domaine des nouveaux OGM (la Commission européenne parle d’édition de gènes) qui pourraient « servir à accélérer sensiblement la sélection de nouvelles variétés de semences ». La Commission européenne avait aussi souligné l’année dernière que l’entreprise née de cette fusion « occuperait l’une des principales positions sur le marché mondial des semences, devenant ainsi la plus grande entreprise intégrée dans l’industrie  ». Elle a finalement conclu que cette fusion ne rendra pas plus difficile « l’accès des concurrents aux distributeurs de produits phytosanitaires et de semences ».

Suite à ces exigences européennes, DuPont a cédé une partie de sa division « pesticides » à FMC, un autre groupe étasunien, et, en échange, il a récupéré la « santé et nutrition » de FMC.

Des fusions en veux-tu en voilà

Ce n’est pas le seul projet de concentration dans le secteur de l’agrochimie, puisque deux autres fusions sont toujours en attente de l’accord de la Commission européenne : Monsanto – Bayer [9] et Syngenta – ChemChina [10].

Une étude menée par Texas A&M montre que le prix des semences risque d’augmenter de 2,3 % pour le maïs et de 1,9 % pour le soja avec les fusions Dow-Dupont et Monsanto-Bayer.

Deux cents organisations européennes demandent, dans une lettre ouverte conjointe, à la Commission européenne de « mettre fin aux plans de fusion » prévu dans le domaine agricole. Elles précisent que si ces trois fusions étaient réalisées, « seules trois entreprises contrôleraient 60 % du marché des semences et 70 % du marché des pesticides ».

Inf’OGM rappelle qu’actuellement au niveau mondial seul 32,5% [11] des paysans utilisent des semences certifiées. Ce qui signifie donc que la production et l’échange de semences paysannes sont encore majoritaires. Cependant, en Europe, les semences paysannes sont très peu utilisées, notamment car des verrous juridiques ont été mis en place pour en limiter l’usage et l’échange. Ainsi, une concentration accrue dans ce domaine fragilisera encore davantage la possibilité des agriculteurs et des transformateurs à exiger de ces entreprises de travailler sur certaines variétés. Et ces entreprises, a contrario, auront plus facilement la possibilité d’imposer leur semence du fait de l’absence de concurrence. Et si elles décident de ne plus mettre sur le marché que des semences issues des nouvelles techniques de modification génétique… qu’elles ne veulent surtout pas nommer « nouveaux OGM », les agriculteurs auront plus de mal à trouver des alternatives non OGM. 

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