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EUROPE – Deux brevets, sur le brocoli et la tomate ridée, en voie d’être annulés
Le 9 décembre 2010, la grande Chambre des recours de l’Office européen des brevets (European Patent Office – EPO) – à savoir la plus haute instance de l’EPO dont la tâche consiste à assurer une application uniforme du droit des brevets en vertu de la Convention européenne des brevets (CEB) – a rendu sa décision concernant les affaires « brocoli » (G 07/02) – qui opposait Limagrain et Syngenta à Plant Bioscience Limited (brevet n°EP1069819) – et « tomate ridée » (G 08/01) – qui opposait Unilever au ministère israëlien de l’agriculture (brevet n°EP1211926). Les deux affaires ont été traitées au cours d’une procédure commune. En effet, ces deux litiges portaient sur l’interprétation du terme « procédé essentiellement biologique d’obtention de végétaux (ou animaux) » utilisé dans la CEB, terme qui permet d’exclure de tels procédés de la brevetabilité. Pour le brocoli ou la tomate ridée, la grande Chambre des recours a considéré que les brevets n’étaient pas fondés juridiquement. Il ne s’agissait que d’un avis, mais on peut s’attendre à ce que la décision finale du bureau technique suive cette analyse juridique.
Dans chacune de ces deux affaires, qui ont trait à l’exclusion de la brevetabilité de « procédés essentiellement biologiques d’obtention de végétaux ou d’animaux » au sens de l’article 53b de la Convention européenne des brevets (CEB), une chambre de recours technique a demandé à la grande Chambre des recours de déterminer « le degré et la nature de l’intervention technique humaine nécessaire pour empêcher l’application de cette disposition ».
En ce qui concerne le brocoli, Plant Bioscience Limited a obtenu un brevet en 2002 sur un « procédé de sélection qui, lorsqu’il est utilisé dans les cultures de choux brocolis, permet d’augmenter la présence, dans ces végétaux, d’une certaine substance (glucosinolates) qui aurait des propriétés anticarcinogènes ». « Ce procédé consiste à déterminer les gènes à l’origine de ces propriétés dans le génome du chou brocoli, et à les baliser avec ce que l’on appelle des marqueurs génétiques (gènes marqueurs). Les végétaux contenant la substance souhaitée sont ensuite sélectionnés au moyen des gènes marqueurs, et utilisés dans les cultures ». Mais ce brevet a été contesté par les sociétés Limagrain et Syngenta. En effet, les deux entreprises estiment que ce procédé de sélection ne consiste pas en un procédé technique mais en un procédé essentiellement biologique, non brevetable au sens de la Convention sur le brevet européen (CEB).
Le 9 décembre 2010, la grande Chambre des recours a donc affirmé que le simple fait d’inclure une étape technique ne permet pas de prétendre à un brevet sur la variété ainsi modifiée, si cette étape n’a pas d’impact sur l’essence de l’invention. Le communiqué de presse précise « qu’un procédé de production de plantes impliquant le croisement de génomes, et la sélection des plantes résultant de ces croisements, n’est pas brevetable. La simple inclusion d’un procédé technique servant à faciliter ou assister la performance de ces croisements et/ou des sélections qui en résultent n’est pas non plus brevetable. Alors que les procédés techniques ou de moyens, tels que les marqueurs génétiques, peuvent être eux-mêmes brevetables, leur utilisation n’en fait pas un processus essentiellement biologique brevetable ». La grande Chambre des recours confirme donc que le processus de sélection conventionnelle ne peut pas être considéré comme une invention [1]. Donc un brevet ne peut s’étendre ni sur les méthodes de sélection « classiques », ni sur la plante qui en résulte.
Précisément, pour le brocoli, ni le recours à des marqueurs moléculaires, ni l’utilisation d’une lignée haploïde doublée comme matériau de départ, ni l’intervention humaine nécessaire pour le croisement des lignées de Brassica sauvage avec les lignées de brocoli ne permettent de prétendre à un brevet car ce sont des techniques déjà connues qui ne changent pas l’essence de l’invention. De même pour la tomate ridée, le requérant n’a pas réussi à montrer que le procédé revendiqué du fait qu’il exige un haut niveau d’intervention humaine est différent d’une technique « classique » d’obtention végétale, laquelle n’est pas brevetable.
L’AFP annonce que « l’Office européen des brevets a annoncé jeudi avoir révoqué deux brevets controversés portant sur la sélection d’un type de brocoli et d’une tomate, un jugement synonyme de victoire pour les agriculteurs et dont l’enjeu était la distinction entre découverte et innovation ». Inf’OGM et le RSP précisent que l’OEB n’a pas révoqué les brevets en question… L’Office a juste précisé ce qu’il entendait par « procédés essentiellement biologiques ». Le procès n’est pas terminé… Quant au fait de savoir s’il s’agit d’une victoire pour les paysans, la question mérite un peu plus d’attention. Ainsi, Anne-Charlotte Moy, animatrice de la Veille juridique du Réseau Semences Paysannes (RSP), précise à Inf’OGM que « cette décision permettra certes d’empêcher la biopiraterie résultant de l’appropriation de gènes natifs, elle ne suffira pas pour autant à protéger les paysans du COV qui fait de la semence de ferme une contrefaçon, ou des contaminations par des gènes brevetés issus de procédés non essentiellement biologiques (transgènes, gènes mutés artificiellement…) ». Ainsi, comme le précise François Meienberg, de la Déclaration de Berne : « Il faut une interdiction claire dans la législation concernant le brevetage de plantes ou d’animaux, de procédés de sélection, de matériel sélectionné et de denrées alimentaires provenant de plantes ou d’animaux. La décision de ce jour ne doit être qu’une première étape vers cet objectif. Sinon, le droit des brevets continuera à être utilisé de manière abusive afin de privatiser les fondements mêmes de notre alimentation » [2].
Dans un prochain numéro du journal Inf’OGM, un article signé par la Veille juridique du RSP explicitera les relations entre brevet et COV et nous aidera à comprendre les mécanismes actuellement en vigueur, lesquels limitent l’usage de la biodiversité cultivée pour les paysans au profit des entreprises semencières [3].