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En Inde, PepsiCo prend un coup sur la patate

Par Denis MESHAKA

Publié le 08/09/2023, modifié le 01/12/2023

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La Haute Cour de Delhi (Inde) confirme la révocation d’un titre de propriété intellectuelle de PepsiCo concernant ses célèbres chips de pomme de terre Lay’s.

Le 5 juillet 2023, la Haute Cour de Delhi renvoie dans les cordes PepsiCo India Holdings (PepsiCo) et sa pomme de terre FL-2027 à la base de ses célèbres chips Lay’s. A l’origine des faits, une plainte déposée le 24 avril 2019 à la PPVFR (Autorité indienne chargée de la protection des variétés végétales et des droits des agriculteurs) par Kavitha Kuruganti, militante défenseuse des droits des agriculteurs et représentante de l’ASHA (Alliance for Sustainable & Holistic Agriculture) [1]. Elle y informait d’agissements de PepsiCo envers des agriculteurs sur la base de son certificat de protection (équivalent d’un COV – Certificat d’Obtention Végétale – français ou européen) de FL-2027, notamment des poursuites et des intimidations, ainsi que de potentiels harcèlements de semenciers par le biais de « litiges vexatoires ». La PPVFR réagissait favorablement et ordonnait, le 3 décembre 2021, la révocation du certificat de protection [2]. PepsiCo, qui avait fait appel de cette ordonnance auprès de la Haute Cour, vient donc d’être débouté. Pour fonder sa décision, la Haute Cour a, pour la première fois, utilisé les dispositions d’une législation sui generis datant de 2001.

La singularité de la législation indienne

L’Inde a adopté, en 2001, une loi sur la protection des variétés végétales et des droits des agriculteurs unique en son genre, mais en conformité avec l’Organisation Mondiale du Commerce (OMC) dont elle est membre [3]. L’article 27:3 b) de l’accord sur les ADPIC (Aspects des droits de propriété intellectuelle qui touchent au commerce) de l’OMC permet, en effet, aux États membres d’adopter des législations sui generis de protection des variétés végétales conformes à leurs obligations internationales, tout en les adaptant à la particularité de leurs systèmes semenciers, agricoles et alimentaires.

Cette loi indienne sui generis de 2001 prévoit notamment, dans son article 34 (h), que la protection accordée à un obtenteur à l’égard d’une variété peut, sur demande présentée par toute personne intéressée, être révoquée au motif que l’octroi du certificat d’enregistrement n’est pas d’intérêt public. Elle ne donne cependant pas de définition de cette notion d’intérêt public. La loi de 2001 autorise, par ailleurs, via son article 39(1)(iv), des libertés en matière de semences pour les agriculteurs en ce qui concerne leur droit de conserver, d’utiliser, de semer, de ressemer, d’échanger, de partager ou de vendre leurs produits agricoles, y compris les semences d’une variété protégée en vertu de cette loi.

L’arrêt de la Haute Cour

Les conclusions de la PPVFR en décembre 2021 desquelles PepsiCo fait appel étaient claires. La PPVFR mentionne la violation de l’intérêt public par PepsiCo, qui a commis des actes de harcèlement et d’intimidation auprès de neuf agriculteurs du Gujarat. Elle retenait en outre les négligences administratives commises par la multinationale étasunienne entraînant de fait la perte de ses droits d’enregistrement.

La Haute Cour de Delhi estime dans son jugement du 5 juillet 2023 que l’appel de PepsiCo est infondé et confirme l’ordonnance de révocation pour au moins trois motifs :

(a) informations incorrectes concernant la date de la première vente de la variété,

(b) inéligibilité du demandeur du certificat d’enregistrement de la variété,

(c) défaut de fourniture des documents nécessaires à l’enregistrement de la variété.

Ces dispositions correspondent aux trois premiers alinéas de l’article 34 de la loi de 2001. La Haute Cour rappelle aussi les « propres erreurs [administratives de PepsiCo] » et la « désinvolture » avec laquelle la multinationale a déposé une demande d’enregistrement.

Concernant l’article 34 (h), l’arrêt de la Haute Cour stipule que : « l’expression  » toute personne intéressée  » doit être interprétée comme incluant une  » personne d’intérêt public  » qui demande la révocation de l’enregistrement dans l’intérêt public ». Autrement dit, Kavitha Kuruganti et l’ASHA étaient légitimes à demander la révocation du certificat d’enregistrement de la pomme de terre Lay’s. Ce point de l’arrêt de la Cour vient ici répondre à l’avocat de PepsiCo. Ce dernier avait en effet avancé que seule une « personne intéressée » pouvait s’opposer à l’enregistrement qui a déjà été accordé, sous entendant que le statut de Kavitha Kuruganti ne répondait pas à cette exigence.

La Cour a, en outre, estimé que les actions en justice intentées par PepsiCo contre des agriculteurs étaient « frivoles » [4], ce qu’on pourrait interpréter comme voulant dire « légères » ou « inconsidérées ». Elle n’a cependant pas considéré, comme cela avait été avancé par la partie plaignante, que l’enregistrement du certificat était contraire à l’intérêt public. La Cour a donc écarté ce motif de révocation et on peut le regretter. Cela aurait été, de plus, l’occasion qu’elle communique les critères à considérer pour qu’une révocation d’un enregistrement dans l’intérêt public soit recevable en vertu de l’article 34(h).

La réponse de PepsiCo

La multinationale étasunienne a réagi à l’arrêt de la Haute Cour dans les colonnes du quotidien indien WION [5]. Elle souligne que la révocation est principalement basée sur des « vices de procédure dans la demande et d’autres documents à l’appui ». PepsiCo tente également de relativiser la portée de la décision de la Haute Cour : « l’exercice des droits par PepsiCo […] ne pouvait être interprété comme allant à l’encontre de l’intérêt public et […] la révocation de l’enregistrement par l’autorité PPVFR était à cet égard erronée ». PepsiCo dit enfin vouloir « examiner l’ordonnance en détail pour décider de ses options ». Leader de la chips en Inde depuis de longues années, PepsiCo se devait de réagir à cette décision économiquement impactante, tout en gardant la face. Mais ayant reconnu sa négligence et la déchéance administrative de son certificat, ses options semblent en réalité très limitées.

Si la saga des chips Lay’s n’est pas encore complètement close en Inde, elle comprend néanmoins déjà un précédent juridique et montre en outre l’opportunité d’élaborer des législations sui generis s’adaptant au contexte local. On peut toutefois déplorer que la plainte initiale relative à l’attitude de PepsiCo envers les agriculteurs n’ait pas été considérée par la Haute Cour.

[3India Code, Digital Repository of All Central and State Acts, « The Protection of Plant Varieties and Farmers Rights Act, 2001 », 2001.

[4Les agriculteurs ont été tout de même traînés devant les tribunaux et menacés dans la sécurité de leurs moyens de subsistance.

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