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Des OGM pour produire des protéines animales
Le soja OGM importé d’Amérique latine sert à nourrir le bétail hors sol. Mais ce mode d’exploitation agricole est décrié. Alors les entreprises agroalimentaires proposent une gamme de produit « végan ». On imagine des produits issus de végétaux cultivés en bio. Mais une partie de ce marché pourrait être accaparée par les entreprises de biotechnologies, qui développent actuellement des OGM pour produire différentes protéines animales. Nous nous intéresserons ici à Moolec, une entreprise luxembourgeoise, dont le capital appartient en partie à Bioceres. Cette entreprise a reçu en avril 2024 l’autorisation du ministère étasunien à l’Agriculture pour commercialiser un soja « enrichi » en protéine de porc.
L’idée d’utiliser le végétal pour produire des aliments qui ressemblent à des produits laitiers ou carnés n’est pas nouvelle. Cependant, le marché « végan » s’est bien développé ces dernières années. Dès 2015, les grandes enseignes de la distribution, en France, lançaient leur gamme végan : Carrefour avec « Veggie », Auchan avec « Envie de Veggie », Système U avec « Bon et Végétarien », Les Mousquetaires avec « Veggie Marché », Monoprix avec « Le Végétal ».
Du côte de l’agro-alimentaire, des multinationales se sont aussi engouffrées dans ce marché, à l’instar de Nestlé, Danone, Herta, et des startups sont nées, comme Beyond Meat, ou l’Impossible Burger… Autres exemples, la société israélienne PoLoPo, qui entend produire des protéines d’œuf (ovalbumine) par des pommes de terre OGM ; ou la société, elle aussi israélienne, Pigmentum, qui vise à faire produire des protéines de lait par des laitues OGM. En 2022, « les investissements dans les alternatives végétales ont encore atteint des records [avec] plus de 2 milliards de dollars levés par des start-ups à travers le monde ».
Le marché « végan » fait le grand écart entre la bio locale et les OGM
Mais, derrière ces enseignes et ces produits, de grandes différences philosophiques et éthiques se font face. Il existe plusieurs façons de produire des substituts de produits laitiers ou carnés. Historiquement, le soja dominait ce marché avec ses steaks de soja, ses saucisses de soja, que les Allemands et les Hollandais consomment depuis au moins trois décennies. Il s’agissait simplement de remplacer la protéine animale par une protéine végétale. Rien de très original : la simple continuité du tofu et autres préparations millénaires japonaises. Depuis, les recettes se sont complexifiées et deux orientations radicalement différentes ont été empruntées : avec ou sans modification génétique. Pour le sans modification génétique, citons comme recette les fromages de l’entreprise française Jay et Joy. Leur « bleu », nommé Jeanne, par exemple, est réalisé à partir de lait de coco, de noix de cajou (19%) et d’amandes, ainsi que des ferments1, le tout certifié issu de l’agriculture biologique.
A l’opposé, plusieurs entreprises et startups produisent des substituts en utilisant des modifications génétiques. Il existe de très nombreuses possibilités. Inf’OGM a évoqué l’entreprise Impossible Food, qui met sur le marché étasunien son « impossible burger », un steak végétal à base de soja à laquelle a été ajouté de l’hème, un ingrédient très proche de l’hémoglobine obtenu grâce à la culture d’une levure transgénique. Pour être plus précis encore, l’entreprise a ajouté à la levure Pichia pastoris le gène LGB2, codant la production de la leghemoglobine provenant du soja. Ce steak végan et OGM est le premier de la sorte a avoir été autorisé à la commercialisation aux États-Unis, en 2018. En 2019, au moins deux chaines de fastfoods (White Castle et Burger King) le commercialisaient. Impossible Food, sur son site Internet, visité à l’heure de la rédaction de cet article, mentionne d’autres « fausses viandes » parmi ses produits (poulet, porc), sans donner de détails sur l’utilisation ou non de micro-organismes génétiquement modifiés (MGM). En tout cas, l’Impossible Burger est toujours d’actualité sur les étals et dans la restauration rapide. L’entreprise s’est également développée à l’international : Hong-Kong, Émirats Arabes Unis, Singapour, Canada, Nouvelle-Zélande, Australie et, depuis 2022, au Royaume-Uni. Pour l’Union européenne, une demande d’autorisation est toujours en cours de traitement.
Récemment, l’entreprise argentine Bioceres, connue pour son partenariat avec le semencier Florimond Desprez pour développer un blé transgénique HB4, a, en 2021, décidé de rentrer au capital de Moolec Science, une entreprise luxembourgeoise. Comme l’explique le communiqué de presse commun annonçant cette prise de participation, Moolec, « grâce au génie génétique, […] vise à produire des solutions sans animaux à un coût bien inférieur à celui des technologies existantes, en utilisant l’évolutivité des systèmes de production à base de plantes pour tirer parti de la fonctionnalité obtenue grâce à l’agriculture cellulaire ». Sur leur site Internet, les entreprises expliquent que leur technologie « permet d’inclure les codes ADN des gènes des protéines animales dans le génome des principales plantes utilisées dans l’alimentation. Chaque protéine est sélectionnée pour apporter une valeur ajoutée en termes de fonctionnalités ciblées telles que le goût, la texture et les valeurs nutritionnelles ».
Chymosine, Omega-6, protéine de porc produits par des OGM
Moolec a plusieurs projets en cours. Tout d’abord, le projet le plus avancé concerne la modification génétique de la carthame par transgénèse. Cet OGM produira plusieurs molécules.
Une première molécule est une enzyme nommée chymosine, produite par une carthame GM portant le nom de SPC. Cette enzyme, utilisée pour la fabrication de fromage, entre autres, est issue initialement de la pressure des veaux. Elle est aujourd’hui majoritairement fabriquée par des MGM en fermenteur. En Europe, plusieurs dossiers de tels MGM ont ou vont être étudiés par les experts européens2.
Une seconde molécule est l’acide gamma-linoléique (GLA). Le GLA est en fait un acide gras de la famille des Omega-6, produit naturellement par plusieurs plantes, comme la bourrache ou l’onagre. L’objectif est ici d’augmenter les doses d’Oméga-6 dans l’alimentation. Or, un article rapporte que « des recherches médicales ont posé l’hypothèse que des niveaux élevés d’oméga-6 par rapport aux oméga-3 peuvent favoriser l’apparition de maladies, notamment cardiovasculaires (mais pas uniquement). L’étude du mode alimentaire européen a montré que certains consommateurs assimilent jusqu’à 30 fois plus d’oméga-6 que d’oméga-3, bien au-delà du rapport conseillé de 5 pour 1 ». On y apprend ensuite que « les œufs de poules vivant en Crète ont un rapport oméga-6/oméga-3 de 1,3/1, alors que les élevages industriels de poules pondeuses conduisent à des rapports de 20/1 ». Ces éléments permettent de comprendre que le débat est complexe. En tout cas, affirmer qu’augmenter les doses d’omega-6 est forcément bon s’apparente à de la publicité facile.
Ces deux premiers produits ont récemment obtenu, aux États-Unis, une autorisation de commercialisation3. La production de semences a commencé en 2023 : 35 hectares étaient cultivés en mai 2023 dans l’État de l’Idaho, auxquels se sont ajoutés 15 hectares. Comme l’indique Moolec, les graines de carthame ont été récoltées en septembre 2023 et « seront utilisées principalement comme matériel de semence pour l’année prochaine, et une partie sera utilisée pour la trituration de l’huile pilote ».
Vient ensuite un projet très avancé, pour lequel l’entreprise a reçu, le 18 avril 2024, l’autorisation du ministère étasunien de l’Agriculture et a engagé des discussions avec celui de l’Alimentation (FDA). Il s’agit d’un soja OGM, appelé « Piggy sooy »4. Ce soja a été modifié génétiquement en lui insérant un gène de cochon. Moolec, d’après un article de 2023 de Food Navigator, estime que son « soja-cochon » présente « un taux d’expression de protéines de porc de 26,6 % de protéines solubles totales dans les graines de soja, ce qui est quatre fois plus que ce qui était initialement prévu par Moolec Science ». C’est dans ce projet qu’intervient Bioceres. Ce soja est en cours de développement depuis que l’entreprise annonce récolter, ce mois-ci, la quatrième générations (T4).
Moolec travaille également sur un pois OGM destiné à produire une protéine bovine responsable, notamment, de la couleur rouge de la viande. Fin 2023, l’entreprise annonçait à ses investisseurs avoir réussi à insérer le gène de la myoglobine bovine dans les graines de pois, avec transmission stable d’une génération à l’autre.
Enfin, Moolec développe une plateforme de production de protéines qui cible les marchés des compléments alimentaires et des ingrédients alimentaires via la fermentation de levure S. cerevisiae. Ce projet est réalisé à travers une joint-venture créée en 2021 entre Moolec et Grupo Insud, Microo Food Ingredients S.L, basée à Madrid5. En 2024, Moolec annonçait dans un rapport financier qu’ « une réunion de consultation réglementaire préalable à la demande d’autorisation a eu lieu avec la FDA. L’équipe Moolec se sent encouragée à poursuivre le développement de la souche de levure, d’abord en tant que complément alimentaire ».
Moolec se développe
Récemment, Moolec rachetait ValoraSoy, une entreprise argentine située dans la zone de production du soja. D’après un article de Business News Asia, « la transaction envisage d’acquérir 100 % de ValoraSoy (qui a plus de dix ans d’expérience et est spécialisé dans la production de protéines de soja texturées) en échange de six millions de dollars, dont environ 2,5 millions de dollars sont payés en espèces, et le reste est payé avec les actions de Moolec sur trois ans sur la base de mesures d’acquisition et d’activité ». Valorasoy possède une capacité de transformation de 10 000 tonnes de soja par an et des chaînes commerciales dans plus de 16 pays sur trois continents différents. « Les ingrédients protéiques à base de soja sont […] utilisées dans plusieurs produits finaux tels que des hamburgers, des saucisses et d’autres produits à base de plantes dans les industries alimentaires traditionnelles et alternatives, en complément industriel et commercial du pipeline d’agriculture moléculaire de Moolec », rappore Marie Jones dans ce même article.
Entre mensonge et greenwashing
Sur son site Internet, Moolec reprend les arguments classiques des partisans des OGM, qui font remonter les modifications génétiques au début de l’agriculture. On peut en effet lire que « la modification génétique des plantes cultivées existe depuis les débuts de l’agriculture. Dans les premières colonies, les petites communautés agricoles ont compris qu’elles pouvaient réensemencer les plantes qui avaient les propriétés les plus recherchées. Cela a progressivement évolué vers la sélection des plantes cultivées. Cette sélection des cultures est une forme de modulation génétique opportune »6. Cette présentation est partisane, en faveur des OGM. En effet, la sélection massale des plantes n’a pas grand-chose à voir avec la modification génétique. D’une part, la sélection massale ne permet pas de demander, voire obtenir, des droits de propriété intellectuelle ou industrielle sur les « populations » obtenues dans les champs. D’autre part, les variations génétiques qui ont lieu dans le cadre de cette sélection réalisée à la ferme, par des paysans, se font d’une manière naturelle, au contraire des techniques de modification génétique. Enfin, en sélection massale, les organismes obtenus sont sélectionnés sur des milliers et des milliers de générations, alors que les organismes génétiquement modifiés sont étudiés pendant quelques générations avant d’être massivement disséminés sur le marché.
C’est aussi au niveau du discours que les promesses flirtent avec les mensonges. Moolec souligne, toujours sur leur site, que grâce à leur technologies, grâce à ce « soja-cochon », « des millions de tonnes de protéines de soja […] vont nourrir des humains plutôt que des animaux, sans compromettre le goût et la nutrition ». Ce discours surfe sur la vague écologique et végane. Mais, concrètement, pas besoin de modification génétique pour avoir un régime végan. Le végétal se suffit à lui-même. Ce discours apparaît plutôt comme un cheval de Troie pour d’autres OGM.
Une cotation en bourse au Luxembourg
- Actuellement, le cahier des charges de l’agriculture biologique interdit les ferments issus d’OGM. Mais nous avons pu voir que, parfois, l’information n’était pas disponible et qu’il a été possible pour des bios d’utiliser des produits issus de MGM.
Voir : « Micro-organismes OGM, l’offensive cachée », Inf’OGM, le journal, N°174, janvier-mars 2024. ↩︎ - Par exemple :
– EFSA, Safety evaluation of the food enzyme chymosin from the genetically modified Kluyveromyces lactis strain CIN, 11 août 2022 (DSM).
– EFSA, Safety evaluation of the food enzyme chymosin from the genetically modified Aspergillus niger strain DSM 29546, 4 août 2022 (Chr. Hansen). ↩︎ - La FDA a délivré un statut GRAS pour les huiles enrichies en GLA (une demande initiale de 2016 portée par Arcadia Bioscience) : FDA, Agency Response Letter GRAS Notice No. GRN 000652, 16 décembre 2016.
L’USDA a « autorisé », en 2023, la carthame génétiquement modifiée de Moolec : USDA, APHIS Issues Regulatory Status Review Responses: Donald Danforth Center Teff and Moolec Science Limited Safflower, 3 avril 2023. ↩︎ - Brevet ARP20230101673. ↩︎
- La joint venture, Microo Food Ingredients S.L., n’a pas de site Internet. ↩︎
- Site Internet de Moolec, chapitre « A little bit of history ». ↩︎