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Des « protéines animales » sans animaux
Des protéines de lait sans vaches, de poisson sans poissons, de viande sans animaux et même des protéines d’œufs sans œufs et sans poules : bienvenue dans le domaine de la « fermentation de précision » concernant nos aliments futurs. Trois startups du secteur ont obtenu l’approbation de leurs protéines de lait sans lait par les autorités sanitaires étasuniennes, leur permettant de les vendre aux fabricants de produits alimentaires.
L’industrie et certaines institutions présentent ces innovations comme une avancée permettant de réduire l’impact carbone de l’élevage et de répondre aux besoins alimentaires des populations humaines. C’est surtout un marché prometteur : ces « avancées » attirent déjà les investisseurs.

Ces protéines, non issues d’animaux, sont produites par des micro-organismes génétiquement modifiés. Depuis plusieurs décennies, de tels micro-organismes (bactéries, levures et champignons filamenteux) sont utilisés en milieu confiné (dans des bioréacteurs) pour produire des molécules d’intérêt industriel. Celles-ci concernent le domaine médical (production de l’insuline humaine ou de protéines vaccinales par des bactéries génétiquement modifiées) et le domaine agro-alimentaire (fabrication d’enzymes, essentiellement, mais aussi de vitamines ou d’additifs alimentaires)i. On parlait de « moléculture » ; de nos jours il s’agit de « fermentation de précision ». Mais au-delà de ce changement sémantique, qui fait sens, une autre différence doit être soulignée dans le cas présent : il s’agit de nutrimentsii, sources d’énergie et de molécules constitutives des organismes.
Ces protéines non animales, substitut, succédané des protéines animales, ainsi que le procédé qui permet de les produire, sont-ils suffisamment étudiés pour garantir leur innocuité ?
La question est d’importance à l’heure où, en Europe, la déréglementation des OGM risque fort de toucher aussi les micro-organismes GMiii.
La « fermentation de précision » : comment ça marche ?
A l’Université de Wageningen (Pays-Bas), la levure Pichia pastoris, proche de la levure de boulanger, a été génétiquement modifiée pour produire ces protéines. Pour la caséine, par exemple, un fragment d’ADN codant la caséine est intégré dans le génome de la levure. Il s’agit de transgénèseiv. Il est à noter que le vocabulaire utilisé par l’Académie des technologies est différent : elle parle de « ré-écriture du génome des micro-organismes »v. Un euphémisme…
Dans un bioréacteur, les levures sont nourries de sucres et de substances azotées (censés remplacer l’herbe broutée par la vache). Elles se développent alors et produisent des protéines de caséine, qui sont isolées et séparées du reste du milieu. « Cette étape est importante pour ne pas se retrouver avec des résidus de levures génétiquement modifiées dans l’aliment », signale Etske Bijl, chercheuse à l’Université de Wageningen. La poudre obtenue est mélangée à de l’eau, de la graisse végétale et du sel. Le « cocktail » est enfin versé dans des moules mis au réfrigérateur pendant une heure pour obtenir le soi-disant « fromage »vi.
La start-up israélienne qui vient d’obtenir l’approbation de la FDA (Food and Drug Administration) aux États-Unis pour ses protéines de lactosérum l’affirme : « Ces protéines sont identiques à celles du lait de vache en ce sens qu’elles ont le même goût, la même texture, la même fonctionnalité et la même valeur nutritionnelle, tout en étant exemptes d’hormones »vii.
Cette technique est aussi développée pour obtenir d’autres protéines de lait, comme les lacto-globulines, les protéines du blanc d’œuf de poule (l’ovalbumine) ou de la myoglobine, protéine des muscles des vertébrés.
En fait, le terme de « fermentation » est abusif. En effet, les micro-organismes génétiquement reprogrammés pour produire ces protéines sont des levures et des micro-algues qui respirent. Ils sont cultivés en aérobiose. L’erreur vient du fait que les bioréacteurs sont aussi appelés fermenteursviii.
Par ailleurs, la « fermentation de précision » ne saurait être confondue avec la « fermentation de biomasse », qui repose sur des micro-organismes (champignons filamenteux, micro-algues ou bactéries rendus in fine comestibles), mais qui ne sont pas génétiquement modifiés pour produire des protéines animales.
Ces «protéines animales » bientôt commercialisées en Europe ?
Dans l’Union européenne, des start-ups sont sur les rangs pour fabriquer et produire ces protéines animales sans animaux. En France, Standing Ovation, Bon Vivant (nouvellement Verley) et Nutropy investissent dans ce domaine.
Mais en Europe, ces start-ups se heurtent à deux écueils.
Le premier est celui de la législation OGM, qui encadre la commercialisation de produits obtenus à partir d’OGM, ce que sont ces micro-organismes transgéniques. La déréglementation des MGM (micro-organismes génétiquement modifiés) en Europe, n’est proposée pour le moment que pour les algues. Le Parlement européen a cependant demandé que celle-ci s’effectue sur les autres MGM. Si cette déréglementation devenait effective un jour, elle pourrait donner un statut non-OGM à ces micro-organismes, rebattant les cartes.
Le deuxième écueil est celui du cadre « Novel Foods ». Dans ce cadre, la Commission européenne n’autorise un nouvel alimentix que si celui-ci « ne présente aucun risque pour la santé, compte tenu des données scientifiques disponibles » et que si « l’utilisation prévue de l’aliment n’entraîne pas un déséquilibre nutritionnel »x.
L’Académie des technologies déplore aussi ce règlement : « Le verrou réglementaire est, en Europe, le cadre « novel foods » qui nécessite un niveau de preuves important, à un coût élevé, prend un temps long et est donc un frein au marché. Le projet « ferment du futur » s’est positionné pour des améliorations des technologies fermentaires à finalité d’alimentation sans avoir à s’inscrire dans des demandes d’autorisation « novel foods » »xi.
En conséquence, les start-ups se tournent vers le marché américain et vendent leurs produits en dehors de l’Europe, sous couvert d’un « statut » nommé «Gras » : « généralement reconnu comme sûr »xii.
Ces protéines présent-elles des risques sanitaires ?
La purification des protéines produites par les MGM est-elle réellement réalisée ? Cette question est récurrente pour ce genre de techniques et des exemples ont montré que les contaminations sont possibles et peuvent être source d’allergies, dont certaines lourdes de conséquences. Ainsi, des lots de vitamines ont pu être commercialisés alors que des MGM les ayant produits étaient encore présentsxiii.
Ces protéines animales produites par des micro-organismes sont-elles vraiment les mêmes dans leurs structures et propriétés que les protéines des animaux ?
Certaines personnes s’interrogent : « Beaucoup de questions demeurent, que ce soit sur la digestibilité de ces produits ou leurs effets sur la santé, et les régulateurs ont besoin d’être certains de leur sûreté », affirme Karen Polizzi, professeure de biotechnologie à l’Imperial College de Londres (Royaume-Uni) et codirectrice du Centre national d’innovation en protéines alternatives (Napic)xiv.
Que dire aussi de ces ersatz de protéines animales isolées utilisées comme nutriments alors que les vraies protéines sont dans un aliment animal complexe, tel le lait, la viande ou l’œuf ?
Les biotechnologies, nourries à une vison restrictive du génome et du vivant, abordent l’alimentation avec cette même vision. Elle oublient la complexité des aliments complets et la lenteur d‘évolution de la physiologie des organismes. Un nutriment naturel n’est pas isolé. Il s’insère dans un ensemble complexe et évolutif que les scientifiques appellent « matrice » et dont fait fi l’industrie : l’assimilation et la tolérance des nutriments, telle la caséine par exemple, ne sera pas la même isolée du lait ou dans le lait. Le calcium du lait, autre nutriment, ne sera pas le même que celui des amandes… La non prise en compte de ces nouveaux éléments scientifiques ne peut que se reporter sur la santé des personnes qui vont manger les préparations à base de ces substituts de protéines animales.
Des problèmes plus philosophiques se posent aussi. Certes, nous devons revoir et réfléchir à une alimentation plus respectueuse des animaux et notre relation à l’animal doit être repensée. Mais doit-on s’engouffrer les yeux fermés dans des biotechnologies hors-nature, très énergivores puisque réalisées dans des bioréacteurs et dépendantes de réseaux informatiques complexes, alors que ces mêmes technologies se réclament d’une démarche écologique ?
Quand le vivant sera-t-il considéré autrement qu’une machine, une machine maîtrisable de surcroît ?
i Eric Meunier, « Des usines de production bien discrètes », Inf’OGM, le journal, n°174, janvier-mars 2024.
ii Un nutriment ou élément nutritif est une molécule organique ou minérale contenue dans les aliments et assimilable par l’organisme.
iii « Micro-organismes OGM, l’offensive cachée », Inf’OGM, le journal, n°174, janvier-mars 2024.
Eric Meunier, « La proposition de déréglementation des OGM de la Commission européenne inclut des micro-organismes OGM », Inf’OGM, 11 mars 2025.
iv « Agroalimentaire : du lait et de la viande sans vache », Sciences et avenir, 3 mai 2025.
v Académie des technologies, « L’avenir des protéines alternatives », 21 juillet 2023.
vi « Agroalimentaire : du lait et de la viande sans vache », Sciences et avenir, 3 mai 2025.
vii Sharon Wrobel, « La FDA autorise Imagindairy à produire des protéines laitières non-animales », The Times of Israël, 5 janvier 2024.
viii Yves Le Loir, « Les fermentations : des savoir-faire traditionnels et empiriques aux procédés maitrisés, porteurs d’innovations », Inrae, Lamballe, France, février 2024.
ix Un aliment est dit nouveau s’il n’a pas été consommé de manière significative avant mai 1997 (source : Anses).
x Anses, « Que sont les nouveaux aliments et ingrédients alimentaires (novel foods) ? », 6 juillet 2020.
xi « Agroalimentaire : du lait et de la viande sans vache », Sciences et avenir, 3 mai 2025.
xii Amelie Dereuder, « Fermentation de précision : Bon Vivant change de nom et s’attaque au marché américain », Process alimentaire, 12 mai 2025.
Standing ovation, « Advanced Casein® ».
xiii A titre d’exemple de contamination :
Eric Meunier, « Vitamine B2 : contamination en cours par une bactérie transgénique », Inf’OGM, 7 décembre 2018.
xiv « Agroalimentaire : du lait et de la viande sans vache », Sciences et avenir, 3 mai 2025.