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Des micropeptides fongicides et herbicides aux portes de l’Europe ?
L’entreprise toulousaine Micropep Technologies vient de voir un de ses micropeptides « fongicides » approuvé aux États-Unis. La technologie, développée et brevetée par cette « spin-off » du CNRS, vise une autorisation européenne d’ici 2030. Ces micropeptides posent pourtant question quant à leur l’impact potentiel sur les écosystèmes.
« Nous sommes en mission pour construire une agriculture plus durable pour les générations futures ». C’est ainsi que se projette la société toulousaine Micropep Technologies, une entreprise issue du CNRS qui, depuis 2016, a levé environ 23 millions d’euros pour développer des micro-protéines appelées micropetides (miPEPs). Forte de son premier agrément aux États-Unis pour ce qu’elle nomme un « biofongicide », elle vise une entrée sur le marché européen d’ici 5 à 6 ans. Cette technologie soulève cependant des questions environnementales importantes et devra faire face aux réglementations européennes en vigueur.
La technologie « miPEPs »
Micropep Technologies a publié ses résultats de recherche originels dans le journal Nature en 20151. Techniquement, ces miPEPs sont des micro-protéines, petites chaînes composées de 10 à 30 acides aminés. Ils se distinguent des protéines, également constituées d’acides aminés, mais plus longues. Micropep s’intéresse principalement aux propriétés fongicide et herbicide de ces molécules, mais développe également des miPEPs pour inhiber sélectivement la croissance et surmonter la résistance des mauvaises herbes aux traitements conventionnels. L’entreprise de biotechnologie toulousaine teste notamment des molécules contre l’amarante de Palmer en Amérique du Nord, une adventice devenue résistante au glyphosate (à cause de l’usage immodéré du Roundup sur les OGM), et le vulpin des champs en Europe2.
Les miPEPs interviennent dans divers processus biologiques, dont la régulation de l’expression génétique, le contrôle de l’activité d’enzymes, la signalisation cellulaire… Laurent Thomas, directeur général et cofondateur de la société explique : « Les miPEPs contrôlent les microARNs qui, au sein des plantes, jouent un rôle essentiel dans leur développement. Certains contrôlent des microARNs impliqués dans la fixation de l’azote atmosphérique, d’autres encore dans la réponse immunitaire. On peut appliquer directement les miPEPs sur une plante et stimuler l’expression des microARNs correspondants pour aider ou protéger les plantes »3. Les miPEPs, aspergés directement aux champs, amélioreraient ainsi, selon l’entreprise, la résilience des plantes face aux stress environnementaux, leur croissance et leur développement, et augmenteraient la productivité des cultures.
Les miPEPs sont développés via une « plateforme brevetée » utilisant des outils informatiques. Ce dispositif permet d’identifier les séquences potentielles de miPEPs, et des algorithmes permettent de sélectionner et de hiérarchiser les molécules candidates en fonction d’un ensemble de critères prédéfinis par l’entreprise. Quelques centaines de candidats sont ensuite testés dans le cadre d’essais d’efficacité internes. Les miPEPs sélectionnés sont ensuite fabriqués par synthèse chimique puis étudiés pour tester leurs propriétés de pénétration des cellules pour atteindre leur cible une fois pulvérisés sur les feuilles ou déposés dans le sol.
Des micropeptides pour « sauver la planète »
Aux promesses technologiques, la communication de Micropep Technologies allie des promesses environnementales. Ses miPEPs seraient une alternative moins toxique et plus ciblée pour combattre les maladies des cultures, tels que les champignons et les bactéries qui se développent dans les grandes cultures. L’entreprise toulousaine affirme que ses miPEPs sont des « solutions naturelles sûres, efficaces et durables pour aider à adapter nos systèmes agricoles à l’impact du changement climatique et à sauver notre planète,… la prochaine génération d’outils de protection durable des cultures et de stimulation des cultures que les agriculteurs recherchent ». Une communication toute en promesse, au nom de tous les agriculteurs. Parmi ces derniers, nombreux sont pourtant ceux qui questionnent voire refusent des produits brevetés dans leurs champs.
Micropep a entamé la phase commerciale en 2022, en s’attaquant au marché étasunien. Avec succès, puisque son fongicide visant, entre autres, la rouille du soja et le mildiou, y a été classé « principe actif biochimique » (MPD-01) par l’EPA (Environnemental Protection Agency) en février 2024. Cet agrément lui permet d’accéder à un parcours réglementaire étasunien simplifié pour obtenir l’homologation d’ici 2026, après d’autres essais sur les cultures. L’entreprise toulousaine vise également le marché européen, où elle devra également suivre une procédure réglementaire d’autorisation.
Marché européen : entre réglementations et risques environnementaux
La commercialisation, voire l’introduction, de produits sur le territoire de l’Union européenne (UE) doit en effet se faire dans le respect de la législation. Il s’agit, entre autres, de garantir leur innocuité vis-à-vis de l’environnement et des consommateurs, ainsi que leur efficacité. Différents actes juridiques pourraient concerner les miPEPs, par exemple le règlement sur les produits phytopharmaceutiques (n° 1107/2009), le règlement Reach sur la protection de la santé humaine et de l’environnement contre les risques liés aux substances chimiques (n° 1007/2006) ou la directive sur les substances biocides (n° 528/2012).
Notons surtout que, selon MicroPep, ces micropeptides sont produits par des bactéries. Dès lors, si ces micropeptides ne sont pas des OGM en tant que tel (ce ne sont pas des organismes), ils sont des produits issus d’OGM, des micro-organismes génétiquement modifiés (MGM) plus précisément. Ils seront donc nécessairement soumis aux requis de la législation européenne sur les microorganismes OGM.
Bien que Micropep promeuve ses miPEPs comme une solution plus « sûre et durable », leur potentiel impact à long terme sur les écosystèmes peut être questionné. Parce qu’elle est récente, cette technologie peut en effet manquer de données concernant l’évolution des miPEPs, notamment leur dégradation environnementale, leur bioaccumulation potentielle, leurs effets sur la biodiversité, en particulier sur les organismes non cibles…
Interrogé sur ces questions, le directeur de Micropep réagit : « Il est nécessaire d’obtenir des autorisations de mise sur le marché pour commercialiser les produits. C’est là que le bât blesse : la réglementation européenne est deux fois plus longue que la réglementation américaine ». Thomas Laurent poursuit en louant l’esprit « pragmatique » des États-Unis : « Dès lors que ce sont des technologies nouvelles,… qui ont des bénéfices pour l’environnement par rapport à la chimie conventionnelle,… dès lors qu’elles sont d’origine naturelle, elles sont exemptées d’études supplémentaires pour démontrer les bénéfices pour l’environnement. Ce qui n’est pas toujours le cas en Europe. Signalons tout de même des avancées positives en Europe où un projet de redéfinition du terme de biocontrôle est en cours, avec de bonnes étapes de franchies »4.
Concernant la redéfinition du « biocontrôle », la Commission européenne dit vouloir mieux intégrer les pratiques durables et répondre aux enjeux environnementaux, notamment en finançant des projets de recherche sur les solutions « basées sur la nature », comme par exemple des macro ou micro-organismes, des biopesticides…5
Des micropeptides « naturels » brevetés
Depuis quelques années, le secteur des biotechnologies tente de faire passer au forceps l’idée que certaines des molécules qu’il développe sont « proches de la nature », « conventionnelles », voire « naturelles » ou « biologiques ». On peut citer l’ARN interférent (ARNi)6 ou les OGM/NTG. Micropep adopte le même langage tout en soulignant, par la voix de son directeur général, la profusion potentielle des miPEPs : « Il s’agit d’un nouvel eldorado de substances actives innovantes, d’origines naturelles, qui ont la propriété de se dégrader dans le sol ».
Toujours est-il que la technologie miPEPs est couverte par des droits de brevets aux États-Unis et en Europe. Ceux-ci couvrent l’utilisation de micropeptides pour notamment « promouvoir la croissance des plantes » ou « moduler l’expression des gènes ». Certains brevets ont été délivrés depuis qu’Inf’OGM avait évoqué ces droits en 20187. Les revendications définissent notamment des procédés de détection de micropeptides, leur utilisation dans une composition comprenant un agent phytopharmaceutique et, pour un brevet étasunien, des compositions comprenant des micropeptides à des concentrations spécifiques. Bien que ces brevets ne couvrent pas explicitement des micropeptides naturels en tant que tels, les revendications couvrent néanmoins l’utilisation de micropeptides potentiellement naturels dans des applications particulières.
- Lauressergues et al., « Primary transcripts of microRNAs encode regulatory peptides », Nature, 2 avril 2015. ↩︎
- Laurent Marcaillou, « Micropep Technologies protège les plantes avec des peptides », Les Echos, 19 août 2021. ↩︎
- Thérèse Bouveret, « Micropep : Un pionnier de la bioproduction pour la protection des plantes », Biotech info, 19 septembre 2022. ↩︎
- Ibid. ↩︎
- Christophe Noisette, « Le biocontrôle, le nouveau Graal de l’agro-industrie », Inf’OGM, le journal, n° 169, octobre-décembre 2022. ↩︎
- Phyteis, « ARNi : quelles applications en bioprotection ? », 12 juillet 2023. ↩︎
- Eric Meunier, « Micropep : OGM ou pas OGM ? », Inf’OGM, 20 mars 2018. ↩︎