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Brevets sur les OGM, sortir de l’impasse est-il possible ?

Par Denis Meshaka

Publié le 31/01/2025

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En juillet 2023, la proposition de déréglementation des OGM obtenus par de nouvelles techniques de modification génétique (dites nouvelles techniques génomiques – NTG) a mis en lumière une question délicate toujours en discussion : les brevets. Ces derniers font l’objet de vives critiques en raison de leurs multiples effets négatifs sur les droits des agriculteurs et des semenciers traditionnels, ainsi que sur la biodiversité. Un rapport commandé par le parti européen Les Verts aborde cette problématique et propose des pistes pour sortir de cette impasse.

Les brevets posent des problèmes en Europe à divers acteurs de la filière agricole. C’est le constat tiré des discussions en cours et portant sur la proposition de déréglementation des OGM / NTG faite par la Commission européenne. Les brevets créent en effet des difficultés, notamment d’accès aux ressources phytogénétiques, puisque brevet veut dire interdiction de reproduire sans payer des redevances, d’insécurité juridique car il est, en l’état, impossible pour des obtenteurs et paysans de connaître la présence de brevets portant sur une plante qu’ils pourraient utiliser, et plus globalement, d’appropriation du vivant généraliséei. En décembre 2024, le parti Les Verts a publié un rapportii commandé à Axel Metzger, un professeur de droit à l’Université de Berlin. Ce document analyse les options légales visant à résoudre ces problèmes, tout en tenant compte du droit international (Accord sur les aspects des droits de propriété intellectuelle ou ADPIC)iii, de la Convention sur les brevet européen (CBE) et du droit européen (Directive 98/44/UE).

Différentes solutions, différentes difficultés

Ce rapport analyse donc les options possibles pour exclure certains éléments de la brevetabilité ou limiter la portée, de la protection conférée par les brevets. Des options dont on observera que la mise en œuvre de ces options varie en complexité.

Selon le rapport, il est irréaliste d’espérer interdire rapidement les brevets sur les plantes et/ou leurs composants issus de procédés techniques comme les nouvelles techniques de modification génétique. Une telle interdiction nécessiterait en effet de modifier la Convention sur le brevet européen (CBE), donc l’unanimité des 39 États signataires qui ne sont pas tous membres de l’Union européenne. Une condition qui paraît impossible à remplir dans les délais des discussions législatives en cours sur une éventuelle déréglementation des OGM issus de NTG.

Le rapport évoque une proposition avancée par la Belgique quand elle présidait le Conseil de l’Union européenne (de janvier à juillet 2024) et visant à conditionner la déréglementation des OGM/NTG1 (présentés comme « semblables » à ce que peuvent faire la nature ou la sélection traditionnelle) à une renonciation aux brevets. Une proposition reprise récemment par la Pologne, actuelle Présidente du Conseil mais qui soulève des objections juridiques selon Metzger, notamment en raison du principe de proportionnalité (article 5, par. 4 TUEiv). Selon ce principe, le législateur ne peut se référer à des considérations étrangères au sujet – en l’occurrence le droit des brevets – pour fonder des mesures réglementaire qui ne sont pas étayées par une évaluation des risques. C’est sans doute pour cela que la Pologne propose comme alternative une obligation d’étiquetage signalant que les semences dites NTG de catégorie 1 sont brevetées.

Par la voix de l’organisation Euroseeds, les multinationales ont proposé d’exclure de la brevetabilité les plantes obtenues par ce qu’Euroseeds nomme « mutagenèse aléatoire », une expression non définie juridiquement. Pour Axel Metzger, cette proposition fait débat. L’exclusion de telles plantes sans modifier le texte de la CBE lui parait peu faisable. Il ajoute que si une modification en ce sens de la directive 98/44 par l’Union européenne pourrait influencer le règlement d’application de la CBE, l’adhésion de la Grande Chambre de recours de l’OEB à ce changement demeure incertaine. Axel Metzger reste donc sceptique quant à une telle réforme sans révision de la CBE. Rappelons par ailleurs que, pour éviter tout abus sémantique ultérieur, une telle approche nécessiterait au préalable de définir précisément ce qu’est la « mutagénèse aléatoire », l’expression n’ayant à ce jour aucune base légale ni utilité.

A. Metzger estime donc, en résumé, qu’interdire ou restreindre rapidement la portée de ces brevets sur les plantes et/ou leurs composants issus de procédés techniques, par exemple les NTG, est irréaliste en raison des obstacles juridiques et institutionnels.

Il serait en revanche juridiquement possible, selon le rapport, d’empêcher l’octroi de brevets sur des plantes existant naturellement et sur des séquences génétiques présentes dans de telles plantes (l’auteur parle de séquences génétiques et non pas d’informations génétiques ou de matière biologique). Cela serait compatible avec les ADPIC, mais nécessiterait de modifier la règle 27 du règlement d’exécution de la CBE qui déclare brevetable « une matière biologique isolée de son environnement naturel ou produite à l’aide d’un procédé technique, même lorsqu’elle préexistait à l’état naturel ». Une telle modification ne requiert pas l’unanimité des 39 membres de la CBE , mais seule une décision du Conseil d’administration de l’OEB avec une majorité des trois quarts, et sans ratification par les parlements nationaux. Il faudrait néanmoins, pour favoriser l’obtention de cette majorité, modifier en amont la directive européenne 98/44 puisque que les règles 26-34 du règlement CBE en découlent directement.

Une autre option analysée serait d’imposer la divulgation systématique de l’origine des matières biologiques dans les demandes de brevet, en conformité avec les obligations théoriques des traités internationaux sur les ressources génétiques. Même s’il a été analysé que ces obligations récentes peuvent être facilement contournéesv, Axel Metzger estime que, sur le papier, ces mesures permettraient aux sélectionneurs de bénéficier d’une plus grande sécurité juridique, en éliminant théoriquement les risques de litiges et les coûts liés à l’exploitation des ressources brevetées. Le rapporteur précise que ces obligations pourraient aussi être introduites par décision du conseil d’administration de l’OEB, car il existe une base à cet effet au considérant 27 de la directive 98/44 de l’UE.

En résumé, A. Metzger considère qu’empêcher la brevetabilité des plantes naturelles est possible, mais nécessiterait une réforme du règlement d’exécution de la CBE voire une modification de la Directive européenne 98/44.

Selon le rapport, des moyens existent pour limiter la portée des brevets existants et futurs. Par exemple, il serait possible de préciser explicitement dans la directive 98/44 que « la protection conférée par un brevet à un produit consistant en une information génétique ou contenant une telle information ne s’étend pas au matériel végétal dans lequel ce produit est incorporé et dans lequel les informations génétiques sont contenues et remplissent leur fonction, mais qui ne diffère pas du matériel végétal obtenu ou susceptible d’être obtenu par un procédé essentiellement biologique ». Ce nouvel article 9.3 a été proposé en février 2024 par ECVC au Parlement européen qui l’a adopté dans ses amendements de la proposition de déréglementation des OGM faite par la Commission européenne. Axel Metzger relève que cela permet d’exclure de toute protection par brevet les plantes NTG considérées comme « équivalentes » à celles issues de sélection conventionnelle. Mais l’éléphant dans la pièce n’est-il pas justement là : équivalent (selon certains critères et non d’autres) ne veut en effet pas dire identique.

Le rapport de Metzger propose également une modification de la règle de la charge de la preuve en cas de contrefaçon présumée – qui incomberait alors au seul détenteur du brevet – pour les produits issus de procédés NTG spécifiques. Ces clarifications contribueraient à réduire – et non éliminer – les craintes des sélectionneurs et des agriculteurs face aux litiges potentiels liés à l’utilisation de plantes contenant des traits similaires à ceux brevetés.

A. Metzger estime donc envisageable de restreindre la portée des brevets, notamment en clarifiant leur portée, et en inversant le système de la charge de la preuve.

Une autre option envisageable est d’étendre le privilège de l’obtenteur, en lui permettant non seulement de poursuivre la sélection sur la base de variétés brevetées, mais également de commercialiser les nouvelles variétés obtenues. Mais Axel Metzger estime qu’une exemption complète pour les sélectionneurs est difficile à mettre en œuvre car peut-être incompatible avec l’article 13 de l’accord ADPIC (limitations et exceptions des détenteurs de droits). Pour lui, une telle réforme du privilège de l’obtenteur nécessiterait des modifications à la fois de la directive 98/44 et de l’ADPIC, ce qui pourrait poser des défis juridiques inatteignables à court terme.

Une dernière possibilité analysée par A. Metzger est l’adoption de mesures visant à accroître la transparence des brevets et à limiter les abus des détenteurs de droits sans toutefois pouvoir les exclure totalement. Par exemple, le législateur européen pourrait faciliter l’obtention de licences obligatoires, s’inspirant du modèle suisse, et instaurer un registre de transparence obligatoire pour les brevets sur les plantes (autre que la base Pinto qui fonctionne sur le volontariat), leurs variétés et les techniques utilisées. Il serait également possible, selon lui, de restreindre les droits des détenteurs de brevets en cas de blocage ou de retard dans la fourniture d’informations nécessaires à d’autres sélectionneurs.

A. Metzger soutient, en somme, que renforcer la transparence et encadrer les brevets permettrait de limiter certains abus sans les supprimer totalement.

La position des organisations

Lors d’une table ronde organisée par les Verts le 9 décembre 2025vi autour du rapport Metzger, la Coordination européenne de la Via Campesina (ECVC) a rappelé l’importance d’une réglementation adaptée pour éviter les abus de brevets. ECVC souligne néanmoins une insuffisance du rapport qui n’aborde pas un point clé : le retrait de toute obligation pour les producteurs d’OGM de fournir les procédés de détection et d’identification permettant de tracer les produits obtenus par nouvelles techniques. Pour ECVC, seul le maintien d’une telle obligation imposée par la législation OGM actuelle permet dans un premier temps de restreindre les revendications abusives liées aux brevets. L’organisation déplore également que le rapport ne propose pas de solutions concrètes – autre que le disclaimer prévu par l’OEB qu’elle considère inefficacevii – pour contrer l’extension abusive des brevets aux plantes naturelles ou issues de sélections paysannes ou traditionnelles.

La coalition européenne No Patents on Seeds (NPOS) accueille elle aussi favorablement le rapport Metzgerviii dans l’analyse des enjeux brevets sur les produits issus de NTG. Elle lui reproche cependant de ne pas faire une distinction suffisamment claire entre « génie génétique » et sélection conventionnelle. Selon NPOS, ceci pourrait limiter les opportunités d’interdire les brevets sur les plantes obtenues par des procédés essentiellement biologiques. NPOS, qui, à l’instar d’Euroseeds, représentant les multinationales semencières, inclut la « mutagenèse aléatoire » (sans la définir) dans ces procédés, estime qu’il existe une marge de manœuvre suffisante au niveau de l’UE pour appliquer une telle interdiction. La coalition ajoute que cette interdiction relèverait de l’interprétation de la CBE, qui n’aurait dès lors pas besoin d’être modifiée, ce dont doute Metzger.

NPOS et ECVC ont plusieurs fois affiché leur divergences sur, notamment, la brevetabilité de la mutagenèse aléatoire dont on n’a pas de définition juridique. ECVC réfute la position de NPOS qui l’assimile à un procédé essentiellement biologique (PEB). Les deux organisations divergent aujourd’hui sur la stratégie à adopter pour sortir de l’impasse législative dans laquelle se trouve la question des brevets. Alors que NPOS concentre essentiellement sa position sur le changement de statut juridique de la mutagenèse aléatoire qu’elle veut voir qualifiée de PEB, ECVC souhaite modifier la directive 98/44 avec une disposition minimale : rendre obligatoire la publication des procédés d’identification et de détection des produits brevetés pour les tracer et éviter aux petits semenciers et agriculteurs des poursuites abusives, à défaut de quoi la validité du brevet serait remise en cause.

Alors que la proposition de déréglementation des OGM/NTG continue de susciter un débat intense, la question des brevets reste un obstacle majeur à une réforme équilibrée. Le rapport Metzger met en lumière les complexités juridiques et les divergences d’approche entre acteurs, illustrant ainsi les tensions autour de l’accès équitable aux ressources génétiques. Si des solutions existent pour encadrer ces brevets et limiter leurs effets, elles nécessitent des décisions politiques fortes et concertées pour éviter que cette déréglementation ne se fasse au détriment des agriculteurs et de la biodiversité.

i https://infogm.org/article_journal/les-brevets-une-reponse-insatisfaisante/

ii Metzger, A. « Possibilités juridiques de modification de la protection des brevets sur les plantes en Allemagne, en Europe et en droit international », 4 décembre 2024 https://www.martin-haeusling.eu/images/Gutachten_Biopatente_METZGER_4-12-2024_fr.pdf

iii L’ADPIC, ou Accord sur les aspects des droits de propriété intellectuelle qui touchent au commerce, vise à définir les protections minimales relatives au droits de propriété intellectuelle dans les pays membres de l’Organisation mondiale du Commerce (OMC).

iv Article 5, par. 4 TUE : « En vertu du principe de proportionnalité, le contenu et la forme de l’action de l’Union n’excèdent pas ce qui est nécessaire pour atteindre les objectifs des traités. Les institutions de l’Union appliquent le principe de proportionnalité conformément au protocole sur l’application des principes de subsidiarité et de proportionnalité »

v Cette obligation comporte cependant des lacunes qui permettent de les contourner : https://infogm.org/lompi-ouvre-plus-largement-la-porte-a-la-biopiraterie/

vi Martin Hauslin, « Freier Zugang zu Saatgut- Für ein krisensicheres Ernährungssystem (Libre accès aux semences – Pour un système alimentaire à l’abri des crises), 9 décembre 2024 https://www.youtube.com/watch?v=GSc-jnzjl_s

vii ECVC, « Proposition de la Commission européenne sur les « nouveaux OGM » », 18 juillet 2023 https://www.eurovia.org/wp-content/uploads/2023/07/Communication-ECVC-FR.pdf

viii No patents on seeds, « What can be achieved at EU level against patents on seeds? The Green parliamentary group in the Bundestag presents an expert opinion », 9 décembre 2024 https://www.no-patents-on-seeds.org/en/EU

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