n°177 - octobre/décembre 2024

Les solutions biotechnologiques du biocontrôle : des risques biologiques et écologiques ?

Par Annick BOSSU

Publié le 01/10/2024, modifié le 25/11/2024

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A peine découvertes grâce aux avancées du séquençage des gènes, de nouvelles molécules – petits ARN et protéines – font leur entrée dans le monde des biotechnologies. Leur utilisation est censée résoudre de nombreux maux affectant le monde vivant, et particulièrement les agressions des végétaux par des ravageurs. A cela, il faut adjoindre des micro-organismes génétiquement modifiés, dont on attend aussi qu’ils soignent les plantes infectées. Ces nouveaux pesticides présentent cependant des risques pour le vivant.

Le plus grand danger des biotechnologies est l’utilisation mécaniste et rapide de données biologiques nouvelles et mal connues. Avec des arguments simplistes, la propagande industrielle fait croire l’inverse au public non averti. C’est ce que l’on appelle des « arguments d’autorité ». Ainsi, l’idée s’enracine dans notre inconscient que les risques sont – ou peuvent être – maîtrisés une fois ces nouveaux produits disséminés dans la nature. Le biocontrôle dans sa version biotechnologique n’échappe pas à ce danger. Les conséquences environnementales pourraient tenir du désastre. Ajoutons que certaines de ces applications pourraient servir d’armes biologiques.

Risques des molécules copiées sur le vivant et utilisées pour le biocontrôle

La découverte de l’ARN interférent (ARNi) est récente et la production industrielle d’ARNi de synthèse a suivi d’une vingtaine d’années.i Or, les processus biologiques mettant en jeu l’ARNi à l’heure actuelle ne sont pas tous connus.

Le problème essentiel concerne la spécificité de ces petits ARN : il est prouvéii que, dans l’organisme cible, ils désactivent, mettent sous silence le gène cible comme attendu, mais aussi des gènes collatéraux non-ciblés, dont la séquence génétique est en grande partie similaire. Cela est lié à la très courte longueur de ces molécules d’ARNi, ce qui augmente leur probabilité de fixation en des sites similaires sur l’ARN messageriii. Ce phénomène peut donc perturber l’efficacité de l’action de l’ARNi sur l’organisme ciblé, mais aussi modifier l’activité d’autres gènes et fausser le résultat attendu.

La similitude de séquence peut également conduire à la désactivation de gènes chez des organismes non ciblés, exposés aux molécules d’ARNi et capables d’interférence à ARN. Étant donné que de nombreux gènes essentiels sont très proches d’une espèce à l’autre, un pesticide conçu par exemple pour un insecte pourrait finir par nuire aux pollinisateurs bénéfiques, aux champignons du sol, à d’autres animaux, voire à l’Homme.

Cette mise sous silence de gènes est conséquente pour certains pollinisateurs, d’autant plus que l’utilisation généralisée de sprays pesticides augmenterait le nombre d’espèces touchées. L’association Pollinis a ainsi identifié des papillons, des abeilles (dont l’abeille mellifère), des bourdons et certains diptères (ordre des mouches) touchés involontairement par cette désactivation de gènes essentiels pouvant conduire à la mort de l’insecteiv. Des coléoptères seraient aussi impactés.

Les plantes cultivées sont aussi concernées par le silençage accidentel de certains de leurs gènes par l’ARNi. Cela crée un déséquilibre dans l’activité des gènes, ce qui peut modifier la teneur en certains éléments nutritifs ou créer une toxicitév.

De plus, des preuvesvi indiquent que les espèces ravageuses ciblées vont rapidement développer une résistance aux pesticides ARNi, comme cela se produit avec d’autres types de pesticides.

Chez les mammifères, dont l’Homme, une étude a déjà montré que certains de ces ARNi naturels contenus dans l’alimentation végétale résistent à la digestion et peuvent interférer avec le fonctionnement génétique de certaines cellules. Ce qui entraîne des effets négatifs sur la santévii.

Que dire alors de l’absorption d’ARN interférent de synthèse, soit par l’alimentation soit par inhalation des sprays ?

Il a été montré que la compétition entre les ARNi endogènes et les ARNi synthétiques introduits dans l’organisme peut conduire à un déséquilibre des niveaux naturels de molécules d’ARNi. Ce qui peut perturber sa capacité naturelle à réguler étroitement l’activité des gènesviii.

Cette transmission horizontale s’accompagne d’une transmission verticale : l’altération causée par l’ARNi peut parfois être transmise aux générations futures des organismes concernés, ce qui signifie qu’une seule application pourrait avoir des effets d’entraînement incontrôlablesix.

Ainsi, le contrôle de l’exposition à l’ARNi est difficile, voire impossible. Les connaissances biologiques sont trop lacunaires. Des écosystèmes entiers pourraient être affectés, et des répercussions inattendues pourraient persister pendant des générations.

Des micropeptides de synthèse sont également produits depuis quelques années pour le biocontrôle des plantes.

Il s’agit de microprotéines baptisées miPEPs, des chaînes de quelques dizaines d’acides aminés (alors que les protéines en contiennent quelques centaines). Celles-ci contrôlent l’expression de gènes en agissant sur la quantité de petits ARN les codant et présents dans la cellule. Le mode d’action de ce phénomène naturel est connu depuis 2015x.

Des chercheurs du CNRS de Toulouse ajoutent : « De façon remarquable et étonnante, l’application externe de miPEPs de synthèse sur les plantes est suffisante pour augmenter spécifiquement l’expression du microARN dont il est issu et, par conséquent capable d’induire des modifications du développement de la plante. Étant donné leur efficacité par simple application externe en laboratoire, les miPEPs ouvrent la possibilité de beaucoup d’applications agronomiques…»xi.

Ces micro-peptides de synthèse seraient administrés aux plantes par arrosage, pulvérisation ou en modifiant des plantes par transgénèse pour produire ces miPEPs sur le long terme.

La société toulousaine MicroPeps Technologies, issue du CNRS, qui produit ces micro-peptides à partir de bactéries, promeut son produit comme agent de protection des plantes, c’est-à-dire de biocontrôle.xii

Elle soutient même sans justification scientifique que ces micro-peptides sont biodégradables, alors que leur potentiel impact à long terme sur les êtres vivants et les écosystèmes n’est pas étudié.

Risques des micro-organismes GM utilisés pour le biocontrôle

Des virus génétiquement modifiés sont testés en laboratoire comme agents de biocontrôle : parasite obligatoire, le virus introduit son patrimoine génétique au sein des cellules dans lesquelles il pénètre. Il se sert ensuite de son hôte pour se multiplier puis infecter d’autres cellules ou d’autres organismes.

Actuellement, on modifie génétiquement des virus pour, d’une part, les rendre en théorie inoffensifs et, d’autre part, leur ajouter des gènes d’intérêtxiii.

Dans le domaine du biocontrôle, l’Homme se sert de ces virus GM pour introduire un gène létal dans les ravageurs des plantes. Cela est testé sur un insecte, la psylle asiatique, qui en suçant la sève des agrumes leur transmet une bactérie pathogène.xiv

D’autres recherches utilisant des virus GM sont réaliséesxv, en particulier ceux du groupe des baculovirus (spécifiques des insectes, crustacés et araignées…). Ils sont génétiquement modifiés pour produire chez le ravageur différentes molécules insecticides, comme des neurotoxines ou des enzymes de dégradationxvi.

Les risques sont considérables. En premier lieu, les virus voyagent de manière très rapide et incontrôlée. S’ils échappent à l’Homme, ils peuvent affecter des espèces autres que celles visées avec des conséquences inconnues. En second lieu, du fait de leur grande capacité à muter et à s’échanger des gènes, il est difficile de maîtriser la stabilité des informations génétiques que les virus transmettent. Comme l’explique J.M. Heard, directeur à l’institut Pasteur, « le génome d’un virus n’est pas stable, et quand un virus se réplique, c’est par millions. Lorsque les multitudes de copies d’un virus sortent d’une cellule précédemment infectée, les chances qu’au moins un des exemplaires soit différent de l’original sont proches de 100% ». Troisièmement, les chercheurs ne maîtrisent pas totalement le comportement des virus une fois lâchés dans la nature. Si demain leur utilisation en agriculture comme agent de biocontrôle des plantes devenait une réalité, les impacts de leur dissémination dans les écosystèmes seraient incontrôlables, avec de réels risques de modification du virusxvii.

Un programme de recherche utilisant des virus GM véhiculés par des insectes dans le cadre de la protection des plantes inquiète particulièrement certains chercheursxviii. Ce programme est financé par la Darpa (Agence étasunienne pour les projets de recherche avancée de défense)xix.

Pour ces chercheurs, les connaissances à tirer de ce programme semblent très limitées pour améliorer l’agriculture et répondre à ses urgences. En outre, ils déplorent l’absence de discussion sur les obstacles pratiques et réglementaires à la réalisation des avantages agricoles prévus. En conséquence, ils suggèrent que « le programme peut être largement perçu comme un effort pour développer des agents biologiques à des fins hostiles, ce qui – si cela est vrai – constituerait une violation de la Convention sur les armes biologiques (CIAB)»xx.

Des préparations à base de bactéries sont aussi proposées en biocontrôle des plantes, tel le produit de Bayer nommé Rhapsodyxxi, qui serait essentiellement un fongicide proposé notamment sur la vigne et le colza en complément des autres fongicides.

Utiliser des bactéries pour lutter contre les ravageurs des plantes n’est pas nouveau puisque la protéine insecticide produite par la bactérie du sol Bacillus thuringiensis a d’abord été utilisée en agriculture biologique, puis a permis de créer des plantes transgéniques insecticides, tel le maïs Bt.

C’est en surfant sur la vague du « naturel » que Bayer propose un produit breveté qui redorera son blason.La bactérie utilisée par Bayer dans Rhapsody est Bacillus amyloliquefaciensxxii (on trouve parfois Bacillus subtilis, une bactérie étroitement apparentée). Cette bactérie vit dans le sol et possède de nombreuses souches connues, dont certaines permettent de lutter contre les moisissures grises (Botritys) de certains fruits et légumes, souches utilisées en agriculture biologique.

Plusieurs souches de Bacillus a. sont utilisées par Bayer dans Rhapsody, dont la principale est la souche QST 713. D’après l’entreprise, la bactérie n’est pas génétiquement modifiée. Bayer reconnaît que son produit a une efficacité très incomplète et variable en fonction des conditions du milieu. Cette solution n’existe qu’en complément des pesticides chimiques.

Cependant, le document de E-Phy sur le site de l’Ansesxxiii décline nombre de précautions à prendre lors de la pulvérisation du produit, preuve qu’il n’est pas sans risques.

L’AESA souligne d’ailleurs une évaluation des risques non finaliséexxiv, notamment concernant les êtres vivants du sol.

D’autres produits de biocontrôle sont à l’étude, notamment dans le domaine des nanotechnologies liées aux biotechnologies. Vitesse et précipitation à vouloir utiliser des processus biologiques récemment découverts est décidément une marque des temps modernes. La question des risques écologiques est cependant très peu traitée et le plus souvent déléguée aux fabricants.

ivoir article de ce dossier sur l’ARNi pages …..

iiidem note i

iiiidem note i

iv Concernant les effets de l’ARNi sur les espèces non cibles, voir :
Pollinis, « Les effets hors-cibles des pesticides ARNi ».

vi Les Amis de la Terre, « Pesticides inhibiteurs de gènes – Risques et inquiétudes », p.19, septembre 2021.

viii Les Amis de la Terre, « Pesticides inhibiteurs de gènes – Risques et inquiétudes », p.24, septembre 2021.

ix Les Amis de la Terre, « Pesticides inhibiteurs de gènes – Risques et inquiétudes », p.23, septembre 2021.

xLauressergues D, Couzigou JM, Clemente HS, Martinez Y, Dunand C, Bécard G, Combier JP., « Primary transcripts of microRNAs encode regulatory peptides », Nature, 2 avril 2015.
Himanshi Gautam, Ashish Sharma, Prabodh Kumar Trivedi, « Plant microProteins and miPEPs: Small molecules with much bigger roles », Plant Science, Volume 326, 2023.

xi CNRS Toulouse, équipe de recherche « Peptides et petits ARNs ».
Lauressergues D, Couzigou JM, Clemente HS, Martinez Y, Dunand C, Bécard G, Combier JP., « Primary transcripts of microRNAs encode regulatory peptides », Nature, 2 avril 2015.

xiii D’autres modifications utilisant la biologie de synthèse peuvent être réalisées en laboratoire sur des virus. Voir par exemple :
Annick Bossu, « Origine du Sars-CoV-2 : hypothèses entrecroisées et complexité biologique », Inf’OGM, 7 mai 2024.

xv Ibid.

xvii Eric Meunier, « Virus génétiquement modifiés », Inf’OGM, le journal, n°45, août/septembre 2023.

xviii R. G. Reeves et al., « Agricultural research, or a new bioweapon system? », Science, vol.362, p.35-37, 5 octobre 2018.

xix Ibid.

xx Ibid.

xxii Ibid.

xxiii Anses, E-phy, « SERENADE ASO BAYER SAS », 16 août 2018.

xxiv EFSA (European Food Safety Authority), Anastassiadou M. et al., « Conclusion on the peer review of the pesticide risk assessment of the active substance Bacillus amyloliquefaciens strain QST 713 (formerly Bacillus subtilis strain QST 713) », EFSA Journal, 2021.

Enquête

Le mirage du biocontrôle

Le biocontrôle est une notion récente qui regroupe des réalités diverses. C’est un concept qui a été développé principalement par l’industrie pour « répondre », officiellement, à la demande de la société de réduire l’usage des pesticides chimiques de synthèse. Les produits de biocontrôle lui donnent l’occasion de créer un nouveau marché florissant. Cette notion, d'une part, empiète sur d’autres réalités agronomiques, comme la lutte biologique ou les préparations naturelles, et, d'autre part, recouvre des solutions biotechnologiques. Philosophiquement et fondamentalement, PNPP et produits de biocontrôle sont très différents. Le législateur, en France, a voulu encadrer ces pratiques paysannes en leur appliquant des normes pour en restreindre l’usage. En parallèle, le concept de biocontrôle a, lui, été encadré par les pouvoirs publics pour en favoriser le développement. L’industrie ne souhaite pas que les PNPP concurrencent leurs produits brevetés, d’où la réglementation inadaptée qui les maintient dans l’illégalité. Nous décortiquons comment plusieurs organisations en faveur du biocontrôle s’imbriquent, comment les multinationales de l’agro-industrie ont très rapidement mis la main sur les entreprises qui avaient développé des produits de biocontrôle. Plus de 500 produits sont officiellement reconnus comme « biocontrôle » par le ministère de l'Agriculture. Dans cette enquête, nous insistons sur la possibilité que, petit à petit, des produits issus de biotechnologies trouvent leur place au sein des produits de biocontrôle. Tous ces nouveaux produits induisent des risques environnementaux et sanitaires, dont l'évaluation est lacunaire.
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