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Origine du Sars-CoV-2 : hypothèses entrecroisées et complexité biologique

Par Annick BOSSU

Publié le 07/05/2024, modifié le 15/05/2024

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L’origine du virus Sars-CoV-2 fait toujours l’objet de controverses. A ce jour, deux hypothèses co-existent. Le virus proviendrait soit de virus de chauves-souris qui auraient évolué jusqu’à devenir infectieux pour l’espèce humaine (thèse de la zoonose), soit d’un virus modifié en laboratoire et rendu infectieux pour l’Homme (thèse de la fuite de laboratoire). Des publications scientifiques récentes montrent que les caractéristiques génétiques du Sars-CoV-2 sont incompatibles avec l’ingénierie génétique seule ou une zoonose seule. Une complémentarité de ces deux hypothèses est envisagée ainsi qu’un temps long d’évolution du virus dans le corps humain.

Dans le cadre de son travail sur les virus génétiquement modifiés, Inf’OGM se penche ici sur l’origine du Sars-CoV-2, agent de propagation de la COVID-19 qui a provoqué une pandémie mondiale. En effet, les études sur l’origine du Sars-CoV-2 font intervenir des observations de natures variées mais aussi des connaissances sur la génétique des virus.

On connaît, depuis qu’existent les pandémies animales ou humaines, les mécanismes écosystémiques qui en sont à l’origine. Aujourd’hui, le séquençage de l’ADN ou de l’ARN des virus est de plus en plus performant. Par comparaison des séquences génétiques numérisées (DSI) de virus, on peut connaître la proximité évolutive de ces virus et retracer en partie leur histoire sous forme d’arbres appelés arbres phylogénétiques. Quant aux modifications génétiques des virus en laboratoire, elles sont connues depuis les années 2000 et ont été rendues possibles grâce aux outils des biotechnologies et de la biologie de synthèse.

Des chauves-souris et des Hommes

Le Sars-CoV-2 est un coronavirus (CoV) responsable d’un syndrome respiratoire sévère dans l’espèce humaine. C’est un virus dont le matériel génétique est de l’ARN. Sur son enveloppe, des protéines appelées spicules forment une couronne, d’où son appartenance aux coronavirus. Il est le troisième coronavirus à avoir infecté l’Homme, après le Sars-CoV en 2002 et le MERS-CoV en 2010. Les études phylogéniques par comparaison des séquences génétiques ont d’ores et déjà montré que le Sars-CoV-2 n’est pas issu de ces deux précédents virus. Ces mêmes études décrivent par contre une proximité évolutive avec des CoV de chauve-souris, notamment ceux d’une souche virale appelée RaTG13 de l’espèce de chauve-souris Rhinolophus affinis, découverte en 2013, et de souches virales du Laos nommées « BANAL », découvertes en 2021.

Dans la nature, des populations importantes de chauves-souris partagent les mêmes grottes, et différentes souches de coronavirus peuvent alors infecter simultanément le même animal, ce qui favorise les recombinaisons génétiques (échanges de fragments d’ARN) entre virus et décuple les possibilités d’évolution. Les Sars-CoV ont la particularité de beaucoup se recombiner, à quoi s’ajoutent les mutations (sur leur ARN) retenues par sélection. Génétiquement proche de ces souches virales qui ne se transmettaient alors qu’entre chauves-souris1, le Sars-CoV-2 s’en distingue par le fait qu’il infecte l’espèce humaine.

Des virus issus de l’évolution du vivant existent dans leurs écosystèmes et ne donnent que rarement des pandémies. L’ouverture de nombreux écosystèmes, la récolte d’échantillons pour les laboratoires, les élevages industriels et les voyages internationaux constituent des risques évidents de précipiter leur évolution. Une origine anthropique de virus devenus pathogènes pandémiques ne peut être niée et a déjà été montrée.

La question principale dans l’hypothèse d’une zoonose à l’origine de la pandémie est bien de savoir comment ce virus est passé de la chauve-souris, animal sauvage, à l’Homme. Il est admis que la transmission zoonotique des CoV à l’Homme passe par une espèce hôte intermédiaire, dans laquelle les virus peuvent évoluer puis être sélectionnés vers des formes susceptibles d’infecter des cellules humaines. C’est cela qui s’est produit pour le Sars-CoV de 2010, les études phylogéniques ayant montré que la civette (ou chat musqué, proche de la genette européenne) était l’hôte intermédiaire. Cette adaptation se serait produite en quelques mois ; il en est de même pour le MERS-CoV pour lequel l’hôte intermédiaire est le chameau2.

Pour le pangolin, hôte intermédiaire suspecté dans le cas du Sars-CoV-2, les études phylogénétiques ne sont pas concluantes. Le CoV hébergé par cet animal n’a qu’une toute petite partie identique à celle du Sars-CoV-2. Par ailleurs, cet animal n’évoluant pas dans les mêmes écosystèmes que les chauves-souris, les recombinaisons de leurs virus sont pratiquement impossibles1.

En l’absence d’éléments probants concernant le dernier intermédiaire animal avant la contamination humaine, et ce depuis 4 ans de recherches, certains auteurs proposent que l’adaptation du virus à l’espèce humaine ait pu avoir été réalisée en laboratoire.

Des labos et des Hommes

Depuis l’émergence du Sars-CoV-1, en 2002-2003, à partir du génome des virus CoV de chauves-souris, on a construit des virus recombinés potentiellement adaptés à l’espèce humaine dans des laboratoires étasuniens et chinois1. Par exemple, en 2015, le laboratoire de Virologie de Wuhan (Chine) et le laboratoire de R. Baric (Caroline du Nord) expliquent avoir changé un site de la protéine de spicule (spike en anglais) d’un virus de chauve-souris proche des Sars-CoV pour que cette protéine soit capable de se fixer sur les cellules humaines et que le virus puisse ainsi infecter l’Homme5.

Dans le cas du Sars-CoV-2, l’analyse moléculaire de la protéine de spicule (protéine S) a révélé sur celle-ci, en plus du site de fixation de la protéine sur les cellules humaines, un autre site particulier de spike, pouvant être coupé par une enzyme nommée furine, présente à la surface de nombreuses cellules animales et notamment humaines. Ce site est appelé « site de clivage de la furine ».

Lorsque le Sars-CoV-2 infecte l’Homme, la protéine S se fixe sur les cellules possédant les récepteurs appropriés et l’enzyme furine, activée de ce fait, fractionne cette protéine, ce qui permet en conséquence l’entrée de l’ARN viral dans les cellules humaines et notamment les cellules des voies respiratoires et des poumons6. Si l’on utilise la métaphore de la main qui tourne la clé pour ouvrir une porte, la protéine S serait la clé et la furine coupant la protéine serait la main.

Aucun virus proche du Sars-CoV-2 ne possède ce site de clivage à haut potentiel infectieux pour l’Homme.

Dans le génome des coronavirus proches du Sars-CoV-2, il a néanmoins été possible d’ajouter une séquence génétique codant ce site de clivage par la furine, qui existe par ailleurs chez d’autres coronavirus. D’ailleurs, c’est ce type de travaux qui a été décrit dans une demande de subvention de 2018 auprès de la DARPA (organisme de recherche pour l’armée aux États-Unis) déposée par Peter Daszak77 au bénéfice de deux laboratoires, l’un étasunien (Caroline du Nord) et l’autre chinois, celui de virologie de Wuhan8.

L’hypothèse d’un tel virus rendu très infectieux pour l’Homme par manipulation génétique est donc soutenable et le fait qu’il se soit échappé d’un laboratoire est donc possible. Des échappements de virus potentiellement pathogènes se sont déjà produits dans le passé et ont été renseignés9. Les risques d’échappement accidentels de virus sont accrus par l’augmentation actuelle du nombre de laboratoires où se pratiquent ces manipulations génétiques.

Depuis une vingtaine d’années, on peut construire de nouveaux virus grâce à la bio-ingénierie. Ainsi, il a été reconstitué des virus entiers sur la base de leur séquence génétique, par exemple, des virus de variole. Ces technologies permettent de « coudre », en une dizaine de jours, un génome viral à partir de différents fragments d’ADN ou ARN synthétisés à partir de séquences d’un ou plusieurs génomes de virus sauvages… Cela laisse souvent des traces et le Sars-CoV-2 en montre10. Ces traces ou empreintes révélées par des analyses bio-informatiques sont des signatures d’une potentielle manipulation du génome du Sars-CoV-2. Mais elles n’expliquent qu’une petite partie de ce génome11

Bricolage de virus existants ou virus reconstruits pièces par pièces en laboratoire, cette deuxième hypothèse sur l’origine du Sars-CoV-2 peut être retenue.

Une longue évolution du virus chez l’Homme ?

Les études phylogénétiques du Sars-CoV-2 montrent des traces d’évolution du virus à partir d’un réservoir naturel (les chauves-souris). Mais, en l’absence d’hôte intermédiaire, certains auteurs ont suggéré, dès 2020, que le processus adaptatif d’ « humanisation » du virus ait pu se faire chez l’Homme directement après le transfert zoonotique depuis la chauve-souris. Cette possibilité qui exclut l’hôte intermédiaire est appelée « théorie du passage des mineurs de Mojiang »12. Ce processus évolutif est forcément long.

Or, une autre caractéristique de la protéine S du Sars-CoV-2 a été observée en étudiant les coronavirus de type « BANAL » provenant du Laos. Chez ces virus « BANAL », une molécule nommée glycan (polymère glucidique) est attachée à la protéine S. Ce glycan est retrouvé dans d’autres coronavirus, mais pas chez le Sars-CoV-2. Cette absence de glycan sur la protéine S chez le Sars-CoV-2 serait due à une mutation (substitution) sur le gène codant la protéine Spike13. Il se trouve que cette mutation, en induisant l’absence d’un glycan, augmenterait par vingt l’affinité de la protéine S pour son récepteur sur les cellules humaines14. Ce même article de Nature15 montre que les conditions d’acidité et la présence d’enzymes protéolytiques16 sont déterminantes pour que cette mutation soit sélectionnée ou pas. La mutation sur le gène de Spike provoquant l’absence de glycan sur la spike du Sars-CoV-2 aurait été sélectionnée dans les poumons humains où les conditions enzymatiques et d’acidité requises sont présentes. Le virologiste Jonathan Latham en déduit dans un article récent que cela se serait produit dans les poumons des mineurs de la mine de Mojiang infectés par le RaTG 13, qui auraient survécu depuis 2012 grâce à une immunité acquise et sur un temps long17. Il en conclut que le processus adaptatif du virus à l’espèce humaine se serait bien produit directement dans l’espèce humaine.

Si la lecture des études en cours montre que l’origine du Sars-CoV-2 reste à établir formellement, il apparaît que divers mécanismes, aussi bien évolutifs que suite à l’intervention technique de chercheurs, voire une combinaison de ces mécanismes, sont des hypothèses soutenables. Sachant que le vivant évolue en permanence et que l’Homme contribue à cette évolution, que les virus mutent très vite et se recombinent entre eux dans leurs hôtes, peut-on s’étonner de toute cette complexité attachée à l’origine du Sars-CoV-2 ? D’autant qu’il faut rajouter à cela les manipulations génétiques réalisées en laboratoire…

La science (fondamentale) ouvre des portes à la connaissance du monde, mais elle nous fait penser aussi au concept d’Alice et la Reine Rouge où Alice court dans un environnement en perpétuel mouvement18. Il faudrait toujours aller plus vite pour ne pas reculer. Ce que Jacques Testart tempère par un peu d’humilité scientifique : « Comme si chaque brèche ouverte dans l’immense ignorance autorisait la suffisance scientiste […] à nier qu’il reste d’innombrables inconnues dont une seule peut suffire à ruiner l’édifice technologique »19. Ainsi, renseigner l’état des connaissances dans certaines pandémies comme celle de la Covid apparaît pertinent d’autant plus que le législateur européen pourrait se pencher prochainement sur une éventuelle déréglementation des micro-organismes génétiquement modifiés, y incluant les virus.

  1. Sallard E, Halloy J, Casane D, van Helden J, Decroly É. « Retrouver les origines du SARS-CoV-2 dans les phylogénies de coronavirus [Tracing the origins of SARS-COV-2 in coronavirus phylogenies] ». Med Sci (Paris). 2020 Aug-Sep;36(8-9):783-796. French. doi: 10.1051/medsci/2020123. Epub 2020 Aug 10. PMID: 32773024. ↩︎
  2. Ibid.
    de Wit E, van Doremalen N, Falzarano D, Munster VJ. « SARS and MERS: recent insights into emerging coronaviruses ». Nat Rev Microbiol. 2016 Aug;14(8):523-34. doi: 10.1038/nrmicro.2016.81. Epub 2016 Jun 27. PMID: 27344959; PMCID: PMC7097822. ↩︎
  3. Sallard E, Halloy J, Casane D, van Helden J, Decroly É. « Retrouver les origines du SARS-CoV-2 dans les phylogénies de coronavirus [Tracing the origins of SARS-COV-2 in coronavirus phylogenies] ». Med Sci (Paris). 2020 Aug-Sep;36(8-9):783-796. French. doi: 10.1051/medsci/2020123. Epub 2020 Aug 10. PMID: 32773024. ↩︎
  4. Sallard E, Halloy J, Casane D, van Helden J, Decroly É. « Retrouver les origines du SARS-CoV-2 dans les phylogénies de coronavirus [Tracing the origins of SARS-COV-2 in coronavirus phylogenies] ». Med Sci (Paris). 2020 Aug-Sep;36(8-9):783-796. French. doi: 10.1051/medsci/2020123. Epub 2020 Aug 10. PMID: 32773024. ↩︎
  5. Olivier Leduc, « « Gain de fonction » chez les virus : des recherches en question », Inf’OGM, 5 mars 2024.
    Menachery VD et al., « SARS-like cluster of circulating bat coronaviruses shows potential for human emergence », Nat Med., 2015 Dec;21(12):1508-13. ↩︎
  6. Peacock, T.P., Goldhill, D.H., Zhou, J. et al. « The furin cleavage site in the SARS-CoV-2 spike protein is required for transmission in ferrets ». Nat Microbiol 6, 899–909 (2021). ↩︎
  7. Peter Daszak est président d’EcoHealth Alliance, une organisation à but « non lucratif » dont la mission est de protéger le monde des nouvelles pandémies. Zoologiste, il est devenu un acteur central sur la scène mondiale du Sars-CoV-2. ↩︎
  8. Sharon Lerner, Maia Hibbett, « Leaked Grant Proposal Details High-Risk Coronavirus Research », The Intercept, 23 septembre 2021. ↩︎
  9. En 2014, l’Institut Pasteur perdait 2 349 tubes contenant du virus du syndrome respiratoire aigu sévère (SRAS), au potentiel infectieux décrété néanmoins « nul ».
    « L’institut Pasteur perd des échantillons du virus du SRAS », Le Figaro, 14 avril 2014.
    Pour une rétrospective des épidémies/pandémies suite à des accidents de laboratoire : Yves Sciama, « Virologie : des accidents de laboratoires nombreux, des expériences de plus en plus dangereuses », Le Monde, 7 novembre 2022. ↩︎
  10. L’empreinte de l’endonucléase indique une origine synthétique du Sars-CoV-2.
    Valentin Bruttel, Alex Washburne, Antonius VanDongen, « Endonuclease fingerprint indicates a synthetic origin of SARS-CoV-2 », bioRxiv, 11 avril 2023. ↩︎
  11. Ibid. ↩︎
  12. En 2012, six mineurs sont tombés malades en pelletant du guano de chauve-souris dans une mine de la province du Yunnan, en Chine. Ces mineurs ont développé des symptômes très similaires au COVID-19 et trois d’entre eux sont morts. Des prélèvements de déjections de chauves-souris ont été réalisées dans la mine et analysés par l’institut de Virologie de Wuhan. Il s’agissait en fait
    du virus RaGT 13. Une théorie de l’origine du SRAS-CoV-2, appelée théorie du passage des mineurs de Mojiang, a été élaborée. Elle propose que le virus du SRAS-CoV-2 ait évolué dans l’un de ces mineurs à partir de virus RaGT 13 ou d’un virus très proche de celui-ci.
    Jonathan Latham, « A Proposed Origin for SARS-CoV-2 and the COVID-19 Pandemic », Independant Science New, 15 juillet 2020. ↩︎
  13. Ou, X., Xu, G., Li, P. et al. « Host susceptibility and structural and immunological insight of S proteins of two SARS-CoV-2 closely related bat coronaviruses ». Cell Discov 9, 78 (2023). ↩︎
  14. Lin Kang, Guijuan He, Amanda K. Sharp, Xiaofeng Wang, Anne M. Brown, Pawel Michalak, James Weger-Lucarelli, « A selective sweep in the Spike gene has driven SARS-CoV-2 human adaptation »,
    Cell, Volume 184, Issue 17, 2021, Pages 4392-4400.e4. ↩︎
  15. Ou, X., Xu, G., Li, P. et al. « Host susceptibility and structural and immunological insight of S proteins of two SARS-CoV-2 closely related bat coronaviruses ». Cell Discov 9, 78 (2023). ↩︎
  16. Les enzymes protéolytiques détruisent les protéines (la furine, par exemple, en est une). ↩︎
  17. Jonathan Latham, « The Future of the Lab Leak Theory », Independant Science New, 17 mars 2024. ↩︎
  18. Le concept de la Reine Rouge est tiré de la suite d’Alice au Pays des Merveilles, de Lewis Carroll, intitulée De l’Autre Côté du miroir. Dans l’ouvrage, Alice se lance dans une course effrénée avec la Reine de cœur. Mais plus elle court et… moins elle avance ! Alice s’en étonne, mais la Reine Rouge lui explique alors que c’est parce que son environnement évolue avec elle. En gros… plus elle court et moins elle avance car tout bouge avec elle. ↩︎
  19. Jacques Testart, « L’humain végétalisé », Libération, 14 octobre 2011. ↩︎
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