n°98 - mai / juin 2009Interview / débat contradictoire

L’AESA et l’évaluation des PGM dans l’Union européenne : points de vue divergents

Par Eric MEUNIER

Publié le 30/04/2009

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La récente actualité des PGM tourne en partie autour du travail de l’Autorité Européenne de Sécurité Alimentaire (AESA) (suite aux conclusions du Conseil « environnement » du 4 décembre 2008, cf. Inf’OGM n°96, UE – Evolution de l’encadrement des OGM : débat entre Nathalie Kosciusko-Morizet et Marco Contiero). Au centre de l’évaluation des PGM avant autorisation, son rôle théorique est de donner un avis scientifique sur les dossiers présentés. Mais ce travail n’échappe pas à la controverse qui anime le dossier des PGM. Nouvelle procédure d’évaluation, nouvelles études, relation avec les États membres : points de vue croisés sur cette clef de voûte du dossier PGM.

L’AESA : la théorie, par son directeur…

Inf’OGM – Quelle place occupe le comité OGM de l’AESA dans la procédure d’autorisation ?

Per Bergman, AESA – Au service de la communauté européenne, le travail de l’AESA sur le dossier des OGM consiste principalement à fournir une évaluation scientifique indépendante des risques pour les nouvelles demandes d’autorisation de commercialisation, et à développer des lignes directrices pour les pétitionnaires. Les bénéficiaires de ces conseils scientifiques sont les États membres de l’UE et la Commission européenne qui gère les autorisations d’OGM. L’AESA n’est pas impliquée dans la phase de décision et est une entité séparée travaillant à l’intérêt commun des États membres dans leur ensemble, restant indépendante de tout intérêt privé et national.

Inf’OGM – A quoi ressemblera demain la procédure d’évaluation des risques au vu des débats en cours ?

AESA – L’évaluation rigoureuse des risques est conduite par l’AESA en suivant strictement le document de ses lignes directrices. Afin de s’adapter aux avancées de la science, l’AESA met régulièrement à jour ce document. Pour garantir les meilleures bases possibles de l’évaluation des risques, l’AESA discute avec les États membres, la communauté scientifique et le public avant d’adopter et appliquer sa propre approche d’évaluation des risques. Un autre facteur important de cette approche est qu’elle respecte également les accords internationaux et la législation européenne.

Inf’OGM – Quelle est la position scientifique de l’AESA sur les études à long terme pour évaluer les potentiels impacts des OGM sur l’environnement et la santé ?

AESA – L’évaluation des potentiels effets à long terme est un des points fondamentaux du cadre réglementaire sur les OGM (Directive 2001/18 et règlement 1829/2003) et constitue donc un point focal de l’évaluation des risques conduite par les États membres et l’AESA. Les pétitionnaires doivent fournir des données appropriées avec leur demande pour permettre l’évaluation des potentiels effets négatifs des OGM sur la santé humaine et animale, et l’environnement.

Sur tous les aspects de l’évaluation des risques, l’AESA prend en considération les potentiels effets à long terme. Quelques exemples de ce qui a été récemment discuté avec certains États membres sont l’apparition de résistance chez les insectes cibles (lépidoptères), les effets potentiels sur les organismes non cibles et la toxicité. S’ils ne sont pas identifiés au cours de l’évaluation des risques environnementaux, les potentiels effets sur le long terme sur les écosystèmes peuvent être gérés par les autorités nationales par le biais des activités de surveillance post-commercialisation, qui sont obligatoires pour tout OGM. 

Inf’OGM – Concernant son moratoire, le gouvernement hongrois a récemment écrit une lettre aux États membres dans laquelle il expose ses sentiments suite aux discussions entre ses experts hongrois et les experts de l’AESA. Quel est votre point de vue sur le contenu de cette lettre ?

AESA – L’AESA a reçu un mandat clair de la Commission européenne pour évaluer l’ensemble des documents fournis par le ministre hongrois et justifiant son invocation de la clause de sauvegarde. L’AESA s’efforce de répondre à ce mandat le plus efficacement possible et en conséquence, donne aux États membres l’opportunité de fournir des explications supplémentaires sur les documents envoyés et publie un compte-rendu de réunion pour informer tous les États membres de ce qui a été discuté. Cependant, l’AESA colle à son mandat scientifique et travaille sur une base d’analyse des preuves scientifiques disponibles, liées à l’objet de son mandat.

… et la pratique, par les Amis de la Terre.

Inf’OGM – Quelle place occupe le comité OGM de l’AESA dans la procédure d’autorisation ?

Helen Holder, ATE – On observe une différence entre le fonctionnement théorique de l’AESA et la réalité. Cette organisme est un maillon de la chaîne qui devrait contribuer à la fourniture de données et de preuves permettant une prise de décision adéquate et une bonne gestion des risques liés aux PGM. Le rôle de base de l’AESA est normalement de fournir un avis sur les possibles impacts sur l’environnement et la santé des plantes GM, avis que le gestionnaire des risques – en l’occurrence la Commission européenne – peut utiliser pour prendre sa décision.

Inf’OGM – A quoi ressemblera demain la procédure d’évaluation des risques au vu des débats en cours ?

ATE – Dans la pratique, le panel OGM [de l’AESA] n’a pas convenablement rempli son rôle depuis sa création il y a sept ans. Ces manquements à respecter les obligations légales consistent :

- à n’avoir jamais demandé aux pétitionnaires de soumettre leurs données sur les effets à long terme des produits GM et à avoir échoué à évaluer ces effets sur le long terme ;

- à n’avoir pas réussi à intégrer les opinions scientifiques divergentes dans ses avis et à n’avoir jamais reconnu de domaines scientifiques comportant des incertitudes ;

- à avoir, de manière répétée, ignoré les questions et inquiétudes d’États membres.

La qualité de son travail doit également être améliorée comme le dossier de la pomme de terre Amflora de BASF l’a montré, dossier pour lequel l’AESA a ignoré une position clef de l’OMS et a été incapable de classer les risques par catégorie comme l’exigent ses propres règles.

Enfin, depuis sa création, de sérieuses questions sont apparues quant à son indépendance (ou sa dépendance) vis-à-vis des entreprises de biotechnologie. Le tout premier panel OGM se composait de scientifiques dont certains avaient participé à des activités de promotion de Monsanto, Syngenta et d’autres entreprises, et les avis adoptés contenaient des copiés-collés de passages de textes émis par les entreprises. Il n’est donc pas surprenant que le panel OGM ait considéré chaque PGM sur laquelle il s’est penché comme étant sans risque pour la santé et ait émis un avis favorable à sa commercialisation.

Ce travail de mauvaise qualité a été permis notamment par l’échec de la Commission européenne en tant que gestionnaire des risques. La seule exception notable – la proposition par le Commissaire pour l’Environnement que deux plantes « pesticides » (Bt) ne soient pas autorisées à la culture – fut écartée par l’opinion pro OGM dominante au sein de la Commission européenne dont le principal souci est que l’AESA ne soit pas contre-dite. Près de 40 scientifiques européens avaient écrit pour signifier leur soutien à la proposition de M. Dimas (le Commissaire pour l’environnement) mais sans résultats probants.

La combinaison de l’approche adoptée par le panel OGM et de l’échec de la Commission européenne en tant que gestionnaire du risque a débouché sur le fait que les avis du panel OGM sont de facto considérés comme des décisions plutôt que comme avis.

Inf’OGM – Quelle est la position scientifique de l’AESA sur les études à long terme pour évaluer les potentiels impacts des OGM sur l’environnement et la santé ?

ATE – Les années passant, la pression s’est accrue, souvent du fait des organisations environnementales, comme souvent. Les 27 ministres européens de l’Environnement ont publiquement déclaré en décembre 2008 que la législation européenne n’est pas correctement appliquée, en particulier pour ce qui est des impacts sur le long terme pour la santé et l’environnement, et les impacts des PGM « pesticides » sur les organismes non cibles, deux domaines relevant du mandat de l’AESA. Les ministres ont également réclamé d’autres améliorations ou applications correctes de la législation européenne. Ils ont soutenu la demande de la Commission européenne à l’AESA de revoir ses lignes directrices sur l’évaluation du risque, et que les modifications dans l’utilisation des herbicides [générées par l’adoption de PGM tolérantes à tel ou tel herbicide] soient évaluées quant à de possibles effets négatifs.

C’est une preuve explicite que le panel OGM a échoué jusqu’à maintenant et que l’AESA doit maintenant soit s’améliorer substantiellement et changer, soit être remplacée par une structure garantissant l’évaluation indépendante des PGM pour la sécurité des aliments en Europe, l’environnement et l’agriculture. Que ces changements puissent avoir lieu doit encore être établi et en attendant, l’AESA continue, elle, à rendre des avis favorables sur les PGM.



Inf’OGM – Concernant son moratoire, le gouvernement hongrois a récemment écrit une lettre aux États membres dans laquelle il expose ses sentiments suite aux discussions entre ses experts hongrois et les experts de l’AESA. Quel est votre point de vue sur le contenu de cette lettre ?


ATE – La lettre hongroise reflète certains des problèmes majeurs concernant l’AESA et le mécontentement de certains États membres quant à une analyse scientifique apparemment de mauvaise qualité mais également quant à un comportement obstructif et franchement arrogant. Je me rappelle l’AESA, il y a quelques années, choisissant de publier ses avis sur des moratoires nationaux le jour même où le Conseil européen des ministres de l’Environnement annonçait ses inquiétudes quant à la manière dont l’AESA travaillait. Ce qui semble être un mode d’action très politique pour une Autorité supposément neutre et indépendante.

Entretiens réalisés par Eric Meunier, relus par les intéressés.

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