n°167 - avril / mai 2022

Étiquetage des OGM : lacunaire et menacé

Par Charlotte KRINKE

Publié le 05/04/2022

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La réglementation de l’Union européenne (UE) applicable aux OGM passe pour être l’une des plus strictes au monde. Elle prévoit ainsi une obligation d’étiquetage, composante essentielle du droit à l’information du consommateur et traduction concrète de l’obligation de transparence pesant sur le professionnel. Mais cette obligation d’étiquetage comporte des zones d’ombre. Elle est par ailleurs prétendue d’application plus complexe avec les nouvelles techniques de modification génétique non transgéniques.

Les OGM n’ont, de manière générale, pas bonne presse auprès des consommateurs européens. Aussi, le secteur alimentaire est-il assez réticent à les utiliser. Selon une étude de la Commission européenne de 2016, il y a peu de denrées alimentaires contenant des OGM disponibles sur le marché de l’UE (une trentaine de produits en 2010). Il s’agit pour l’essentiel de produits transformés importés, principalement en provenance des États-Unis (pâtes à tartiner, soupes, etc.), qui contiennent par exemple de la lécithine, de l’huile ou de la farine produits à partir de soja génétiquement modifié.

Rassurez-vous toutefois car, en principe, vous ne mangez pas d’OGM sans le savoir. En effet, la réglementation européenne prévoit que les denrées alimentaires qui « a) contiennent des OGM ou consistent en de tels organismes, ou b) sont produites à partir d’OGM ou contiennent des ingrédients produits à partir de tels organismes » doivent être étiquetées. Cet étiquetage est obligatoire lorsque la présence d’OGM dans un produit est volontaire, et ce quelle que soit la quantité de l’OGM dans le produit. L’étiquetage est également obligatoire quand la présence d’OGM n’est pas volontaire, c’est-à-dire « fortuite ou techniquement inévitable ». Dans ce cas, le produit doit être étiqueté si la teneur de l’OGM (lequel est forcément autorisé dans l’UE) est supérieure à 0,9 % par ingrédient. Prenons par exemple un aliment à base de maïs et tomate. Si 100 g de cet aliment contiennent 10 g de maïs, dont 0,5 g de maïs GM, et 90 g de tomate, l’étiquetage sera obligatoire. En effet, la teneur en maïs génétiquement modifié doit être calculée par rapport aux 10 g de maïs (et non aux 100 g totaux de l’aliment). Cette teneur représente donc 0,5 g/10 g, soit 5 %.

Dans l’Union européenne, les OGM doivent être étiquetés même si l’ADN ou la protéine résultant de la modification génétique n’est pas détectable dans le produit final. Par conséquent, des aliments comme les huiles de cuisine ou le sucre doivent être étiquetés s’ils sont produits à partir de soja, colza, betteraves… génétiquement modifiés. Le législateur européen a en effet considéré que cette exigence «  répond aux souhaits exprimés dans de nombreuses enquêtes par une grande majorité de consommateurs, facilite un choix en connaissance de cause et prévient toute possibilité d’induire les consommateurs en erreur en ce qui concerne la méthode de fabrication ou de production » [1]. Il s’agit-là d’une différence de taille de la réglementation européenne avec, par exemple, celle des États-Unis où les aliments dans lesquels le matériel génétiquement modifié n’est pas détectable ne sont pas considérés comme des aliments génétiquement modifiés et ne sont donc pas soumis à l’obligation d’étiquetage.

Alors, tout va pour le mieux dans le meilleur des mondes possibles ? Pas tout à fait car, dans les faits, il y a parfois des manquements à l’obligation d’étiquetage [2]. Surtout, la réglementation européenne, bien que présentée comme l’une des plus strictes au monde, prévoit des exceptions non anodines à l’obligation d’étiquetage.

Un étiquetage à 90 % imparfait

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L’opacité est de mise lorsqu’on pousse la porte des restaurants, d’entreprise ou non, et des cantines scolaires. Rien n’oblige en effet ces établissements à préciser si des OGM sont au menu. Pourtant, selon l’Anses, « 40 % des adultes et 75 % des enfants et adolescents fréquentent les restaurants d’entreprise et les restaurants scolaires au moins une fois par semaine. Après les repas pris au domicile, la restauration collective est celle qui contribue en moyenne le plus aux consommations alimentaires et apports nutritionnels des individus : environ 10 % chez les adultes, entre 15 et 20 % chez les enfants et adolescents » [3]. Le mouvement pour des cantines scolaires bio prend alors tout son sens.

Ce qui ouvre néanmoins la plus grande brèche dans l’obligation d’étiquetage est sans aucun doute la subtile distinction entre un aliment produit « à partir d’OGM » et un aliment produit « à l’aide d’OGM ». Dans le premier cas, les aliments sont soumis à l’obligation d’étiquetage. Dans le second, ils ne le sont pas [4]. Micro-organismes (voir encadré ci-dessous) et enzymes génétiquement modifiés [5] utilisés dans la fabrication du pain [6] ou du fromage échappent donc à l’obligation d’étiquetage.

Micro-organismes génétiquement modifiés : étiquetage évité grâce à une ruse sémantique


Comme tout OGM, les micro-organismes génétiquement modifiés (MGM) et les produits obtenus à partir de ces MGM doivent être évalués, autorisés (quel que soit leur usage) et étiquetés (s’ils sont destinés à l’alimentation humaine ou animale). Mais, en 2004, cette transparence a été revue à la baisse. Pour des raisons essentiellement commerciales, les États membres de l’Union européenne ont décidé que les molécules produites par des MGM ne seraient plus soumises à l’obligation d’étiquetage [7]. Pour ce faire, ils se sont appuyés sur la distinction opérée par la réglementation européenne entre un aliment « produit à partir d’OGM » et « à l’aide d’OGM ». Et ils ont estimé que les aliments produits par des MGM « doivent être considérés comme produits à l’aide de MGM plutôt que à partir de MGM ». Une subtile différence d’interprétation, validée par la Commission européenne en 2006, mais lourde de conséquences. À présent, des additifs alimentaires, tels que des vitamines ou des arômes par exemple, produits par des bactéries ou levures génétiquement modifiées, peuvent être ajoutés à des produits alimentaires commercialisés… sans être étiquetés : le consommateur n’en sera donc pas informé…

La distinction « à partir de » et « à l’aide de » conduit aussi à exclure de l’obligation d’étiquetage les produits issus d’animaux nourris aux OGM, comme le lait, la viande, le poisson, les œufs… Une exclusion contestable à plusieurs points de vue. D’une part, parce qu’il s’agit là de produits consommés au quotidien. D’autre part, parce que la plupart des OGM commercialisés sur le marché européen (importés) sont précisément destinés à l’alimentation animale, essentiellement du soja et du maïs. Plus de la moitié du soja importé par l’Union européenne provient du Brésil et d’Argentine, où plus de 95 % du soja cultivé est génétiquement modifié. Or, 87 % de ce soja importé est destiné à l’alimentation animale. La France importe pour sa part, chaque année, entre 3,5 et 4 millions de tonnes de soja, dont 90 % est génétiquement modifié. Ces importations contribuent à la déforestation dans les pays producteurs, comme l’ont d’ailleurs dénoncé Greenpeace [8] et Inf’OGM… L’absence d’étiquetage contribue de fait à masquer les effets collatéraux de la culture d’OGM dans les pays tiers et à empêcher les citoyens de prendre en compte des critères environnementaux dans leurs achats. Certes, des filières européennes de soja se mettent progressivement en place. La production de soja non génétiquement modifié dans la région du Danube a par exemple connu un boom en 2021 [9]. Mais, du côté de la Commission européenne, ces critères environnementaux ne sont pas pris en compte dans les décisions d’autorisation relatives aux OGM. 

Des produits animaux « sans OGM »


Pour combler l’absence d’étiquetage des produits issus d’animaux nourris aux OGM, il existe en France un étiquetage volontaire « sans OGM » [10]. Suivant les produits, une durée minimale d’alimentation sans OGM doit être respectée. Par exemple, pour la volaille de chair, l’alimentation doit être sans OGM durant toute la durée de l’élevage à compter du stade poussin de trois jours. Pour le lait, cette durée est d’au moins six mois avant commercialisation. Il faut aussi noter que certains labels interdisent les OGM, y compris dans l’alimentation animale (labels Agriculture biologique, Demeter, Nature&Progrès, certaines appellations d’origine et certains produits Label Rouge…), mais leur étiquette ne porte pas toujours la mention « sans OGM ».

Lorsque les OGM sont utilisés à des fins non alimentaires, aucun étiquetage n’informe le consommateur final de leur présence. Ces fins non alimentaires concernent notamment les filières textile, florale ou agrocarburant. Le coton transgénique, utilisé notamment dans l’industrie textile, représentait, en 2019, près de 79 % du coton cultivé au niveau mondial. Dans l’UE, six variétés d’œillets génétiquement modifiées sont autorisées à des fins ornementales (pas pour la culture ni la consommation). Quant aux agrocarburants, la France importe notamment du Canada du colza génétiquement modifié pour la production du E85, E15 et diester…

Il faut donc être un consommateur averti pour acheter en toute connaissance de cause. Et encore… puisque, dans les faits, seuls les OGM transgéniques sont étiquetés. Les exceptions prévues dans la réglementation OGM en tant que telle, combinées au développement des nouvelles techniques de modification génétique, mettent l’obligation d’étiquetage sous pression.

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Crédits : Christophe Noisette, L’aire de rien

L’étiquetage menacé par les nouvelles techniques ?

Le droit européen considère que la mutagénèse, comme la transgenèse, produit des OGM. Mais, dans certaines conditions, les OGM issus de mutagénèse sont exclus du champ d’application de la réglementation et donc des obligations d’étiquetage. En 2018, la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE) a précisé l’étendue de cette exemption et a jugé que seule la mutagénèse principalement développée avant 2001, date d’adoption de la directive OGM, et bénéficiant d’un historique d’utilisation sans risque, peut en bénéficier.

En dépit de cette clarification et malgré une nouvelle procédure en cours devant la CJUE, la Commission européenne a lancé une initiative pour proposer un cadre réglementaire sur mesure pour les produits issus de mutagénèse dirigée (et de cisgénèse). Le contenu précis de la proposition législative de la Commission n’est pas encore connu mais l’exécutif européen se veut rassurant. Il affirme qu’en matière d’étiquetage et de traçabilité, « il faut comprendre que la détection n’est pas possible pour tous les produits mais cela ne veut pas dire que la transparence est impossible » [11]. Quant aux ministres de l’Agriculture et de l’Environnement des États membres, ils affichent leur souhait que l’information des consommateurs soit assurée. Les consommateurs sortiront-ils gagnants de cette nouvelle réglementation annoncée alors que des variétés de colza et tournesol rendues tolérantes aux herbicides par mutagénèse sont déjà cultivées en France et ailleurs en Europe ? Affaire à suivre…

[1Considérant 21 du Règlement (UE) n°1829/2003. Pour répondre à cette exigence, l’absence de méthodes d’analyse permettant de vérifier si un ingrédient est, ou non, produit à partir d’OGM a été compensée par la mise en place d’un système de traçabilité documentaire.

[4Lors de l’adoption du règlement européen relatif à l’étiquetage des OGM, l’exclusion des aliments produits «  à l’aide » d’OGM de l’obligation d’étiquetage ne faisait pas l’unanimité. Ainsi, le Comité économique et social avait considéré que les aliments produits «  à l’aide » d’OGM devaient être soumis à l’obligation d’étiquetage afin de permettre aux « consommateurs de prendre toute la mesure des applications du génie génétique à chaque maillon de la chaîne de production alimentaire et d’effectuer des choix plus éclairés ». Avis du Comité économique et social sur la Proposition de règlement du Parlement européen et du Conseil concernant les denrées alimentaires et les aliments pour animaux génétiquement modifiés, 20 mai 2002.

[6Marc Dewalque, « Du pain aux enzymes OGM », Inf’OGM, 3 mars 2017

[8Greenpeace, Mordue de viande, Juin 2019.

[9VLOG, Europäische Donau-Soja boomt, Janvier 2022.

[11Propos tenus par Mme Irina Sacristan Sanchez, chef d’unité « Biotechnologie » à la direction générale de la Santé de la Commission européenne, lors de la réunion de la commission agriculture et développement rural du Parlement européen du 30 novembre 2021.

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