Brevet et évolution du COV
Brevet et Certificat d’Obtention Végétale (COV) sont deux régimes de propriété intellectuelle pouvant s’appliquer aux mêmes plantes. Si le brevet peut concerner les informations génétiques ou matières biologiques dans une plante, le COV s’intéresse surtout aux caractères visibles de la totalité de la plante. Mais des projets donnant plus de place à certains descripteurs génétiques pour obtenir un COV rapprochent ce dernier du brevet, sorte de système hybride pour le mieux-être des semenciers, mais pas des paysans.
Le COV est un droit de propriété intellectuelle accordé sur une variété végétale selon quatre critères : distinction, homogénéité et stabilité de ses caractères, ainsi que la nouveauté par rapport aux plantes connues. Ces critères, comme analysé par H. Tordjman en 2008, ont été historiquement précédé d’une définition artificielle préalable de la semence en tant qu’objet afin d’en permettre la « marchandisation »i. L’autorisation de commercialisation d’une variété est, elle, délivrée via l’inscription au catalogue selon les critères de distinction, homogénéité et stabilité, ainsi qu’un critère de nouveauté uniquement au regard des autres variétés déjà inscrites.
Brevet et COV : des différences majeures
Le brevet est, lui, accordé à un procédé technique ou un produit contenant une matière biologique ou une information génétique. Si la portée du COV exclut les procédés d’obtention, celle du brevet exclut les variétés dans leur entièreté phénotypique et génotypique.
Le COV se distingue aussi par « l’exception des semences de ferme » qui permet aux agriculteurs, pour certaines espèces, de ressemer les semences issues d’une variété protégée contre une « juste rémunération » de l’obtenteur (les petits agriculteurs en sont dispensés). Seconde exception, celle des sélectionneurs, qui leur permet d’utiliser librement une variété protégée par un COV à des fins de recherche de nouvelles variétés. Côté brevet, des exceptions peuvent être prévues au niveau national. En France, des accords sectoriels ou arrangements particuliers peuvent permettre la réutilisation, sous conditions strictes, de certaines semences brevetées pour certaines espèces et dans une limite de production annuelle. L’exception du sélectionneur est aussi prévue par le nouveau brevet unitaire européen, mais pas le « privilège du paysan »…
Ces différences se retrouvent dans les manières dont sont accordés ces droits (voir p.3). Pour les techniques de modification génétique, le brevet est accordé sur description des séquences génétiques ou matières biologiques modifiées. Le COV est lui accordé sur description des caractères visibles et/ou mesurables uniquement sur plante entière.
COV : une description avant tout visuelle
Un COV se demande en fournissant les éléments permettant de caractériser une variété. En France, le Geves vérifie ce dossier en étudiant au champ les caractères visibles et/ou mesurables d’une variété (phénotype). Les analyses génétiques (génotype) ne sont pas utilisées pour ces essais de vérification. Pour le Geves, elles seraient même problématiques, car une description moléculaire ne renseigne pas l’aspect d’une variété quand elle est cultivée, surtout que « deux profils génétiques distincts peuvent […] s’avérer identiques sur le terrain, ce qui pourrait apporter de la confusion au niveau commercial »ii. Mais il utilise ces analyses génétiques pour contrôler des lots de semences. En détectant la présence ou l’absence de marqueurs moléculaires, elles lui permettent de ne pas semer les lots contrôlés.
De son côté, l’Union internationale pour les obtentions végétales (UPOV) accepte pour certaines espèces la substitution de la description de certains caractères phénotypiques par un marqueur moléculaire censé lui correspondre. Mais la totalité des caractères phénotypiques décrivant une variété n’est jamais remplacée par ces marqueurs.
Qu’est-ce qu’un marqueur moléculaire ?
Les marqueurs moléculaires sont de courtes séquences génétiques pouvant servir de repère. À l’instar de panneaux indicateurs le long d’une route, ils signalent la présence de séquences pouvant conférer tel ou tel caractère. Ils peuvent, selon certains, être utilisés pour obtenir une présomption d’identification d’une variété végétale, facilitant la traçabilité de son utilisation jusqu’à l’assiette du consommateur. Une liste de plusieurs de ces séquences permet de constituer une présomption plus ou moins sûre de l’ « empreinte génétique » de chaque variété. En faisant des analyses génétiques à la recherche de tels marqueurs, il est possible de classer des plantes par groupe si ces marqueurs sont présents de manière homogène et stable au sein de plusieurs plantes étudiées. Si, en plus, ces marqueurs sont retrouvés dans un groupe de plantes mais pas dans un autre, ils permettent d’identifier un certain nombre de caractères d’une variété.
Pour caractériser une variété sur le plan génétique, le travail consisterait à dresser une liste des marqueurs typiques de cette variété, comme une matrice de référence. Lorsqu’une plante est analysée, les résultats de présence ou absence des différents marqueurs donneraient alors le nom de la variété à laquelle appartient la plante. Mais on n’y est pas encore.
Des analyses génétiques au service du COV ?
Des analyses génétiques sont envisagées comme outils de description et de vérification de trois des quatre critères qui rentrent dans le cahier des charges de l’obtention d’un COV : la distinction, l’homogénéité et la stabilité. Ainsi, au sein de l’UPOV, un « groupe de travail sur les techniques biochimiques et moléculaires » a pour objectif d’établir des lignes directrices permettant de définir le profil génétique des variétés. Il ambitionne donc de construire une méthodologie d’analyse commune et une base de données de marqueurs moléculaires qui pourront servir à la description génétique et à l’identification d’une variétéiii.
Un document de l’UPOV mis à jour récemment fournit « des indications sur l’utilisation possible des marqueurs biochimiques et moléculaires dans l’examen de la distinction, de l’homogénéité et de la stabilité (DHS) »iv. En France, le Geves a eu, en 2023, son premier atelier sur cette approche.
Le COV va-t-il, demain, être délivré sur base de caractères génétiques et non plus de caractères visibles ou mesurables sur la plante entière ? Comme l’écrit le Geves, en France, la volonté reste de conserver une place dominante à la description phénotypique. En 2017, il était ainsi noté que « la caractérisation des variétés par la prise en compte des phénotypes doit rester le point fondamental pour établir la différence entre deux variétés »v. Ce besoin de confirmer la place centrale d’une caractérisation phénotypique montre que la remise en question de cette place est en cours. Mais comment des petits semenciers pourraient fournir de telles descriptions génétiques ? Sans les compétences, le matériel et les ressources financières, cela parait difficile. Un COV obtenu par description génotypique serait alors réservé aux seuls acteurs capables de produire ces descriptions, fermant l’accès au COV aux petits semenciers et renforçant la concentration du secteur.
Sortir du champ les descriptions des variétés à protéger éloigne les paysannes et paysans du monde de la propriété intellectuelle. Ces acteurs identifient les semences qu’ils achètent sur leurs caractères phénotypiques d’intérêt pour la culture, pas leurs génomes. Or, les marqueurs moléculaires pourraient être utilisés par les semenciers pour contrôler les semences des paysans justement. En Europe, les semences de ferme sous COV sont d’ailleurs l’objet d’une offensive pour obliger ceux qui les reproduisent à payer les royalties (ce que la majorité ne fait pas, profitant de la difficulté de traçabilité des caractères phénotypiques). La Commission européenne propose d’ouvrir la commercialisation de semences au « matériel hétérogène » (non soumis aux critères DHS) non biologique, qui pourra donc contenir des éléments brevetés. Ce sont, par exemple, les semences paysannes. Ces semences pourraient faire l’objet de revendications de brevets liés aux marqueurs moléculaires. Une proposition qui signerait sûrement la mort de ce matériel, dont l’intérêt est sa diversité génétique qui lui permet de facilement s’adapter aux diverses conditions de culture dans lesquelles il est cultivé lors des multiplications successives à partir des récoltes locales. Une capacité cruciale à l’heure des bouleversements écologiques et climatiques que nous connaissons.
i « La construction d’une marchandise : le cas des semences », Hélène Tordjman, Annales. Histoire, Sciences Sociales 2008/6, pp 1341-1368.
ii Geves, question « L’étude du génome peut-elle remplacer l’étude DHS au champ ? ».
iii UPOV, « Review of document upov/inf/17 ‘Guidelines for dna-profiling: molecular marker selection and database construction’ », 4 septembre 2020.
ivUPOV, « Utilisation possibles des marqueurs moléculaires dans l’examen de la distinction de l’homogénéité de de la stabilité », 20 octobre 2011.