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La Hongrie tente de faire bouger les États membres
Après un an de discussions à marche forcée, menées par l’Espagne puis la Belgique, les États membres de l’Union européenne semblent moins discuter de la proposition de déréglementation des OGM. La Hongrie peine aujourd’hui à animer ces discussions. La cause est probablement que ce pays a marqué le début de sa présidence en affichant une position hostile à cette déréglementation.
Depuis le 1er juillet 2024, la Hongrie assure la présidence de l’Union européenne (UE) pour six mois. Alors que l’Espagne et la Belgique, au cours de leurs présidences respectives, ont tour à tour tenté d’arracher un consensus des États membres pour déréglementer les OGM, la Hongrie leur a proposé de recentrer les débats sur des points qu’elle estime importants. Dès le 3 juillet, elle adressait donc un courrier à tous les États de l’Union européenne. Les réponses furent reçues au cours de l’été.
Une déréglementation non consensuelle
La proposition de déréglementation sur laquelle les États membres de l’UE travaille a été faite par la Commission européenne en juillet 2023. Les discussions ont eu lieu sous présidence espagnole, en 2023, puis belge, au premier semestre 2024, et maintenant hongroise. La déréglementation actuellement discutée repose sur une approche qui, de facto, modifie radicalement la gestion des OGM en Europe.
Dans les grandes lignes, pour la Commission européenne, les OGM obtenus par de nouvelles techniques de modification génétique pourraient obtenir un statut dit « NTG 1 » ou « NTG 2 », selon le type et la taille de la modification génétique revendiquée. La Commission propose de considérer que les OGM dits « NTG 1 » contiendraient des modifications génétiques « équivalentes » à des modifications génétiques pouvant apparaître spontanément dans la nature ou par le biais de méthodes d’amélioration variétale conventionnelle. De cette approche découle que ces OGM/NTG1 ne feraient l’objet d’aucune évaluation des risques. Aucun étiquetage (sauf pour les lots de semences) ni méthodes de traçabilité ne seraient requis, la Commission affirmant que ces modifications génétiques et les OGM qui les contiennent ne seraient pas distinguables de ce qui peut apparaître naturellement ou conventionnellement. Sur le plan procédural, le statut NTG1 pourrait être obtenu via un État membre dans le cadre d’une demande d’essai en champs ou au niveau européen dans le cadre d’une demande d’autorisation de commercialisation. Autre point remarquable : les États membres perdraient leur capacité à interdire nationalement tel ou tel OGM/NTG.
Malgré la marche forcée de discussions et négociations imposée par l’Espagne puis la Belgiquei, qui espéraient décrocher un mandat du Conseil pour négocier avec la Commission et le Parlement, aucun accord politique ne fut trouvé, la majorité qualifiée requise n’étant pas atteignable. La Hongrie a donc hérité du dossier à un stade ou les discussions ont encore lieu.
La Hongrie attaque les fondements de la déréglementation proposée
Deux jours après sa prise de fonction en tant que présidente du Conseil de l’UE, la Hongrie a donc adressé début juillet un document aux États membres de l’UEii. Dès les premières lignes, ce pays affirme estimer que « plus de discussions sont nécessaires sur différents points du projet, le temps n’ayant pas été suffisant pour en discuter convenablement et trouver une solution appropriée ».
La Hongrie, soutenue par l’Autriche, la Croatie, la Grèce, la Slovaquie et la Roumanieiii, souligne par exemple une absence de bases scientifiques justifiant la proposition faite par la Commission européenne de déréglementer des OGM en fonction du seul nombre de modifications génétiques opérées, de leur taille ou de leur type. Sur les informations à fournir pour obtenir le statut NTG1, la Hongrie et d’autres pays doutent qu’elles soient suffisantes pour évaluer si une plante OGM à déréglementer est effectivement équivalente à un plante conventionnelle, comme l’affirme la Commission. La Hongrie souhaite donc que les États discutent des critères à établir pour affirmer une telle équivalence. Un groupe de neuf pays (Belgique, Finlande, Lettonie, Espagne, Suède, République tchèque, Danemark, Lituanie et Pays-Bas) ont néanmoins d’ores et déjà répondu considérer une telle discussion inutile, affirmant que le consensus est déjà atteint et que cette approche serait scientifiquement justifiée.
Une évaluation des risques plus que lacunaire
« Les considérations environnementales au regard des produits NTG de la catégorie 1 sont entièrement absents de la proposition ». Ce point, déjà soulevé par plusieurs acteurs lors des débats, est donc repris par la Hongrie, qui souligne que l’objectif affiché par la Commission est pourtant d’assurer un haut niveau de protection de la santé humaine et animale et de l’environnement. D’autant qu’une telle approche ne respecte pas le principe de précaution selon la Hongrie (avec l’appui autrichien, croate, grec, slovaque et roumain), qui rappelle une décision de la Cour de Justice de l’UE en 2018, qui rappelait alors la nécessité de disposer d’une historique d’utilisation sans risque pour exempter des produits de toute évaluation des risques. Une situation qui, par définition, n’existe pas pour les produits obtenus par les nouvelles techniques de modification génétique. La Hongrie interroge donc les États sur les possibilités d’une évaluation des risques simplifiée, mais existante. Belgique, Finlande, Lettonie, Espagne, Suède, République tchèque, Danemark, Lituanie et Pays-Bas ont refusé.
Parmi les autres points à discuter, la Hongrie interroge les États sur le fait que la proposition de la Commission européenne ne concerne pas seulement les plantes cultivées mais également les plantes sauvages, de même que les algues, arbres ou encore les arbustes/buissons. Des plantes qui, si elles devaient faire l’objet de modification génétique par les nouvelles techniques, poseront nécessairement plus de questions quant à leurs impacts sur l’environnement et les systèmes écologiques où elles se trouvent. Autriche, Grèce, Slovaquie, Croatie, Roumanie et Lituanie sont d’accord avec cette proposition. Mais Belgique, Finlande, Lettonie, Espagne, Suède, République tchèque, Danemark et Pays-Bas refusent à nouveau.
Informer ou pas les consommateurs ?
L’absence d’étiquetage, hormis pour les lots de semences, proposé par la Commission européenne est également source de problème selon la Hongrie. Une telle absence d’étiquetage mettrait le secteur bio en danger. Pour résoudre ce problème, la Hongrie sonde les États sur deux options. La première serait de réinstaurer un étiquetage complet de tous les produits de la chaîne agroalimentaire. La seconde serait d’autoriser les produits OGM obtenus par des NTG dans le bio, au risque d’aller contre les objectifs énoncés dans la stratégie de la Commission européenne « De la ferme à la fourchette » et contre le cahier des charges du secteur bio. Liée à la question de l’étiquetage – mais pas seulement – la Hongrie interroge également les États sur la question des méthodes de détection, identification et traçabilité des produits obtenus par des NTG. Elle souhaite connaître leur opinion sur sa proposition de conduire un tour d’horizon des méthodes existantes et à venir, ainsi que d’attendre le résultat de deux projets européens cofinancés par la Commission européenne : les projets Detective et Darwin. Autriche, Grèce, Croatie, Slovaquie et Roumanie sont favorables à un étiquetage de tous les produits le long de la chaîne de transformation, alors que Belgique, Finlande, Lettonie, Espagne, Suède, République tchèque, Danemark, Lituanie et Pays-Bas refusent, affirmant simplement que la traçabilité n’est pas possible. Le Danemark a profité de sa réponse à la Hongrie pour rappeler qu’il souhaite que les OGM/NTG soient autorisés en bio.
Déréglementer les OGM, une barrière au commerce ?
Sur le plan purement commercial, la Hongrie reprend dans son document une problématique préalablement soulevée par la Roumanie. Sur base de la proposition de la Commission européenne, les OGM obtenus par de nouvelles techniques seraient déréglementés car considérés équivalents à des produits conventionnels. Mais une telle politique n’étant pas le fait de tous les pays qui sont des partenaires commerciaux d’États membres de l’Union européenne, une telle déréglementation constituerait une barrière commerciale de fait, puisque les exportations vers ces pays ne pourraient plus être garanties non-OGM. La Hongrie invite donc les États à sonder leurs partenaires commerciaux et remonter les informations afin que le Conseil de l’UE puisse évaluer la situation. Ce constat et cette proposition ont été soutenus par l’Autriche, la Grèce, la Croatie, la Roumanie et la Slovaquie, alors que les Pays-Bas, l’Espagne, la Lituanie, la Finlande, le Danemark, la Suède et la République tchèque s’y sont opposés.
Risque de contradiction avec des accords internationaux
Parmi les points de discussion soulevés, un point concerne l’adéquation entre la déréglementation proposée et la Convention sur la Diversité Biologique, signée par l’Union européenne et plusieurs de ses États membres. Cette convention encadre notamment, par le biais de protocoles, la commercialisation d’organismes vivants modifiés. La Hongrie souligne que déréglementer les OGM risque de mettre l’UE en contradiction avec cette convention internationale qui, puisque signée, s’impose pourtant à l’UE et ses États membres. Elle propose donc qu’une clarification légale soit apportée avant d’aller plus en avant.
Cette analyse a été soutenue par les cinq pays que sont la Croatie, l’Autriche, la Grèce, la Slovaquie et la Roumanie. Les neuf autres pays ayant répondu ont signifié leur désaccord, arguant simplement que les discussions ont déjà eu lieu au sein du Conseil de l’UE et qu’il n’y aurait pas de litige avec la Convention sur la Diversité Biologique.
La France et l’Allemagne ne répondent pas
Comme indiqué dans sa réponse, l’Allemagne s’est dit dans l’incapacité de répondre du fait de divergences au niveau national. Ce pays a donc saisi l’occasion de la proposition hongroise pour rappeler des questions posées notamment à la Commission européenne et, manifestement, toujours sans réponses. De son côté, la France, qui avait cet été un gouvernement démissionnaire ne travaillant que sur les « affaires courantes », n’a tout simplement pas adressé de réponse à la Hongrie.
La question du brevet était, jusqu’au mois de juillet 2024, la question majeure bloquant une position de consensus au sein du Conseil de l’Union européenne. Étonnamment, cette question est peu présente dans les réponses reçues par la Hongrie. Seuls le Danemark, la Croatie, les Pays-Bas et la Roumanie l’ont abordé pour rappeler qu’une solution doit être trouvée. Surtout, la question est de savoir si, à ce jour, ces discussions vont continuer sous la présidence hongroise. Une réunion initialement prévue le 10 septembre a finalement été annulée. Selon l’agenda européen, la prochaine réunion du groupe de travail sur les OGM est programmée le 19 novembre. La Hongrie sera alors à un mois et demi de la fin de sa présidence avant que la Pologne, également opposée à la déréglementation, ne prenne le relais. Puis, viendra le Danemark…
iVoir notamment le bilan de la présidence espagnole fait par Inf’OGM :
Eric MEUNIER, « Espagne et OGM/NTG : bilan d’un raté politique », Inf’OGM, 18 janvier 2024.
iiConseil de l’UE, « Regulation on New Genomic Techniques (NGT) – Presidency non-paper on the main issues », 3 juillet 2024.
iiiConseil de l’UE, « Regulation on new genomic techniques (NGT) – comments from Austria, Belgium, Czechia, Denmark, Finland, Germany, Greece, Ireland, Latvia, Lithuania, the Netherlands, Romania, Slovakia, Spain and Sweden », 23 août 2024.
Conseil de l’UE, « Regulation on new genomic techniques (NGT) – comments from Croatia », 22 juillet 2024.