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Espagne et OGM/NTG : bilan d’un raté politique

Par Eric Meunier

Publié le 18/01/2024, modifié le 18/04/2024

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Treize réunions entre le 25 juillet et le 11 décembre 2023, soit presque une réunion par semaine en quatre mois de travail effectif. Le rythme de travail sur le dossier des OGM/NTG orchestré par l’Espagne, Présidente de l’Union européenne du 1er juillet au 31 décembre 2023 fut soutenu. Ce pays pressait pour obtenir un accord de principe du Conseil des ministres des états membres avant la Présidence belge qui connaîtra les élections européennes et la Présidence hongroise, pays beaucoup plus réservé sur la proposition de dérèglementation. Après quatre mois, il finira par échouer à la veille des congés de fin d’année.

Entre le 1er juillet et le 31 décembre 2023, l’Union européenne a été présidée par l’Espagne. Dans le dossier des OGM/NTG, cela signifie que Luis Planas Puchades, ministre espagnol par intérim de l’Agriculture, de la pêche et de l’alimentation, a présidé aux travaux des États membres. Le dossier a en effet été mis sous la responsabilité des ministres de l’Agriculture. Ces travaux ont eu lieu au sein du Conseil des ministres ainsi qu’au sein de réunions informelles des ministres, de réunions des représentants permanents des États membres à Bruxelles, ou encore au sein d’un groupe de travail spécialement mis en place pour l’occasion.

Un calendrier très serré

Les premières discussions entre États membres de l’Union européenne (UE) ont démarré dès le 25 juillet 2023. Ce jour-là, la présidence espagnole de l’Union européenne estimait en effet « utile d’ouvrir une discussion au sein du Conseil avant d’entamer l’examen technique, portant sur les éléments clés de la proposition ». Elle demandait aux ministres de l’Agriculture réunis en Conseil leur opinion générale sur la proposition de la Commission européenne et quels en étaient les aspects les plus importants1. Selon le compte-rendu que fera l’Espagne de cette première réunion, « les ministres ont accueilli favorablement cette proposition ». Très motivée, l’Espagne déclarait alors que ce dossier était « une des priorités de la présidence espagnole »2.

Le Conseil des ministres de l’Agriculture réabordera la question lors d’une de ses réunions informelles qui eut lieu début septembre à Cordoue (Espagne)3. Pour cette réunion, l’Espagne maintenait une communication très favorable à la dérèglementation des OGM, écrivant notamment que les « nouvelles techniques génomiques » permettraient d’obtenir des variétés végétales adaptées aux conditions du changement climatique, résistantes aux parasites et aux maladies, utilisant moins de ressources naturelles, moins d’engrais et moins de produits phytosanitaires… Elle estimait également que la proposition de la Commission permettrait in fine de réduire la dépendance à l’égard des importations de l’UE face à des scénarios politiques instables4. Mais c’est à cette période que les difficultés pour l’Espagne allaient commencer à émerger, les discussions entre États membres faisant apparaître de plus en plus de désaccords.

Ainsi, trois mois plus tard, le 20 novembre 2023, le point réapparaitra à l’ordre du jour. Ce jour là, la présidence espagnole de l’UE faisait part aux ministres de sa volonté « de parvenir à une orientation générale en décembre ». Mais, comme Inf’OGM l’avait rapporté, de nombreux désaccords et interrogations étaient en effet mis sur la table ce 20 novembre 2023, préjugeant difficilement d’un accord de principe formel avant la fin de l’année et de la présidence espagnole5. Une difficulté qui se confirmera en effet lors de la dernière réunion des ministres de l’Agriculture sous l’égide de l’Espagne, le 11 décembre 2023, puisqu’aucun accord ne sera trouvé.

Ne lâchant pas prise sur la possibilité d’un accord sous sa présidence, l’Espagne prévoira jusqu’au bout de mettre au vote un accord de principe lors d’autres réunions que celles des ministres de l’Agriculture. Si ces derniers, au 11 décembre 2023, n’avaient plus de réunions programmées, ce n’était pas le cas des représentants permanents des États membres à Bruxelles (l’équivalent d’ambassadeurs). Jusqu’au 15 décembre 2023, un point de discussion était prévu comme « possible » pour leur réunion du 20 décembre 2023. Ce point visait à donner à la présidence de l’Union européenne « un mandat pour négocier avec le Parlement européen »6. Mais le 18 décembre, l’Espagne semblait acter qu’aucun accord ne serait possible et retirait définitivement ce point de l’ordre du jour. La présidence espagnole de l’UE s’achevait sur cet échec politique de l’Espagne qui aura pourtant fait tenir aux instances européennes un calendrier très soutenu.

Un groupe de travail et des représentants mobilisés

Les réunions du Conseil des ministres de l’Agriculture furent les lieux de discussions politiques, enceinte incontournable pour obtenir un accord politique. Si les ministres se sont finalement réunis quatre fois en six mois pour discuter de la proposition de la Commission européenne – une fréquence assez élevée –, les fonctionnaires des États membres ont assumé une part plus importante du travail. Comme l’a expliqué Luis Planas en introduction du Conseil du 11 décembre 2023, le « groupe de travail s’est réuni sept fois, parfois sur des durées supérieures à une journée ». Ce groupe a en effet eu des réunions étalées entre fin juillet et novembre, avec certaines réunions pendant deux jours : les 26-27 juillet, 11-12 septembre, 25-26 septembre, 5-6 octobre, 30-31 octobre, 14 novembre et les 27-28 novembre 2023.

A ces réunions s’ajoutent deux réunions que les représentants permanents des États membres ont eu à Bruxelles. Ces deux réunions se tinrent les 19 juillet et 6 décembre. Une dernière réunion, comme déjà vu, aurait pu aborder ce point le 20 décembre 2023. Mais, faute de perspective de majorité qualifiée, le point fut retiré de l’ordre du jour cinq jours avant la réunion.

Des instances sous pression

Les gouvernements des États membres ne furent pas les seuls à être mis sous la pression de ce calendrier. Deux autres instances de l’Union européenne devaient être consultées pour permettre aux négociations entre Conseil et Parlement européen d’avoir lieu, le Conseil économique et social européen (CESE) et le Comité européen des régions (CER).

Lors d’une audition organisée par l’eurodéputé Christophe Clergeau, un représentant de chacune de ces instances prit la parole pour faire part des avancées de leurs travaux. Deux prises de parole qui furent l’occasion pour ces instances de se plaindre du rythme imposé. Le représentant du CER expliqua par exemple que « le point le plus important aujourd’hui, c’est le calendrier. Sur un sujet d’une telle complexité, le calendrier imposé par la rapporteure du Parlement européen est juste inacceptable ». La pression calendaire venait cette fois de l’eurodéputée Jessica Polfjärd, députée suédoise du Parti Populaire Européen (PPE) et rapporteuse pour la Commission environnement du Parlement européen sur la proposition faite par la Commission.

La Belgique prend le relais

Depuis le 1er janvier 2024, la Belgique a pris le relais de l’Espagne à la présidence de l’UE. Ce pays hérite donc du dossier en tant que coordinateur des travaux des États membres. Si le dossier des OGM/NTG fait partie de son programme, la référence qui y est faite est plutôt modeste comparée à l’emphase espagnole7. La Belgique indique ainsi son intention « de continuer les discussions sur les nouvelles techniques génomiques ». Lors du dernier tour de table des ministres de l’Agriculture, ce pays n’avait pas pris la parole. Le calendrier plus précis des réunions prévues est toujours attendu, mais les élections européennes prévues pour juin 2024 devraient raccourcir fortement la période que le Conseil des ministres et le Parlement européen pourront pertinemment allouer à ce sujet.

  1. Conseil de l’Union européenne, Note de la Présidence préparatoire au Conseil « Agriculture et pêche » du 25 juillet 2023, 14 juillet 2023. ↩︎
  2. Conseil de l’UE, Conseil « Agriculture et pêche », 25 juillet 2023. ↩︎
  3. Présidence espagnole Conseil de l’Union européenne, Réunion informelle ministérielle de l’agriculture, 3-5 septembre 2023. ↩︎
  4. Présidence espagnole Conseil de l’Union européenne, Principaux points de l’ordre du jour de la réunion ministérielle informelle sur l’agriculture, 28 août 2023. ↩︎
  5. Eric MEUNIER, « Déréglementation des OGM : les États membres sont dubitatifs », Inf’OGM, 5 décembre 2023. ↩︎
  6. Council of the European Union, « Notice of meeting and provisional agenda », 15 December 2023. ↩︎
  7. Programme of the Belgian Presidency of the Council of the European Union, First half of 2024. ↩︎
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