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UE – Cibus cherche parcelles pour mutagénèse dirigée

Par Eric MEUNIER

Publié le 13/04/2015

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L’entreprise Cibus a mis au point un colza rendu résistant aux herbicides par mutagénèse dirigée. Cette technique fait partie du paquet des nouvelles techniques de biotechnologie dont le statut légal n’est pas encore connu. L’Union européenne doit en effet toujours répondre si oui ou non les produits issus de ces modifications du vivant donnent des OGM. En attendant cette réponse, Cibus fait du porte-à-porte auprès de différents États membres pour connaître leur position nationale. Ainsi, l’Allemagne, le Royaume-Uni, la Suède et la Finlande ont déjà officiellement répondu à Cibus. De leur côté, les Pays-Bas et la République tchèque avaient, eux, adopté une position de principe sans avoir été interpelés par Cibus. Bilan : la République tchèque défend que la mutagénèse dirigée donne des OGM, mais les cinq autres estiment que cette biotechnologie n’a rien à faire avec la législation « OGM ».

Depuis 2008, l’Union européenne est en attente d’une proposition de la Commission européenne sur le statut des produits issus des nouvelles techniques de biotechnologies : OGM ou non ? L’enjeu commercial est bien sûr stratégiquement important pour les entreprises de biotechnologie. Car tout produit non considéré comme « OGM » ne sera pas soumis aux contraintes législatives mises en place : pas d’autorisation pour des essais en champs (hors règles sanitaires et d’importation si importation de semences il y a), pas d’évaluation des risques dans le cadre d’une autorisation commerciale, pas d’étiquetage et pas de suivi post-commercial.

L’une des entreprises phares sur ces nouvelles biotechnologies, Cibus, a donc cherché à obtenir de plusieurs États qu’ils se positionnent sur la mutagénèse dirigée par oligonucléotides pour savoir si elle donne des OGM ou non selon ces États. Objectif affiché par Cibus : connaître les conditions de mise en œuvre d’essais en champs.

Cibus teste plusieurs pays

Quatre pays ont été questionnés par Cibus : le Royaume-Uni, l’Allemagne, la Suède et la Finlande. Cibus a confirmé à Inf’OGM les trois premiers pays, mais a omis de nous signaler avoir questionné la Finlande. Pourtant, ce pays l’a bel et bien été le 19 novembre 2013, comme Kirsi Törmäkangas, secrétaire général sur Bureau finnois des technologie du gène, nous l’a confirmé [1]. Un oubli étonnant au vu de la réponse obtenue (cf. plus bas).

Cette interpellation des États membres (et leur réponse) sur le statut OGM ou non des produits obtenus par une technique de biotechnologie pose une question : quelle est la marge de manœuvre de ces États à décider par eux-mêmes sur un point que l’Union européenne est vouée à trancher ? Interrogée par Inf’OGM, la Commission européenne nous dit travailler sur une analyse juridique de la question des nouvelles techniques et ne pas pouvoir répondre à cette question tant que cette analyse ne sera pas terminée. Un positionnement qui peut sonner comme un rappel à destination des États membres, qui vont participer à ces discussions européennes, qu’ils ne sont pas obligés de répondre à Cibus et peuvent, voire devraient, attendre que les réflexions au niveau européen soient terminées…

Pour la République tchèque, la mutagénèse dirigée donne des OGM…

Interrogé par Inf’OGM, le ministère de l’Environnement tchèque nous indique que le 7 juin 2007, une position a été formellement adoptée : la mutagenèse dirigée donne des OGM car cette technique modifie génétiquement le génome des organismes mutés. Le 11 octobre 2011, alors qu’un groupe d’experts européens se penchait sur la question du statut des produits obtenus par une des nouvelles techniques de biotechnologie au sein duquel participaient deux représentants de la République tchèque, ce pays confirmait sa position « au vu des connaissances scientifiques disponibles » de l’époque [2].

…mais pas pour cinq autres pays

Autre son de cloche en Allemagne, au Royaume-Uni, en Finlande, en Suède et aux Pays-Bas : pour eux, la mutagénèse dirigée ne donne pas d’OGM au regard de leur législation nationale (qui est une transposition de la législation européenne).

Pour le Royaume-Uni [3] et les Pays-Bas [4], la mutagénèse dirigée ne donne pas d’OGM car cette technique est aussi sûre ou équivalente à la mutagénèse « classique » [5] et surtout, que l’oligonucléotide utilisé n’est pas à proprement parler un ADN recombinant, le Royaume-Uni ajoutant qu’il n’y a pas d’insertion d’ADN dans le génome de la plante [6]. L’oligonucléotide doit-il ou non être considéré comme un ADN recombinant ? Ce point est fondamental car les discussions en cours sur le statut OGM ou non des produits obtenus par mutagenèse dirigée par oligonucléotide s’intéressent notamment à cette question. En effet, la directive 2001/18, dans son annexe 1A, exclut de son champ d’application la mutagénèse « à condition qu’elle n’implique pas l’utilisation de molécules d’acide nucléique recombinant ». Un argument qui n’est donc pas que scientifique mais également juridique…

L’avis néerlandais exclut cette technique de la législation OGM précisément par rapport à ce dernier point. En effet, l’avis précise que « la mutagénèse dirigée est aussi sûre que la mutagénèse classique. Son exclusion de la législation OGM est cependant incertaine. Cela dépend si l’oligonucléotide est considéré comme un ADN recombinant ou non ». Et de préciser : « un oligonucléotide utilisé pour de la mutagénèse dirigée ne doit pas être considéré comme de l’ADN recombinant ».

La Suède a, de son côté, répondu succinctement à l’interpellation de Cibus [7] : le colza rendu tolérant à des herbicides par mutagénèse dirigée n’est pas soumis à la législation OGM. Le pays précise néanmoins à Cibus, à l’instar de la Finlande comme nous allons le voir, que cette « opinion réglementaire pourra changer dans le futur » du fait de la décision européenne à venir.

La Finlande a, elle, adopté sa position le 22 octobre 2014. Si la Finlande considère que la mutagénèse dirigée ne donne pas d’OGM, Kirsi Törmäkangas précise à Inf’OGM que « cette interprétation nationale a été formulée de manière à être valide tant que l’Union européenne n’aura pas pris de décision sur la mutagénèse dirigée par oligonucléotides » [8]. Dans sa réponse à Cibus dont Kirsi Törmäkangas nous a fait part, le Bureau finnois des technologies du gène précise en effet que cette décision est « subordonnée à d’éventuels changement des définitions contenues dans la directive 2001/18 […]. Le bureau aura le droit reconsidérer cette position dans le futur sur la base d’éventuelles nouvelles connaissances scientifiques ou techniques et d’opinions d’experts ».

Enfin, la position allemande a été rendue publique le 5 février 2015. Dans sa réponse à Cibus, le ministère allemand de la Protection des consommateurs et de la Sécurité sanitaire des aliments soutient que la technique de mutagénèse dirigée par oligonucléotides utilisée par Cibus ne donne pas d’OGM. Il n’a pas fallu longtemps à plusieurs associations allemandes, dont Testbiotech, pour contester cette interprétation. Le 9 mars 2015, elles demandaient au ministère allemand de l’Agriculture de « stopper la mise en culture » de ce colza si Cibus devait décider de conduire des essais en champs. Comme Christoph Then, de Testbiotech, nous le précise, cette contestation repose sur la considération que les produits obtenus par la technique de mutagénèse dirigée par oligonucléotides doivent être soumis à la législation sur les OGM. Les associations déclarent par ailleurs considérer que « la culture de colza résistant à des herbicides doit être interdite en Europe, quelle que soit la manière dont elle a été produite » [9]. Cibus nous a indiqué « n’avoir aucun projet [d’essai en champ] à l’heure actuelle ».

Mais plutôt que de réellement vouloir mettre en place des essais en champs, l’objectif de Cibus n’était-il pas tout simplement de peser sur le débat à venir au sein de l’Union européenne ? Voulu ou pas, c’est en tout cas ce qui risque de se passer avec les entreprises qui souligneront que pour la mutagénèse dirigée, certains États membres ont déjà pris des décisions nationales…

Sept brevets pour Cibus


L’entreprise Cibus dispose de sept brevets portant sur la technique de mutagénèse par oligonucléotide et / ou des séquences génétiques mutées [10]. Le premier obtenu le fut en 2010 et portait sur « des acides nucléiques d’acétohydroxyacide synthase (AHAS) mutés et les protéines codées par les acides nucléiques mutés. L’invention concerne également des plants, des cellules et des semences de colza comprenant les gènes mutés » [11]. Suite à ce premier brevet, Cibus en a obtenu six autres, portant tous sur des séquences génétiques mutées. Trois concernent une résistance à des herbicides [12], un concerne une résistance à un pathogène [13] et deux concernent des techniques de mutagénèse et les produits obtenus [14]. Ces brevets peuvent concerner le colza ou, pour certains, les seules séquences génétiques quelles que soient les plantes dans lesquelles elles se trouvent.

[1Source Inf’OGM

[2Source Inf’OGM

[3Avis du Comité britannique consultatif sur la dissémination dans l’environnement (Advisory Committee on Releases to the Environment – ACRE), du 10 février 2011, http://archive.defra.gov.uk/acre/meetings/11/min-110210.pdf

[4Avis de la Commission sur les modifications génétiques (COGEM), « Advice and report ’The status of oligonucleotides within the context of site-directed mutagenesis’ » juillet 2010, www.cogem.net/index.cfm/en/publications/publicatie/the-status-of-oligonucleotides-within-the-context-of-site-directed-mutagenesis

[5L’avis britannique (cf. note 3) indique que « la technique développée par Cibus est équivalente à la mutagénèse chimique [plus communément appelée mutagénèse aléatoire] en ce qu’une molécule de synthèse est utilisée pour induire un changement dans l’ADN de la plante » et plus loin « le changement dans l’ADN de la plante induit par cette technique de mutagénèse dirigée par oligonucléotides serait non différentiable d’un même changement obtenu par des méthodes traditionnelles de mutagénèse »)

[6L’avis britannique (cf. note 3) indique que l’oligonucléotide utilisé « ne s’insère pas dans le génome [et] est dégradé dans les heures suivant son introduction dans la cellule ».

[7Source Inf’OGM

[8Source Inf’OGM

[10Selon une recherche dans Google Brevet avec Cibus en mot clef

[11Brevet EP 2203565 A1, « Gènes d’acétohydroxyacide synthase mutés chez brassica ».

[12Brevets WO 2012018862 A3, WO 2013028188 A1, EP 2600710 A2

[13WO 2014153178 A2

[14WO 2014144951 A1, WO 2014144987 A2

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