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Les OGM issus de mutagénèse sont-ils brevetables ?
Le 8 avril 2019, Heli Pihlajamaa, cheffe de la direction « droit » à l’Office européen des brevets, a affirmé au cours d’une audition devant des députés européens, qu’une plante génétiquement modifiée par Crispr pouvait être similaire à une plante déjà connue, et que, en conséquence, elle ne pouvait être brevetée directement. Mais elle a rappelé que les procédés techniques d’obtention de telles plantes, dont ceux faisant intervenir Crispr, sont, eux, brevetables.
Dans un rapport publié fin mars 2019, les experts européens en charge de la détection des OGM parlaient d’organismes génétiquement édités au lieu d’organismes génétiquement modifiés (OGM) pour désigner les organismes obtenus par de nouvelles techniques de mutagénèse [1]. Ce nouveau sigle ignorait ainsi volontairement l’arrêt de juillet 2018 de la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE) qui affirmait que toutes les techniques de mutagénèse donnent des OGM. Début avril 2019, l’Office européen des brevets (OEB) utilise le même flou pour parler de la brevetabilité de ces produits.
Des brevets sur des produits et des brevets sur des procédés
La Commission « agriculture » du Parlement européen auditionnait le 8 avril 2019 une représentante de l’OEB [2] pour échanger sur un différend opposant l’Union européenne et l’OEB concernant la brevetabilité des produits issus de procédés essentiellement biologiques. En effet, aujourd’hui, la législation de l’OEB et la législation européenne interdisent qu’un procédé essentiellement biologique, comme croiser deux plantes entre elles, puisse être breveté. Mais l’OEB considère que les produits issus de ces procédés sont brevetables [3]. Une position opposée à celle de l’Union européenne dont les 28 États membres sont pourtant majoritaires à l’OEB.
Ce différend trouve son origine dans la théorie même de ce qui est brevetable. Un brevet ne peut être délivré que pour ce qui présente un caractère nouveau et inventif, que ce soit un produit ou un procédé. Dans ce cadre, un procédé essentiellement biologique, comme croiser deux plantes entre elles, n’est ni nouveau ni inventif, donc non brevetable, contrairement aux procédés communément appelés procédés techniques dont la brevetabilité est étudiée par l’OEB au cas par cas des demandes déposées. Pour ce qui est des produits, ils peuvent également être brevetés. Dans ce cas, les revendications des brevets portent sur le produit final qui doit présenter une nouveauté ou une inventivité, peu importe le procédé technique d’obtention utilisé. Au cours de cette audition, Heli Pihlajamaa et des députés européens ont abordé le sujet des brevets délivrés sur des méthodes de modification génétique et ceux délivrés sur des produits génétiquement modifiés.
L’OEB affiche une distinction floue
Heli Pihlajamaa a ainsi présenté le pourcentage de brevets délivrés annuellement par l’OEB par rapport au nombre de demandes de brevet déposées [4]. À cette occasion, deux catégories ont été affichées dans une diapositive : la première couvre les demandes de brevets pour les « plantes transgéniques » et la seconde couvre celles pour des « plantes conventionnelles et technologie d’amélioration végétale ». Comme le précise oralement Heli Pihlajamaa, « De 1995 à 2018, l’OEB a enregistré un peu moins de 8 000 demandes de brevets pour des plantes transgéniques [c’est-à-dire] ayant subi une modification génétique à base de gènes appartenant à une autre espèce » et en a accordé environ 2 800. Pour la même période, l’OEB détaille également oralement avoir reçu « près de 1000 demandes sur […] des plantes obtenues par des procédés conventionnels ou des plantes mutées obtenues par des technologies de croisement classique ou encore des nouvelles technologies de croisement et de sélection végétale ».
La distinction faite par l’OEB entre « plantes transgéniques » d’un côté et « plantes conventionnelles et technologie d’amélioration végétale » d’un autre peut prêter à confusion puisque laissant croire que pour l’OEB, tout ce qui n’est pas transgénique serait conventionnel. Une confusion possible rendue encore plus forte quand Heli Pihlajamaa précise oralement ranger les nouvelles techniques de modification génétique comme Crispr dans la catégorie des « plantes conventionnelles et technologie d’amélioration végétale », alimentant le flou quant au statut légal des produits obtenus par ces techniques comme l’a souligné l’eurodéputé Martin Hausling qui, rappelant la décision de la CJUE de juillet 2018, a demandé à l’OEB de dissiper tous malentendus.
Pas de brevets-produits spécifiques nouveaux OGM
La clarification apportée par Heli Pihlajamaa est très intéressante. Après avoir précisé que l’OEB suit de très près la décision de la CJUE de juillet 2018, elle a répondu en prenant pour exemple la technologie Crispr/Cas. Selon l’OEB, il « s’agit de procédé technique d’amélioration végétale [qui] ont été mis dans la même catégorie que les plantes conventionnelles et les méthodes d’amélioration associées ». La technologie Crispr n’étant en effet pas un produit mais un procédé d’obtention, cette classification apparaît logique. Mais on aurait pu en conséquence attendre de l’OEB qu’il présente, comme il le fait avec la catégorie « plantes transgéniques », une catégorie de brevets types produits pour les « plantes modifiées génétiquement par nouvelles techniques de modification génétique » ou bien « plantes mutées par nouvelles techniques de mutagénèse » ou quelque expression de son choix faisant apparaître la catégorie des brevets sur produits demandés pour les nouveaux OGM.
Mais l’OEB ne présente pas de chiffres pour de tels brevets-produits concernant des « nouveaux OGM ». L’explication fournie par l’OEB pointe une difficulté à laquelle cet office fait face. Heli Pihlajamaa précise en effet que « si vous prenez une plante obtenue par Crispr et une plante connue, la nouveauté ou l’étape d’inventivité ouvrant au brevet ne sont pas nécessairement présentes ». Cette absence l’oblige à prendre en compte « d’autres critères de brevetabilité ». Une telle affirmation ne peut être faite que s’il est considéré qu’une plante modifiée génétiquement par Crispr pour insérer une mutation n’est en rien différenciable de ce qui peut se faire naturellement, ce que l’OEB sous-entend en affirmant que « la nouveauté ou l’étape d’inventivité ouvrant au brevet ne sont pas nécessairement présentes ». L’OEB accepte donc cette idée véhiculée par les entreprises que les nouveaux OGM ne sont pas forcément différenciables de plantes pouvant apparaître naturellement, laissant donc de côté tous les effets non intentionnels apparaissant à chaque étape de la mise en œuvre d’une nouvelle technique de modification génétique et qu’Inf’OGM a renseignés plusieurs fois [5]. Semblant accepter donc qu’aucune différence ne soit faisable, l’OEB s’interroge sur la légalité à délivrer des brevets « produits » pour de tels organismes sur la base du seul critère de l’utilisation d’une technique de mutagénèse ne générant pas de nouveaux caractères. Il conclut que « des demandes de brevets peuvent être déposées mais la question est de savoir si les critères de brevetabilité sont remplis ou non ».
Prendre en compte « d’autres critères de brevetabilité »
Finalement, Heli Pihlajamaa présente la voie alternative. « D’autres critères de brevetabilité » sont pris en considération. D’autres critères qu’illustre la catégorisation présentée au Parlement : la technique de modification génétique « Crispr » appartient à la catégorie des brevets sur des « techniques d’amélioration végétale ». En termes plus clairs, les plantes mutées par Crispr ne sont pas brevetables du simple fait de l’utilisation de cette technique, mais la technique de mutagénèse par Crispr l’est.
Délivrer des brevets sur les procédés que sont les nouvelles techniques de mutagénèse, mais pas sur les nouveaux OGM que sont les plantes mutées pourrait cependant n’être qu’un affichage de façade. Car en droit des brevets, un caractère obtenu par Crispr est en effet nouveau dès lors qu’il n’a jamais été identifié dans une plante connue, même si une telle plante existe déjà. Une question importante reste alors d’actualité : un brevet délivré sur un procédé d’insertion d’une mutation par Crispr par exemple confère-t-il une propriété industrielle sur tous les organismes ayant cette mutation ? Oui, car la législation actuelle ne précise pas qu’un brevet-procédé ne s’étend qu’aux organismes obtenus par ce procédé. Aujourd’hui, la seule information qui restreindrait logiquement les « brevets-procédés » aux seuls organismes obtenus par ces procédés serait que ces nouveaux organismes brevetés soient réglementés comme OGM, obligeant alors leur obtenteur à indiquer les méthodes permettant de les distinguer de toute autre plante. Ce qui est le cas pour les nouvelles techniques de mutagénèse depuis la décision de la CJUE de juillet 2018.
Une situation qui explique pourquoi les industries et d’autres acteurs font le forcing pour modifier la législation OGM en Europe…
[1] , « Les experts européens l’affirment : les nouveaux OGM sont traçables », Inf’OGM, 23 avril 2019
[2] Committee on Agriculture and Rural Development AGRI Committee meeting -15:14 / 18:05 – 08-04-2019
[3] , « Quelles limites au brevet européen sur le vivant ? », Inf’OGM, 10 avril 2019
[4] voir le diaporama :
[5] ,
, « Modifications génétiques : à chaque étape, des effets non-intentionnels », Inf’OGM, 23 décembre 2018