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Nouveaux OGM : les semenciers missionnés par la Commission européenne ?
La Commission européenne sortante considère que le statut juridique de produits obtenus par plusieurs nouvelles techniques de modification génétique n’est toujours pas clair. Une incertitude que l’arrêt de la Cour de justice de l’Union européenne sur les techniques de mutagénèse de juillet 2018 n’aurait donc pas levé. De leur côté, les semenciers européens rapportent que la Commission leur a conseillé d’élaborer une proposition législative…
En 2008, la Commission européenne mettait officiellement sur la table de l’Union européenne le débat sur les nouvelles techniques de modification génétique. Un groupe d’experts était mis en place pour étudier le statut juridique de plusieurs nouvelles techniques de modification génétique [1]. Dix années plus tard (voir encadré ci-dessous), la Cour de justice européenne arrêtait que les techniques de mutagénèse donnent toutes des OGM car modifiant le génome d’une manière qui ne s’effectue pas naturellement par multiplication et/ou recombinaison naturelle, et précisait que seules celles ayant un historique d’utilisation sans risque donnent des OGM et sont exemptées des obligations que la directive européenne 2001/18 sur la dissémination des OGM impose.
La Commission veut prolonger le débat sur les nouveaux OGM
Mais pour la Commission européenne sortante, cette décision ne sonne pas la fin du débat. Selon nos informations, elle considère que le statut légal des produits issus d’autres nouvelles techniques de modification génétique (nommément la cisgénèse / intragenèse, la méthylation de l’ADN dépendante de l’ARN, l’amélioration inverse, l’agroinfiltration) n’a pas encore été clarifié.
Une position étonnante pour qui a suivi le travail de la Cour de justice de l’Union européenne. Cette dernière a en effet rappelé que l’intention du législateur européen avait été d’exempter des obligations imposées par la législation certains OGM parmi ceux obtenus par mutagénèse. Lesquels ? Seulement ceux traditionnellement utilisés pour diverses applications et donc, pour lesquels une absence de risque pouvait être observée depuis longtemps.
Certes, la CJUE ne s’est intéressée qu’aux techniques de mutagénèse et ne parle pas des autres nouvelles techniques de modification génétique. Mais la directive ne prévoit de possibilité d’exclusion de son champ d’application que pour certains OGM parmi ceux obtenus par mutagénèse ou fusion cellulaire d’organismes sexuellement compatibles. Aucune exemption n’est prévue pour les OGM issus d’autres techniques modifiant le génome d’une manière qui ne s’effectue pas naturellement.
Les semenciers travaillent avec la Commission
Ce sujet a été abordé lors de l’Assemblée générale des semenciers européens (European Seed Association – ESA). Sur le site Internet de l’ESA, aucun compte-rendu exhaustif de son Assemblée générale n’est disponible. Mais, dans une page dédiée à cette assemblée générale (page qui n’est plus accessible depuis le 16 juillet 2019), au chapitre de « l’innovation variétale suite à l’arrêt de la CJUE », on pouvait lire : « La Commission a encouragé le secteur à élaborer une solution (législative) afin que l’innovation en matière de sélection végétale puisse se poursuivre en Europe d’une manière que le grand public accepterait et apprécierait » [2].
Les propos tenus lors de cette Assemblée générale par M. Arunas Vinciunas, directeur de cabinet du Commissaire européen à la Santé M. Andriukaitis, ne sont en fait pas aussi directs que le rapportent les semenciers. Mais la tendance est là. En effet, interrogée par Inf’OGM, la Commission nous précise que M. Vinciunas a réaffirmé qu’il n’y aurait pas de proposition législative faite dans les prochains mois mais que des discussions devraient avoir lieu. Dans le cadre de ce débat à venir, il a encouragé les semenciers à s’engager nationalement dans ces discussions et les a questionnés sur les utilisations qui pourraient être faites des nouvelles techniques pour faire face « au changement climatique et à la pénurie alimentaire et gagner le soutien des consommateurs » tout comme sur ce qui pouvait être fait pour garantir des débouchés commerciaux à toutes les entreprises semencières en Europe. Également interrogés sur ce qu’ils pouvaient faire pour garantir la coexistence des modèles agricoles écologiques d’un côté et « biotech » de l’autre, les semenciers ont surtout entendu la Commission leur demander de « proposer des actions politiques qui répondent à vos besoins et celui continu d’assurer la sécurité et l’information des consommateurs ».
Il est intéressant de noter que le résumé fait par les semenciers de cette contribution rejoint d’autres propos tenus par la Commission européenne lors d’un rendez-vous avec l’Institut flamand de Biotechnologie le 10 décembre 2018. Toujours selon nos informations, suite à une position signée de chercheurs européens se disant inquiets de la décision de la Cour de justice de l’Union européenne, la Commission européenne a fait valoir ce jour-là que la solution recherchée ne pouvait être atteinte que par le biais de changements législatifs ! En mars 2019, le Commissaire européen à la Santé, Vytenis Andriukaitis, avait déjà fait part de cette position mais dans une déclaration faite à titre personnel : « de mon point de vue, nous devons mettre en place un nouveau cadre réglementaire pour ces nouvelles techniques après les élections européennes » [3].
Les semenciers européens ont bien entendu le message de la Commission. Sur son site Internet, l’ESA conclut le récit de son assemblée générale par ces mots : « le secteur de la semence a montré son engagement à trouver une solution […] en travaillant avec la Commission » [4]. Une Commission qui déclarait le 21 juin 2019 par la voix du Commissaire Andriukaitis vouloir soutenir l’innovation et les nouvelles technologies tout en parlant aux citoyens européens « de science, de technologies et de risques, en utilisant leur langage, et les inclure dans notre voyage collectif ». Car la Commission sortante est claire : « la question ne devrait pas être de savoir si Crispr peut être utilisée pour élever des licornes ou ramener les dinosaures. La question devrait être de savoir comment nous pouvons utiliser Crispr pour répondre à certaines des questions les plus difficiles auxquelles l’humanité est confrontée. Voilà le futur » [5]. Les citoyens n’auraient donc plus qu’à l’accepter en ayant confiance…
Les années passent, sans décision
Il aura alors fallu attendre début 2012 pour que le rapport final du premier groupe d’experts mis en place par la Commission européenne en 2008 soit remis. La Commission européenne justement, déçue par ce rapport, déclarait alors dans nos colonnes : « [La classification des nouvelles techniques en OGM ou pas] est un sujet difficile qui préoccupe beaucoup la Commission mais les scientifiques ne sont pas toujours très d’accord […] ce sera aux États de prendre une décision » [6].
Trois années plus tard, en 2015, la Commission européenne annonçait que la décision du statut légal des produits obtenus par ces nouvelles techniques lui revenait à elle seule. Interrogée par l’association Corporate Europe Observatory (CEO), elle annonçait en effet travailler à finaliser un document pour la fin de l’année 2015 qui visait à clarifier l’interprétation de la définition d’un OGM selon la directive 2001/18. Un travail dont il était alors prévu une simple présentation aux États membres [7].
Mais en 2016, alors que son document n’était toujours pas sorti, la Commission européenne voyait la Cour de justice de l’Union européenne saisie par le Conseil d’État français. La question posée par la juridiction française concernait justement le statut légal des produits obtenus par certaines de ces nouvelles techniques de modification génétique, les techniques de mutagénèse. Pendant cette période, la Commission ne rendait toujours pas publique son interprétation de la directive européenne mais continuait de demander à des experts leur opinion. Comme par exemple aux experts du nouveau Mécanisme de Conseil Scientifique (SAM) fin 2016 [8].
Finalement, le 25 juillet 2018, la CJUE tranchait le débat en déclarant que les techniques de mutagénèse n’ayant pas été traditionnellement utilisées pour diverses applications et dont la sécurité n’est pas avérée depuis longtemps donnent des OGM qui doivent être réglementés.
[1] Nucléase en doigt de zinc, mutation dirigée des gènes par oligonucléotides, cisgénèse, méthylation de l’ADN dépendante de l’ARN via RNAi/siRNA, greffe, amélioration inverse, agro-infiltration, et biologie synthétique , « UE – Les nouvelles biotechnologies conduisent-elles à de nouvelles PGM ? », Inf’OGM, novembre 2009
[2] La page était http://euroseeds.eu/esa-annual-meeting-new-record-attendance. Inf’OGM en a conservé une capture d’écran avant sa disparition du site.
[3] , « UE – Les nouvelles biotechnologies conduisent-elles à de nouvelles PGM ? », Inf’OGM, novembre 2009
[4] La page était http://euroseeds.eu/esa-annual-meeting-new-record-attendance. Inf’OGM en a conservé une capture d’écran avant sa disparition du site.
[5] http://ec.europa.eu/commission/commissioners/2014-2019/andriukaitis/announcements/crisprcon-2019-conversations-science-society-and-future-gene-editing_en
[6] , « Nouvelles techniques de biotechnologies : l’UE se met-elle volontairement en retard ? », Inf’OGM, 25 mai 2012
[7] , « UE – Statut OGM des nouvelles techniques : la Commission décidera seule », Inf’OGM, 25 juin 2015
[8] , « UE – Nouveaux OGM : un rapport politique… sous camouflage scientifique », Inf’OGM, 15 septembre 2017