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L’œil public sur l’Office européen des brevets
La fonction première d’un brevet est simple : permettre d’interdire aux tiers d’exploiter son invention ou d’exiger des contreparties financières via des licences. Le processus de délivrance des brevets à l’OEB (Office européen des brevets) reste relativement complexe, voire opaque pour le grand public. Il s’étend aussi sur plusieurs années, ce qui crée une forme d’incertitude concernant la liberté d’exploitation de l’invention par les tiers. Il offre néanmoins quelques possibilités à la société civile de se faire entendre.
Lorsqu’on souhaite protéger une invention, on dépose une demande de brevet [1] auprès d’un organisme public dédié [2]. L’Office européen des brevets (OEB) est une voie très empruntée par les déposants européens et internationaux. Il a délivré près de 109 000 brevets en 2021. Le texte légal de référence est la Convention sur le Brevet européen (CBE) [3]. La procédure de délivrance d’un brevet prend plusieurs années. Elle comprend pour l’essentiel une recherche d’absence d’antériorités et une procédure d’examen qui permet de déterminer si l’invention répond aux conditions de brevetabilité (nouveauté, inventivité et application industrielle) [4]. L’OEB vérifie aussi si l’invention n’est pas exclue, de par sa nature, de la brevetabilité [5]. C’est le cas des « variétés végétales ou races animales », des « procédés essentiellement biologiques » ou des « inventions dont l’exploitation commerciale serait contraire à l’ordre public ». Les OGM pourraient faire partie de cette dernière exception. L’OEB s’assure par ailleurs que l’invention est exposée de façon suffisamment claire et complète pour qu’un homme du métier puisse l’exécuter [6]. Une phase d’opposition est ouverte à l’issue de la phase d’examen. Cette possibilité d’opposition est essentielle car elle permet aux professionnels spécialisés et aux acteurs de la société civile de compléter le travail des examinateurs qui ne peuvent pas être experts dans tous les domaines.
Plusieurs années pour obtenir un brevet à l’OEB
Le Patent Index 2021 [7] nous éclaire sur la dynamique actuelle de la procédure d’obtention d’un brevet à l’OEB. Il a publié en avril 2022 les durées moyennes de ses différentes phases. Le délai moyen entre le dépôt de la demande de brevet et l’émission de l’« opinion écrite » [8] sur la brevetabilité est de cinq mois. Il faudra ensuite encore 23 mois en moyenne jusqu’à la décision finale de la division d’examen de délivrer un brevet ou de rejeter la demande. À la délivrance du brevet, s’ouvre une période de neuf mois pendant laquelle le brevet peut faire l’objet d’une opposition. La durée moyenne de la procédure auprès de la division d’opposition est de 19 mois. À son issue, le brevet est maintenu ou révoqué entièrement ou partiellement. Chaque partie peut faire appel de cette décision. Sans compter cette dernière éventualité, il faut attendre 56 mois à partir du dépôt de la demande pour savoir ce que le brevet couvre in fine.
S’opposer à la délivrance d’un brevet
La demande de brevet européen est publiée 18 mois après son dépôt [9]. Les directives de l’OEB disposent : « Après la publication, tout tiers peut présenter des observations sur la brevetabilité de l’invention » [10]. Pour être recevables, ces observations doivent être présentées par écrit, de manière non anonyme et reçues avant la décision finale de l’OEB. Ce dernier prend en compte ces observations dans ses procédures au cas où elles mettent en doute totalement ou partiellement la brevetabilité de l’invention. Il fait part de son évaluation dans les communications mentionnant que la délivrance du brevet est envisagée [11]. Ces éléments sont publiés dans le Registre européen des brevets [12]. Les observations reçues hors délais peuvent être malgré tout étudiées par l’OEB si une procédure d’opposition est engagée.
En effet, après la décision finale de l’OEB, « toute personne » peut s’opposer à la délivrance d’un brevet ou de certaines de ses revendications [13]. À la différence des « observations de tiers », cette démarche peut se révéler très onéreuse, voire inaccessible. A fortiori si l’on souhaite se faire assister par un mandataire agréé auprès de l’OEB qui applique des taux horaires de plusieurs centaines d’euros. Ces mandataires ne peuvent donc être sollicités par des opposants ne disposant pas d’un budget conséquent. Autrement dit, exit les parties extérieures au secteur industriel et les petites entreprises.
À la faveur des mesures sanitaires prises lors de la Covid, la partie orale de la phase d’opposition (dite « procédure orale ») peut être à présent proposée en visio-conférence par l’OEB. Ce projet, encore aujourd’hui pilote, vient d’être prolongé jusqu’en décembre 2022 [14]. À défaut de susciter l’intérêt du public – le temps le dira – cette initiative permet au public d’assister sur simple inscription aux échanges entre les propriétaires de brevets et ceux qui s’y opposent. Elle lui permet ainsi de se former et d’appréhender « en direct » les enjeux de la brevetabilité, par exemple du vivant, et les motivations des parties. Ce qui peut être perçu comme un progrès reste néanmoins peu accessible d’un point de vue technique.
Des procédures d’opposition qui peuvent fragiliser les tiers
Les procédures d’oppositions à l’OEB sont très lentes. Cette faible dynamique peut lourdement peser sur les tiers car elle les met « en attente ». En effet, pour savoir s’il est contrefacteur, l’exploitant potentiel d’un produit ou d’une méthode décrite par un brevet doit en connaître sa portée définitive. Cela peut être le cas pour de « petits » obtenteurs ou brasseurs qui doivent s’assurer qu’ils pourront s’engager dans certains de leurs projets sans risque d’être bloqués par des brevets sur des « inventions » de semences GM. L’appréciation de la contrefaçon d’un brevet européen se fait au niveau des tribunaux nationaux [15]. Ces derniers peuvent, pour « la bonne administration de la justice », décider de « surseoir à statuer » en attendant l’issue d’une procédure d’opposition à l’OEB. Or, on constate que les juges nationaux n’accordent pas souvent ce sursis, considérant cette dernière trop lente. Ils prononcent donc un jugement sans pouvoir tenir compte de la position finale de l’OEB sur un brevet et se contentent du brevet délivré avant la phase d’opposition.
L’OEB estime dans un rapport « qualité » que les délais d’opposition se sont globalement améliorés mais que cela ne concerne que les affaires standard [16]. Or, les procédures concernant la brevetabilité du vivant sont souvent « hors-standard » et des décisions confiées aux divisions d’opposition ont dû être suspendues dans l’attente de décisions de la Grande Chambre de recours de l’OEB [17]. Cette dernière s’est prononcée à différentes reprises ces 15 dernières années sur des questions touchant la protection des plantes, des procédés essentiellement biologiques et des produits qui en sont issus [18].
La brevetabilité du vivant soulève des questions importantes et crée une jurisprudence en conséquence, qui peut, certes, ralentir des procédures. Mais il en va de la responsabilité de l’institution européenne de se donner les moyens de modifier cette dynamique pour garantir la sécurité juridique et l’ensemble des droits des parties concernées. On peut y inclure les droits humains à l’alimentation, à la santé, à la protection des connaissances traditionnelles, les droits des agriculteurs et la protection de la biodiversité qui s’opposent à toute brevetabilité du vivant.
Les Chambres de recours de l’OEB
Les Chambres de recours sont compétentes pour examiner les recours formés contre les décisions de la section de dépôt, des divisions d’examen, des divisions d’opposition et de la division juridique [19]. Ces dernières sont elles-mêmes compétentes pour examiner les demandes de brevet, respectivement, sur : la forme lors du dépôt, le fond, les oppositions et les mentions à porter sur le Registre européen des brevets ainsi que l’inscription sur la liste des mandataires en brevet agréés et à leur radiation de celle-ci.
L’OEB dispose également d’une Grande Chambre de recours dont la tâche principale est d’assurer une application uniforme de la Convention sur le brevet européen (CBE). Elle statue sur des questions de droit d’importance fondamentale qui lui sont soumises par le Président de l’OEB ou par les Chambres de recours. Ses avis sont publiés avec un code spécifique (ex. G3/19).
La Grande Chambre de recours et les Chambres de recours sont composées de techniciens et de juristes nommés par le Conseil d’administration de l’OEB pour une période de cinq ans. Les membres de la Grande Chambre de recours sont sélectionnés dans les Chambres de recours.
Inf’OGM vous fait part régulièrement des décisions de ces Chambres de l’OEB concernant la brevetabilité du vivant [20].
[1] On distingue la « demande de brevet » qui est une requête en protection d’une invention avec des revendications spéculatives, du « brevet » qui est un titre avec des revendications définies, délivré à l’issue de la procédure d’examen.
[2] En général l’Inpi (Institut national de la propriété Industrielle), pour une protection en France ou l’OEB pour une protection dans les pays membres de la Convention sur le Brevet européen. Le Brevet Unitaire européen (via l’OEB) sera une autre voie possible fin 2022.
[4] Art. 52 CBE
[5] Art. 53 CBE
[6] Art. 84 CBE
[8] Il s’agit d’un avis émanant d’un office de brevet destiné à aider un déposant à interpréter un rapport de recherche d’antériorités émis par ce même office en ce qui concerne la nouveauté et l’activité inventive de l’invention.
[9] Art. 93 CBE
[10] Art. 115 CBE et directive OEB E-VI, 3. Observations formulées par des tiers.
[11] R 71 CBE
[12] Registre européen des brevets : cette base recense l’ensemble des événements relatifs à une dossier de brevets et les documents associés. Toute personne peut créer des alertes pour être informée de l’évolution d’un dossier.
[13] Art. 99 CBE
[14] Décision du Président de l’Office européen des brevets, en date du 4 avril 2022, concernant une nouvelle prolongation du projet pilote relatif à la tenue de procédures orales sous forme de visioconférence devant les divisions d’opposition.
[15] Elle pourra aussi se faire au niveau de l’Union européenne via le brevet unitaire européen.
[16] « Deliver high-quality products and service efficiently, Goal 3 », OEB 2020. Dans ce rapport, l’OEB affirme : « les délais d’opposition se sont améliorés en 2020, le délai moyen pour qu’une division d’opposition rende sa décision étant de 15,5 mois à compter de l’expiration du délai d’opposition. Toutefois, ce chiffre concerne principalement des affaires standard (un seul opposant, pas de membre juridique, pas de procédure orale reprogrammée) qui ont été finalisées avant l’épidémie de COVID-19 ou qui n’ont pas nécessité de procédure orale en personne, et ne reflète donc pas exactement la situation générale. »
[17] , « Brevets sur l’orge OGM : Carlsberg et Heineken consolident leur droits », Inf’OGM, 11 mai 2022
[18] Décisions de la Grande Chambre de recours G 1/98, G 2/07, G 1/08, G 2/12, G 2/13, G 3/19
[19] Art. 21 CBE
[20] , « EUROPE – Deux brevets, sur le brocoli et la tomate ridée, en voie d’être annulés », Inf’OGM, 11 décembre 2010 , « Produits issus de procédés biologiques : finalement non brevetables », Inf’OGM, 4 juin 2020