La direction de l’Inra ambigüe sur les brevets
À côté d’une politique active en faveur du COV dans la création variétale, certains à l’Inra préconisent le dépôt de brevets « défensifs » pour empêcher des entreprises de privatiser ses innovations biotechnologiques. Explications de Jean-Louis Durand, élu CGT Inra au Conseil Scientifique de l’institut, et co-auteur d’un rapport sur la Propriété Industrielle dans le secteur végétal.
La position de l’Institut national de la recherche agronomique (Inra) en matière de protection industrielle traduit l’engagement de l’État dans l’accès aux ressources génétiques. Or avec les politiques de financement de la recherche forçant les organismes publics à s’allier avec des grands groupes pour bénéficier des fonds publics, la position de l’Inra concernant les brevets s’est brouillée.
Un détournement de « l’outil brevet » dans et hors de l’Inra
C’est paradoxalement l’attachement des chercheurs de l’Inra au caractère public de leurs travaux qui est avancé pour justifier la détention de brevets par l’Inra. Cela lui permettrait, conformément à sa mission de service public, d’assurer que les inventions ou découvertes protégées puissent être utilisées sans exclusivité au lieu d’être détournées et, après quelques modifications, brevetées par des agents privés. Or, le brevet n’est pas la seule voie possible pour assurer l’utilisation non exclusive des inventions : l’Inra pourrait aussi casser les brevets basés sur ses découvertes ou inventions déjà publiées par ses chercheurs. Mais le contexte financier fait que l’Inra consacre ses fonds au dépôt de brevets plutôt qu’à la défense du caractère public de ses productions, un choix politique ambigu.
En principe, une création n’est brevetable que s’il y a une activité inventive. Pourtant de nombreux brevets de l’Inra portent sur des séquences génétiques associées à des fonctions qui préexistent naturellement à leur découverte. On ne peut donc pas parler d’activité « inventive ». L’octroi par l’Office européen des Brevets de tels brevets est autorisé par la directive européenne 98/44 CE et l’Inra a suivi ces dérives. Mais l’Inra a aussi défendu le critère d’inventivité, notamment en participant à un récent procès contre un brevet revendiqué par une société semencière sur la séquence génétique associée à un caractère de résistance au Bremia, une maladie de la laitue, présent naturellement chez des populations sauvages.
Indépendance de la recherche et accès aux ressources génétiques : un virage ?
Les capacités de l’Inra de mener des recherches appliquées, y compris en biotechnologies, de façon indépendante des intérêts des grands groupes semenciers, sont remises en question. À peu de frais, le secteur privé réussit à faire faire par le secteur public les recherches les plus novatrices, et donc les plus risquées en termes d’investissement. Beaucoup de ces recherches sont conduites sous contrat dans des consortiums auxquels participent Limagrain, Bayer ou Syngenta (le plus souvent dans le cadre de projets financés par l’Agence Nationale de la Recherche et le Plan Investissements d’Avenir). C’est alors l’intérêt des multinationales, et non pas d’abord celui des PME ni des agriculteurs, qui guide la plupart des recherches en ce domaine. Faute de moyens, les chercheurs qui veulent travailler sur les OGM le font avec des sociétés qui imposent que les résultats les plus originaux soient brevetés, donc restreints dans leur utilisation. Les nouvelles techniques de modification génétique pourraient changer la donne : moins chères que les autres opérations de modification génétique, elles pourraient être utilisées par l’Inra, en autonomie, pour modifier des plantes utiles (et pas seulement pour connaître la biologie). Brevètera-t-il les plantes ainsi obtenues ? Tout récemment en tout cas, son conseil scientifique s’y est unanimement déclaré opposé [1] et il est à espérer que la direction de l’Institut ainsi que ses tutelles (Ministères de la recherche et de l’agriculture) suivent cet avis.
Les chercheurs sont attachés au COV car il permet d’obtenir des revenus de la diffusion des variétés tout en garantissant la liberté d’accès aux ressources et aux informations génétiques. Cette liberté est la source principale de toute amélioration génétique des semences, encore aujourd’hui. Le brevet rend au contraire payantes les ressources génétiques constituées par les inventions brevetées et réduirait encore les possibilités des PME fortement présentes sur le marché français grâce à leur efficacité en sélection variétale depuis plus de soixante ans.
[1] Avis du Conseil scientifique de l’Inra adopté le 9 novembre 2017.