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La proposition polonaise sur les brevets et les OGM plonge les États membres dans le doute
En janvier 2025, la Pologne, présidente du Conseil de l’Europe, a mis sur la table des États membres de l’Union européenne une proposition visant à « résoudre » le problème lié aux brevets que le débat sur la déréglementation des OGM obtenus par de nouvelles techniques a fait surgir. Complexe et à l’efficacité incertaine, la proposition polonaise a plongé tout le monde dans le doute. Les discussions autour de ce texte pourraient donc ne pas aboutir avant que le Danemark, dont le gouvernement soutient une déréglementation totale des OGM, ne prenne à son tour la présidence de l’Union européenne.
Après l’Espagne, la Belgique et la Hongrie, la Pologne est le quatrième pays à assurer la présidence du Conseil de l’Union européenne depuis la publication, en juillet 2023, de la proposition de la Commission visant à déréglementer les OGM non transgéniques. Son tour est donc venu d’animer, jusqu’au 30 juin 2025, les discussions entre les États membres de l’Union européenne. Le 7 janvier 2025, la Pologne a proposé un texte sur lequel elle espère obtenir un compromis.
Maintien de la déréglementation
La proposition faite par la Commission européenne en juillet 2023 prévoit que la grande majorité des OGM ne soit plus évaluée, étiquetée, tracée… La Pologne ne revient pas sur ces points et ne formule donc aucune proposition pour restaurer une évaluation des risques, par exemple. Certains États membres l’avaient pourtant demandé. De même, la Pologne ne propose pas de restaurer une obligation d’étiquetage pour informer les citoyens du caractère génétiquement modifié des produits commercialisés.
Enfin, sinon et surtout au regard des débats en cours, la Pologne ne propose pas non plus de réinstaurer une obligation faite aux entreprises de fournir une méthode d’identification et de détection de leurs OGM obtenus par de nouvelles techniques de modification génétique.
Connaître les brevets avant de commercialiser une plante OGM déréglementée
La proposition polonaise s’intéresse par contre à la question des brevets, soucieuse depuis le début que la déréglementation des OGM n’ouvre pas la porte à un trop grand pouvoir des entreprises via des brevets associés aux techniques ou produits. La Pologne a donc formulé une proposition aux États membres. Une proposition assez simple, en théorie, mais dont la rédaction législative et la faisabilité concrète laissent dubitatif.
Dans l’absolu, le souhait de la Pologne est simple : une plante modifiée génétiquement par une nouvelle technique pourra obtenir le statut NTG1 – le statut correspondant à une déréglementation – à condition que la présence de brevet procédé ou produit fasse l’objet d’une vérification préalable. Si des brevets sont présents, ces plantes NTG1 devraient par exemple être étiquetées pour renseigner la « présence » de brevets.
Elle propose donc, dans un premier temps, que la procédure de vérification du statut NTG1 conduit par les autorités d’un État membre inclut des informations fournies par le pétitionnaire, renseignant l’absence de brevet ou déclarant renoncer à tout brevet. Ces déclarations seraient par ailleurs vérifiées par la Commission européenne. Si aucun brevet n’est revendiqué ou si le pétitionnaire a renoncé à toute revendication, la plante NTG1 serait commercialisée sans étiquetage, évaluation des risques, traçabilité… Par contre, si des brevets sont présents et/ou que le pétitionnaire ne renonce pas à leur revendication, les plantes NGT1 pourraient tout de même être commercialisées mais avec un étiquetage obligatoire « protégée par un brevet » ou « brevet en attente ». Dans la même situation, la Pologne propose également qu’un État membre soit libre d’interdire la culture de telles plantes.
Il faut préciser ici que cette procédure de vérification ne pourra être conduite par des autorités publiques (nationales ou européennes) que si les informations nécessaires existent. Or, à l’heure actuelle, les brevets délivrés le sont sans obligation de déclaration des informations génétiques ou protéiques couvertes par le brevet. Par ailleurs, l’absence d’obligation de fournir une méthode de détection et d’identification constituera de fait une limite importante pour la bonne conduite des contrôles post-commercialisation.
Un oubli de la Pologne…
Outre une rédaction complexe, la Pologne a oublié de fermer une porte permettant de ne pas avoir à suivre cette procédure autour des brevets. Telle que rédigée, la proposition impose en effet cette procédure dans le cas d’une démarche administrative visant à commercialiser une plante modifiée génétiquement par une nouvelle technique. Mais sa mise en œuvre dans le cas de démarches administratives pour conduire des essais en champs est plus incertaine. La Pologne écrit en effet que « la personne ayant l’intention de mettre sur le marché du matériel de reproduction d’une plante catégorisée NTG1 doit soumettre à la Commission une demande [une « demande de vérification de brevet »] »i. Or, conformément à la proposition de la Commission européenne, la Pologne a maintenu le principe qu’une demande de vérification d’un statut NTG1 n’est à demander en vue d’une commercialisation que si elle n’a pas déjà été faite pour un essai en champs. Si cette vérification des brevets n’est à faire que pour une demande en vue d’une mise sur le marché, il suffira de faire la même demande pour un essai en champs et l’entreprise ne sera alors pas soumise à cette obligation… Elle restera cependant soumise à une obligation d’étiquetage signalant que ses semences sont couvertes par un ou des brevets
… et une différence de traitement problématiques
Si la proposition de la Pologne se concentre sur les plantes dites NTG1, les plantes dites NTG2 (définies comme toutes plantes obtenues par de nouvelles techniques non classées NTG1) ne font de leur côté l’objet d’aucune proposition de modification de leur encadrement. Or, si la Commission avait par exemple proposé un étiquetage de ces plantes NTG2 conforme à la législation OGM actuelle, la Pologne ne propose pas d’étiquetage « brevet » comme pour les plantes NTG1. Ces plantes NTG2 sont pourtant bel et bien des organismes couverts par des brevets.
Des réactions plus que mitigées
Réunis le 20 janvier 2025 au sein d’un groupe de travail du Conseil de l’Union européenne, les représentants des États membres ont affiché leurs doutes quant à la proposition polonaise. Selon des commentaires collectés par Politicoii, « la solution [polonaise] pose plus de problèmes qu’elle n’en résout ». Face à la rédaction proposée, « plusieurs États membres ont de sérieux doutes quant à la validité légale de la proposition et, de manière non surprenante, il y a eu de nombreuses réserves exprimées ».
Parmi les associations ou syndicats opposés aux OGM, les réactions ne paraissent pas moins dubitatives. La Coordination européenne Via Campesina (ECVC) estime ainsi que, sur la question des risques liés aux brevets, « les solutions que la Pologne propose ne supprimeront pas mieux ces risques que les précédentes propositions de la Belgique »iii. Le syndicat estime que la Pologne aurait dû proposer de rétablir avant tout l’obligation de fournir les procédés de détection et d’identification des OGM végétaux obtenus par de nouvelles techniques. Cela aurait été plus efficace que de proposer « des procédures très complexes qui permettront à la majorité des OGM issus de NTG d’être autorisés sans qu’il ne soit possible pour les agriculteur.rice.s et les semenciers traditionnels de les identifier dans les champs et les filières, ni pour les États d’interdire leur culture sur leur territoire ». ECVC souligne également qu’un « grand nombre de ces mesures sont […] contraires au droit européen de la concurrence qui n’autorise de restrictions au commerce que sur la base de questions éthiques, sanitaires ou environnementales et non de propriété intellectuelle ».
Pour les Amis de la Terre Europe, la proposition polonaise continue de poser les mêmes problèmes que la proposition faite par la Commission européenne en 2023iv. Le problème lié aux brevets reste entier et l’absence d’obligation d’étiquetage et d’évaluation des risques sont toujours présentes, ce qui est très problématique pour l’association. Or, l’absence de responsabilité pour les entreprises commercialisant ces OGM fait peser les coûts liés à la protection des filières conventionnelles et bio sur les transformateurs et distributeurs bio ou « sans OGM », eux qui n’en souhaitent pas. Pour les Amis de la Terre Europe, « si cette proposition passe, cela pourrait ouvrir la voie à une vague de plantes brevetées dans les champs européen, donnant un pouvoir sans précédent aux géant de l’agribusiness. Dans le même temps, les consommateurs perdront leur droit de savoir ce qu’ils ont dans leur assiette et les agriculteurs supporteront les coûts pour prévenir toute contamination ».
i Conseil de l’Union européenne, 2023/0226(COD), « Regulation on new genomic techniques (NGT) – Revised Presidency text », Article 7bis point 1, 7 janvier 2025.
ii « Poland’s gene-editing gamble leaves EU countries baffled », Politico, 21 janvier 2025.
iii ECVC, « Nouveau OGM et brevets : les solutions illusoires de la Pologne », 14 janvier 2025.
iv Les Amis de la Terre Europe, « Nouveau projet de loi polonais sur les nouveaux OGM : qui gagne et qui perd », 9 janvier 2025.