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Les ambiguïtés de la Copa-Cogeca sur le sujet des brevets dans le végétal
Depuis un an et demi, le Conseil de l’Union européenne ne trouve pas d’accord sur la déréglementation des OGM ; du fait, notamment, des problèmes que posent les brevets sur ces OGM ou sur les techniques utilisées pour les obtenir. Pour la Copa-Cogeca, les deux sujets doivent être traités séparément. Sa proposition est d’adopter au plus vite la déréglementation des OGM et remettre à plus tard l’étude du problème posé par les brevets. Quitte à oublier que les agriculteurs sont bel et bien concernés par les brevets.
Le 9 décembre 2024, l’eurodéputé Martin Haüsling organisait une conférence en ligne sur le sujet des brevets et des nouvelles techniques de modification génétique. Au cours de cette conférencei, Thor G. Kofoed, de la Copa-Cogeca, structure représentant des organisations professionnelles agricoles et des coopératives agroalimentaires, a présenté la position de sa structure. C’est une voix importante à deux titres puisque Thor G. Kofoed est Président du groupe de travail de la Copa-Cogeca sur les semences et qu’il est danois. Or, le Danemark va présider l’Union européenne du 1er juillet au 31 décembre 2025 et animera donc les débats sur la proposition de déréglementation faite en 2023 par la Commission européenne, débats qui buttent depuis un an et demi sur la question… des brevets !
Les NGT, des techniques nécessaires pour la Copa-Cogeca
Thor G. Kofoed s’est montré direct. Le représentant de l’organisation agricole a ainsi expliqué qu’une « meilleure amélioration végétale et plus d’amélioration végétale que ce que nous avons vu dans les cinquante dernières années » sont nécessaires. Une position qu’il met en contexte du changement climatique et des « plus fortes pluies et quantités d’eau à certaines périodes et sécheresse à d’autres ». Pour la Copa-Cogeca, un « énorme » programme d’amélioration variétale est donc indispensable, programme qui doit inclure les nouvelles techniques de modification génétique (appelées nouvelles techniques génomiques – NTG – sous l’impulsion de la Commission européenne, qui ne veut plus utiliser l’acronyme OGM).
Mais, précise-t-il, ces « nouvelles techniques n’ont rien à voir avec les brevets ». Non que la problématique des brevets n’existe pas mais, pour la Copa-Cogeca, elle se poserait aussi pour les variétés conventionnelles et les variétés cultivées en bio. Elle ne serait, en ce sens, pas propre aux nouvelles techniques de modification génétique. Un argumentaire qui amène Thor G. Kofoed à affirmer la position fondamentale de la Copa-Cogeca, à savoir qu’il faut séparer les deux débats et « adopter la proposition sur les nouvelles techniques dès que possible ».
Quel régime de propriété intellectuelle pour les NTG ?
Si la question des nouvelles techniques n’est pas liée à celle des brevets pour la Copa-Cogeca, celle de la juste rémunération des obtenteurs se pose malgré tout pour Thor G. Kofoed. Une rémunération, estime-t-il, qui leur est d’ores et déjà garantie par « le très bon système d’innovation variétale existant en Europe », à savoir le Certificat d’Obtention Végétale communautaire (COV). Ce système permet, selon Thor G. Kofoed, d’avoir en Europe, certes quelques industries internationales, mais surtout le plus grand nombre d’obtenteurs au monde. Une situation d’autant plus importante que la Copa-Cogeca estime impossible que quelques obtenteurs fournissent seuls toutes les nouvelles semences des différentes cultures produites. Un « système ouvert d’amélioration variétale » est donc impératif pour la Copa-Cogeca. D’autant que le système européen actuel garantit, selon Thor G. Kofoed, que les « champs des agriculteurs ne sont pas des champs de bataille pour les avocats à cause de brevets ».
Sur les brevets plus précisément, la position de la Copa-Cogeca est simple et floue à la fois. D’emblée, Thor G. Kofoed explique qu’à la Copa-Cogeca, « nous ne pensons pas que les brevets soient nécessaires et nous n’en voulons pas dans les plantes ». Pour ce qui est de savoir si ce refus des brevets dans les plantes concerne uniquement les brevets sur des plantes (dits « brevets produits ») ou également les brevets sur des procédés (qui s’étendent aux produits), Thor G. Kofoed n’est pas rentré dans le détail. Toujours est-il que, face aux questions posées autour des brevets et du risque d’appropriation du Vivant soulevés par de nombreuses organisations et certains États membres, la Copa-Cogeca s’en remet à l’étudeii d’impacts que la Commission européenne doit encore publier « fin 2025 début 2026 », comme elle l’a annoncé et comme lui a déjà demandé le Parlement européen. Une étude qui devra être « étudiée sérieusement afin de voir ce qui est utile du système de brevets, si le système européen de COV est suffisant et améliorable ou s’il faut mettre le système des brevets sous la législation du système communautaire de droits sur les variétés végétales pour éviter les effets négatifs des brevets en Europe ». Une approche d’autant plus justifiée, pour Thor G. Kofoed, que les brevets sur des plantes existent dans le reste du monde et aussi en Europe. L’objectif de la Copa-Cogeca est donc « de trouver un moyen de mixer ces deux systèmes de droits sur les variétés végétales » afin d’avoir une propriété intellectuelle pour les obtenteurs et les industries technologiques qui entrent dans le champs de la semence, et « une énorme diversité de semences » pour les agriculteurs.
A bien écouter Thor G. Kofoed, la Copa-Cogeca est sur une position visant à assurer aux obtenteurs une possibilité de travailler sans se heurter aux brevets. Mais les agriculteurs sont, eux, absents du discours de la Copa-Cogeca porté par Thor G. Kofoed ce 9 décembre 2024. Or, le problème des brevets se pose pour tout le monde, des paysans aux obtenteurs. Surtout, la proposition de séparer les deux débats révèle une stratégie risquée. La Copa-Cogeca veut que les nouvelles techniques soient déréglementées comme le propose la Commission européenne (pas d’évaluation des risques, pas de méthodes de traçabilité, pas d’étiquetage…) et que les problèmes liés aux brevets soient étudiés plus tard. Une approche risquée, car une fois la déréglementation en place, il sera sûrement trop tard pour régler le problème des brevets qui lui sont liés.
i Martin Häusling, « Freier Zugang zu Saatgut- Für ein krisensicheres Ernährungssystem », de 1h20 à 1h26, 9 décembre 2024.
ii Pour le Parlement européen, cette étude à venir « devrait porter en particulier sur le rôle et l’incidence des brevets sur l’accès des obtenteurs et des agriculteurs au matériel de reproduction des végétaux, sur la diversité des semences et sur des prix abordables, ainsi que sur l’innovation et, en particulier, sur les possibilités offertes aux PME ».
Parlement européen, « Végétaux obtenus au moyen de certaines nouvelles techniques génomiques et denrées alimentaires et aliments pour animaux qui en sont dérivés », voir point 45bis, 24 avril 2024.