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Semences Vilmorin : c’est quoi le problème ?
Les 11 et 12 novembre, des militants du syndicat Confédération paysanne ont investi plusieurs jardineries pour coller des étiquettes mentionnant « OGM » ou « semences brevetées » sur des sachets de graines de la société Vilmorin, dont Limagrain est actionnaire majoritaire. Objectif : dénoncer l’opacité du 4e semencier mondial quant à la provenance de ses semences (issues ou non de mutagénèse) et aux brevets qui les protègent. Explications.
Dans toute l’Union européenne, le règlement 1829/2003 oblige à étiqueter tout produit alimentaire génétiquement modifié ou issu d’un OGM. Il en est de même s’il ne s’agit que de traces d’OGM, quelles que soient leurs teneurs, sauf à prouver que la contamination par ces OGM a été fortuite et inévitable. Dans ce cas, et seulement dans ce cas, si la teneur est inférieure à 0,9% par ingrédient, l’étiquetage n’est pas obligatoire. C’est ainsi qu’on ne trouve pratiquement aucun produit alimentaire contenant des OGM sur les étalages, les consommateurs n’en voulant pas. Mais qu’en est-il des semences ?
Ce règlement s’applique également à tout lot de semence génétiquement modifié, ou encore contaminé par des semences génétiquement modifiées autorisées, qui doit donc comporter l’indication « ce produit contient des organismes génétiquement modifiés » [1]. Seule différence, et de taille : l’Union européenne n’a pas légiféré sur le seuil de contamination à partir duquel un lot de semences doit être étiqueté. En l’absence de cette législation, le seuil est donc de zéro et « toute trace détectable d’OGM dans des lots de semences conventionnels exige que les lots soient étiquetés comme contenant des OGM » [2], [3]. Si de surcroît l’OGM détecté n’est pas autorisé à la culture dans l’UE, le lot doit être détruit.
Donc a priori, les choses sont claires : si des OGM sont présents dans les semences, quel que soit le seuil, cela doit être indiqué sur l’emballage. Et ce qui est valable pour les agriculteurs l’est aussi pour les jardiniers amateurs : à supposer que des variétés transgéniques de graines potagères (tomates, melons, carottes…) soient officiellement commercialisées (ce qui, rassurons-nous, n’est pas – encore ? – le cas), elles seraient dûment étiquetées.
Alors, que dénonçaient donc les militants de la Confédération paysanne dans les jardineries le 11 novembre ?
Un OGM peut en cacher un autre…
Si les OGM transgéniques sont a minima réglementés, il n’en va pas de même pour d’autres sortes d’OGM qui passent à travers les mailles du filet… depuis longtemps. Ces OGM sont de deux catégories : ceux issus de mutagénèse aléatoire, depuis les années 50 ; et ceux issus de mutagenèse dirigée et autres techniques nouvelles de transformation du vivant, sans insertion de transgènes. Pour comprendre pourquoi ces OGM sont baptisés « OGM cachés » par les militants, entre autres ceux de la Confédération paysanne, et sans entrer dans les explications techniques [4], il suffit de savoir que les premiers (mutagénèse aléatoire), bien qu’officiellement reconnus comme OGM par la directive européenne 2001/18, sont exclus de l’application de cette directive [5] : ils ne sont donc ni testés, ni étiquetés, ni tracés ; et que le statut des seconds (issus des nouvelles techniques), n’a pas encore été tranché par la législation européenne [6] : OGM ou pas ? Et si OGM, exclus ou pas de l’application de la directive 2001/18 ?
C’est donc essentiellement pour mettre fin à cette absence de transparence que les militants de la Confédération paysanne, accompagnés sur le terrain par diverses structures locales, notamment les comités anti-OGM, ont décidé d’étiqueter eux-mêmes les sachets de graines vendus en jardinerie par Vilmorin, détenue à près de 75% par le groupe Limagrain. Bien sûr, Limagrain n’est pas la seule entreprise semencière concernée par les OGM issus de mutagénèse, ou par les recherches sur les nouvelles techniques de transformation du vivant. On connaît mieux Monsanto (en instance de rachat par l’entreprise allemande Bayer [7]) ; ou encore Syngenta (bientôt rachetée par ChemChina) ; ou la méga-entreprise issue de la fusion de Dow et de DuPont. Mais on sait moins que la « coopérative » française Limagrain est le 4e semencier mondial et qu’il investit près de 15% de son chiffre d’affaire, de 2,4 milliards d’euros tout de même, dans l’amélioration variétale, notamment avec ces nouvelles techniques.
Constance militante
Déjà en novembre 2014, des faucheurs volontaires avaient investi le centre de recherche de Limagrain à Chappes (Puy-de-Dôme), suscitant la réaction de Jean-Yves Foucault, président de Limagrain : « Partout où la production de plantes génétiquement modifiées est interdite, nous n’en produisons pas. De même, partout où cela est autorisé, nous en produisons et en commercialisons, convaincus que les OGM sont une des solutions existantes permettant aux agriculteurs de mieux répondre aux grands enjeux agricoles : produire plus avec moins de ressources dans un contexte de changement climatique » [8]. Cela avait au moins le mérite de la clarté ! Et la Confédération paysanne, accompagnée des Faucheurs, avait récidivé en mai 2016, en occupant les locaux de Vilmorin Jardin, à Portes-lès-Valence (Drôme), « pour protester contre la volonté de la multinationale d’imposer ses nouveaux OGM et leurs brevets » [9]. La Confédération paysanne soulignait à cette occasion l’omniprésence de Vilmorin – Limagrain, avec « ses cadres ou anciens cadres à tous les postes clefs des lieux de décision des politiques publiques concernant les semences : GNIS (interprofession semencière), Union Française des Semenciers, SOC (service officiel de contrôle des semences), GEVES (contrôle public de l’enregistrement au catalogue des semences et de l’octroi de Certificats d’Obtention Végétale), CTPS (Comité Technique Permanent de la Sélection), pôles de compétitivité agronomique… sans oublier pas moins de trois représentants au Comité Économique, Éthique et Social du Haut Conseil des Biotechnologie (HCB) » [10].
OGM donc brevets
Qui dit OGM, ou même OGM cachés, dit brevet, ce que confirme Bruno Carette, directeur des activités semences de grandes cultures de Limagrain, interrogé par notre confrère (et voisin de Limagrain) La Montagne : « En termes de protection des droits des créateurs de nouvelles variétés, il faut conserver le bon vieux certificat d’obtention végétale, un outil indispensable pour maintenir la libre utilisation des ressources génétiques, tout en ouvrant la porte à des brevets uniquement pour des innovations biotechnologiques » [11]. Mais de traces de ces brevets sur les étiquettes, il n’en est pas question dans la loi : le jardinier, comme le paysan, continuera donc à l’ignorer. Quant à l’appropriation du vivant via un brevet, la Confédération est contre.
Dans ce même article, si Limagrain se dit « prêt à débattre, en associant le plus grand nombre d’acteurs du monde agricole, des semenciers aux agriculteurs, en passant par les associations et les consommateurs », il affirme aussi que « ces nouvelles technologies [de transformation du vivant], peut-être plus que les OGM, sont (…) indispensables pour l’agriculture européenne [et que l’on ne peut classer] de façon uniforme l’ensemble des nouvelles techniques sous le seul vocable d’OGM ». Le débat serait-il déjà clos avant même d’être ouvert ?
Nouvelles techniques de transformation du vivant, occupation massive de places stratégiques pour la décision publique, brevets sur le vivant, puissance financière colossale… : on comprend mieux pourquoi Limagrain est parfois affublé du surnom de « Monsanto français » par les militants anti-OGM et les paysans de la Confédération paysanne [12].
[3] L’article 21.2 de la directive 2001/18 annonce qu’un seuil minimal doit être fixé pour l’étiquetage des traces inévitables d’OGM. Dans l’attente de cette précision en ce qui concerne les lots de semences, la France, conformément à l’article 21 de la loi 2008-595 doit fixer ce seuil. Le décret de mise en œuvre est toujours attendu, voir : http://www.infogm.org/-Reglementation-europeenne-OGM-
[4] explications que l’on pourra trouver dans de nombreux articles sur notre site, voir notamment notre dossier spécial : http://www.infogm.org/-des-nouveaux-ogm-au-menu-
[5] La raison en est (considérant 17 de la directive), que ces « techniques de modification génétique (…) ont été traditionnellement utilisées pour diverses applications et [leur] sécurité est avérée depuis longtemps ».
[6] La Cour de justice va être amenée à se prononcer sur ce dossier dans le cadre d’une demande de question préjudicielle du Conseil d’État français, voir ,
,
, « France / UE – La Cour de Justice sera consultée sur les plantes tolérant les herbicides », Inf’OGM, 6 octobre 2016
[7] , « Monsanto – Bayer : généalogie d’un monstre », Inf’OGM, 17 novembre 2016
[10] , « Des paysans occupent les locaux de Vilmorin – Limagrain », Inf’OGM, 20 mai 2016
[11] http://www.lamontagne.fr/clermont-ferrand/economie/agroalimentaire/2016/11/11/limagrain-lance-le-debat-sur-le-vegetal_12150763.html
[12] Cette enquête d’Inf’OGM sera poursuivie dans le prochain N° de son bimestriel (à paraître fin décembre 2016)