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19 OGM autorisés : la Commission donne des gages à l’industrie
Le 24 avril 2015, la Commission européenne a autorisé l’importation de 19 plantes génétiquement modifiées (PGM) [1]. Cette décision a été prise suite à l’absence de majorité qualifiée lors des votes des États membres. L’autorisation a été délivrée deux jours après que la Commission ait proposé aux États membres un outil supplémentaire pour interdire nationalement l’importation d’OGM [2]. Une décision qui constitue un signal politique pour les entreprises de biotechnologie, les États-Unis et les États membres de l’Union européenne.
MISE A JOUR – En février 2015, des organisations professionnelles étasuniennes exigeaient de la Commission une autorisation de ces OGM.
Deux jours. Voilà le temps que la Commission européenne aura laissé passer entre la proposition faite aux États membres pour interdire nationalement l’importation d’OGM et l’autorisation formelle de 19 d’entre eux. Deux jours pour signifier aux États membres que la Commission européenne souhaite maintenant reprendre la main sur les autorisations.
Les 19 PGM autorisées à l’importation
Les PGM concernées par la décision d’autorisation délivrée ce 24 avril 2015 avaient tous passé le stade de vote des États membres. Mais aucune majorité qualifiée n’ayant été obtenue, conformément aux règles de comitologie, la Commission européenne avait hérité de la décision finale à prendre. Dans le détail, il s’agit de dix nouvelles autorisations d’importation à destination de l’alimentation humaine et animale [3], de deux nouvelles autorisations pour l’importation seule (des œillets) [4] et de sept renouvellements d’autorisation pour l’alimentation humaine et animale [5]. Par cette décision, la Commission européenne met donc un terme à 17 mois sans décision d’autorisation, la dernière décision remontant à novembre 2013 pour l’importation de dix OGM [6]. Dans le paquet des autorisations données se trouve celle de renouvellement d’autorisation du maïs Nk603. Il faut ici rappeler que ce maïs fait, depuis 2012, l’objet d’une controverse scientifique quant aux impacts sanitaires sur le long terme liés à sa consommation suite à l’article de G.-E. Séralini [7]. Une controverse qui avait amené la Commission européenne à mettre en place une étude sur les effets à long terme d’OGM [8]. En décidant d’autoriser ce maïs, la Commission européenne fait donc le pari que cette étude conclura à l’absence d’impacts…
La décision d’aujourd’hui porte donc à 70 le nombre d’OGM autorisés à l’importation dans l’Union européenne, dont une majorité pour l’alimentation humaine et animale. 44 OGM restent en attente d’une décision finale, soit parce qu’ils attendent d’être évalués par l’Autorité européenne de sécurité des aliments (AESA), soit parce qu’ils doivent être soumis au vote des États membres.
Un louvoiement difficile à suivre
Comment comprendre le calendrier de la Commission européenne alors même qu’elle vient d’initier un travail législatif avec les États membres sur les importations d’OGM justement ?
D’une part, le groupe de lobby des entreprises de biotechnologies EuropaBio et d’autres avaient, en octobre 2014, déposé une plainte auprès de la médiatrice européenne, pour dénoncer les délais de traitement de plusieurs demandes d’autorisation d’OGM [9]. Cette plainte n’avait aucun enjeu judiciaire, la médiatrice pouvant au mieux rappeler la Commission européenne à ses obligations. Mais elle constituait un signal clair que les entreprises ne souhaitaient plus que l’Union européenne maintienne ce qu’elles considéraient être un moratoire de facto, à savoir plusieurs mois sans décision du fait de travaux législatifs en cours.
D’autre part, la Commission européenne est engagée dans une négociation sur un partenariat transatlantique pour le commerce et l’investissement [10] avec les États-Unis. Par cette décision, la Commission européenne fait donc le choix d’envoyer un signal au gouvernement étasunien et aux entreprises qui l’avaient clairement demandé pas plus tard qu’en février 2015 (cf. encadré ci-dessous) : l’Union européenne ne fermera plus son marché aux importations d’OGM. Car les entreprises se sont régulièrement plaintes de l’absence de synchronisation entre les autorisations étasuniennes et les autorisations européennes. Avec 19 autorisations d’un coup, la Commission européenne compense de manière non négligeable ce « retard ».
Quand les producteurs de soja étasuniens menacent la Commission européenne
Le 12 février 2015, treize organisations étasunienne adressaient un courrier au chef de la Direction Générale de la Santé des Consommateurs (DG Sanco), le Commissaire Vytenis Andriukaitis [11] [12]. Objectif : demander à la Commission européenne « d’approuver treize demandes d’autorisation d’importation sans délai ». Ces treize demandes (pas précisément listées dans le courrier) sont toutes dépendantes d’une décision finale de la Commission européenne, après avoir passé les étapes de vote des États membres (Comité Permanent de la Chaîne alimentaire et Comité d’appel).
Pour argumenter leur demande, les organisations étasuniennes rappellent que l’Union européenne est dépendante d’importations en protéines pour son alimentation animale et qu’une non décision d’autorisation pourrait provoquer une « désorganisation de l’approvisionnement essentiel des stocks alimentaires nécessaires aux industries européennes d’élevage de bétail, de volaille et alimentaires ». Et elles soulignent que « toute désorganisation du commerce induira des coûts, notamment pour les consommateurs européens ».
Pour conclure, elles rappellent que l’OMC requiert de ses membres que des décisions sur des demandes d’autorisation d’OGM soient prises selon un calendrier précis. Une menace à peine cachée d’une seconde plainte à l’OMC ? Enfin, elles précisent au Commissaire que « le respect par l’Union européenne de ses obligations commerciales existantes est nécessaire pour permettre le succès des négociations en cours sur le partenariat transatlantique de commerce et d’investissement (TTIP) ».
Un signal que constate d’ailleurs l’eurodéputé José Bové qui considère que « le Président de la Commission européenne Jean-Claude Juncker se couche devant le lobby des entreprises transgéniques. Il se moque des consommateurs européens qui depuis le début sont opposés aux plantes transgéniques. Il fait une concession majeure pour faciliter la signature de l’accord de libre-échange avec les USA, les OGM en étant une des pommes de discorde » [13].
Comment la CE veut-elle revoir les procédures d’autorisation ? En reprenant la main !
Pour ce qui concerne l’alimentation humaine et animale, la Commission européenne a donc aujourd’hui finalisé les demandes d’autorisation dépendantes de sa seule décision. Et ce, alors qu’elle était plutôt attendue sur un autre dossier, cette fois pour la culture, celui du maïs TC1507. La Commission européenne ayant fait adopter par les États membres en janvier 2015 une nouvelle procédure d’interdiction nationale de mise en culture d’OGM [14], tout le monde s’attendait à ce que sa première décision d’autorisation concerne ce maïs plutôt que les OGM destinés à l’importation. Dans un premier temps, la Commission contente donc les entreprises de biotechnologie, avec les importations, sans mécontenter les États membres ni surtout leur population, en n’autorisant pas une nouvelle PGM à la culture.
Suite à sa prise de fonction comme Président de la Commission européenne, Jean-Claude Juncker annonçait en 2014 que la Commission allait revoir les procédures d’autorisation des OGM et le 22 avril, elle présentait un nouvel outil pour interdire nationalement les importations d’OGM. Mais en guise de révision des procédures, la Commission européenne pourrait bien avoir décidé de changer de politique. Si la Commission Barroso attendait la fin des discussions sur des textes législatifs (comme sa proposition d’interdiction sur la culture) pour décider ensuite des autorisations, la Commission Juncker affiche clairement qu’elle n’attendra pas : deux jours après sa proposition, elle autorise les PGM en attente. C’est donc une reprise voire une accélération du calendrier de traitement des demandes qui est mise en œuvre. On en vient presque à douter de la sincérité de la proposition d’avant-hier…
[1] Communiqué de presse de la Commission européenne, 24 avril 2015, http://europa.eu/rapid/press-release_IP-15-4843_fr.htm
[2] , « Les États pourront-ils vraiment interdire les OGM importés ? », Inf’OGM, 23 avril 2015
[3] le maïs MON 87460, les sojas MON 87705, MON 87708, MON 87769, 305423 et BPS-CV127-9, le colza MON 88302 ainsi que les cotons T 304-40, MON 88913 et LLCotton25 × GHB 614
[4] œillets des lignées IFD-25958-3 et IFD 26407-2
[5] les maïs T25 et NK603, le colza GT73 et les cotons MON531 × MON1445, MON15985, MON531 et MON1445
[6] , « UE – Dix nouvelles autorisations d’OGM pour l’importation données par la Commission européenne », Inf’OGM, 6 novembre 2013
[7] , « Etude G.-E. Séralini : quel bilan ? (dossier) », Inf’OGM, 6 décembre 2012
[8] , « OGM : cinq projets européens pour éviter à terme les analyses de toxicologie ? », Inf’OGM, 18 décembre 2014
[9] , « Autorisations d’OGM : la lenteur de la Commission européenne à nouveau dénoncée », Inf’OGM, 11 décembre 2014
[10] Transatlantic Trade and Investment Partnership – TTIP ou TAFTA
[12]
[13] Communiqué de presse des Verts européens, 24 avril 2015
[14] , « OGM – Fin du débat sur les interdictions nationales », Inf’OGM, 13 mars 2015