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Venezuela – Une « loi semences » révolutionnaire pour les droits des paysans
Anti-brevet, anti-Certificat d’obtention végétale (COV) et anti-OGM, dès l’article 1 : telle se présente cette nouvelle loi sur les semences au Venezuela. Et l’on va de surprise en surprise au fil de ses articles : libre échange de semences entre paysans, création de maisons des semences, système de garantie de qualité participatif, promotion de l’agro-biodiversité et de l’éco-socialisme… Seul hic, mais de taille : cette loi révolutionnaire a été adoptée par une Assemblée nationale à majorité chaviste qui vient de perdre les élections législatives. Sera-t-elle un jour appliquée ?
Le 23 décembre 2015, l’Assemblée nationale [1] du Venezuela a approuvé une nouvelle loi sur les semences [2]. Si son article 1 débute avec des objectifs conformes à ceux de beaucoup d’autres pays « préserver, protéger, garantir la production, la multiplication, la conservation, la libre circulation (ça, c’est déjà moins courant ailleurs, NDLR) et l’usage de la semence, ainsi que la promotion, la recherche, l’innovation, la distribution [de semences…] », il se prolonge cependant, et de façon plus originale, par des considérations plus politiques, avec les mots suivants : « …et les échanges [de semences] dans une vision agroécologique socialiste en privilégiant la production nationale de semences, spécialement en valorisant la semence indigène, des descendants africains, paysanne et locale, contre les brevets et le droit d’obtention sur la semence en empêchant la libération, l’usage, la multiplication, l’entrée dans le pays et la production nationale de semences transgéniques pour atteindre et garantir la sécurité et la souveraineté agro-alimentaire et le droit à une alimentation saine et nutritive, la conservation et la protection de la diversité biologique, ainsi que la préservation de la vie sur la planète, en conformité avec ce qu’établit la République bolivarienne du Venezuela [3] ».
Interdiction des semences issues des biotechnologies modernes
Anti-brevet, anti COV et anti-OGM, dès l’article 1, il fallait oser ! L’article 64 précise que « la production, importation, commercialisation, distribution, libération, usage et multiplication d’OGM via la biotechnologie moderne » sont interdites, sous peine de 5 à 10 années de prison (art.70). Sont également interdits « l’octroi de droits d’obtenteur et de brevets sur la semence, ainsi que n’importe quel autre mécanisme qui promeut leur privatisation » (art.66), avec la même sanction que celle prévue pour les OGM. Il faut dire que le Venezuela est l’un des deux pays d’Amérique latine, avec Cuba, à n’avoir pas adhéré au système de l’Union pour la protection des obtentions végétales (Upov) [4]
Dans une interview au journal El Universal, le député Alfredo Ureña, cheville ouvrière de cette loi, rappelle que l’article 127 de la Constitution interdit la brevetabilité du génomes des êtres vivants et « les semences étant des êtres vivants, elles ne peuvent être brevetées ». Comme dans l’Union européenne, serait-on tenté de dire, mais qu’en est-il du brevetage de chacun des gènes, puisque c’est à travers ce brevetage qu’en Europe, les semenciers arrivent tout de même à breveter des plantes ?
Interrogé par Inf’OGM, le service autonome de la propriété intellectuelle du Venezuela [5] ne nous a pas encore répondu. Signalons que lorsque le Venezuela est sorti de la Communauté andine, les obligations qu’il avait contractées avec cette adhésion en matière de certificat d’obtention végétale sont tombées, ramenant le pays à la loi de propriété intellectuelle de 1955 [6]. Bien sûr, à cette époque, les « inventions » sur les gènes n’étaient pas légion et aucun paragraphe de cette loi n’en fait donc mention. Cependant, l’article 15.3 de cette loi stipule que n’est pas brevetable « le simple usage (…) de substances (…) naturelles, même s’il résulte d’une récente découverte ». Les gènes pourraient donc faire partie des exclusions de brevetabilité. Reste son adhésion à l’OMC en 1995, qui en théorie l’oblige à protéger, d’une façon ou d’une autre, les variétés végétales.
Dans ses objectifs (article 3), la loi annonce qu’il s’agit de « pousser la transition des systèmes de production conventionnels, basé sur des monocultures et l’utilisation d’agro-toxiques avec des semences agro-industrielles (…) vers l’agroécologie et la préservation de l’environnement (…) », le tout en « revalorisant et relégitimant les connaissances, savoirs, croyances et pratiques locales, traditionnelles et ancestrales des paysans, paysannes, indigènes, afro-descendants et autres communautés ». L’article 42 insiste sur la liaison semences et connaissances associées, qui constituent « la partie essentielle [des] systèmes agroalimentaires et de l’agro-biodiversité », ces connaissances et pratiques ne pouvant faire l’objet d’aucun droit de propriété intellectuelle (art.43).
Reconnue « être vivant » (art.4), la semence est également déclarée « bien commun d’intérêt public, culturel et naturel, matériel et immatériel des peuples » (art.5), et d’utilité publique et d’intérêt social (art.7). On trouve également dans cette loi les grands principes et les valeurs qui sous-tendent la révolution bolivarienne, dont la lutte contre la pauvreté et l’exclusion générée par le capitalisme et le néocolonialisme ; l’équité de genre et la justice sociale ; la reconnaissance du rôle historique de la femme ; l’écosocialisme… (art.8).
Des semences libres et des systèmes de garantie participatifs
La loi définit le terme de « semence libre » comme étant « la semence locale, paysanne, indigène, « afrodescendante », comme toute semence générée avec le soutien de l’État, qui peut être améliorée, produite, échangée et commercialisée librement sur tout le territoire national sans qu’on lui applique, ni à elle ni aux pratiques, connaissances et croyances qui lui sont associées, un droit d’obtenteur ni aucun autre droit de propriété intellectuelle » (art.12). Des « licences pour usage libre » sont octroyées à ces semences (art.13), qui peuvent donc « se produire et s’échanger librement (..) en assurant leur qualité par des systèmes participatifs de garantie de qualité » (art.14). Les partisans de tels systèmes, si difficiles à faire reconnaître dans nos contrées, apprécieront [7].
Une commission nationale des semences est créée pour veiller au respect de cette loi, encadrer les acteurs de la filière (art.17), définir le plan national de semences (art.18) et superviser le registre national des semences (art.22). Une fois inscrites au registre, les semences entrent dans un processus de certification de semences. Ces semences certifiées doivent être emballées et étiquetées selon la loi, sous la responsabilité des négociants (art.29 à 31).
Des banques de germoplasme sont créées pour les « cultures d’intérêt alimentaire » (sans que celles-ci soient précisées dans la loi) : elles sont d’accès libre et aucun droit d’obtenteur ou d’autre type de propriété intellectuelle ne peut leur être appliqué (art.41). Le rôle de « gardien et gardienne de semences » est reconnu et l’État aidera ces agriculteurs (art.47). Des conseils populaires de sauvegarde et protection des semences sont créés (art.49 et 50). Ils reconnaîtront, entre autres, les systèmes de garantie participatifs, travailleront au renforcement de l’agriculture familiale, à la création de maisons de semences (art.57) et de réseaux d’échanges de semences (art.53).
Approuvé une première fois en octobre 2014, le projet de loi a ensuite été soumis, comme le prévoit la constitution, à une large consultation populaire. La loi entrera en vigueur 90 jours après sa publication au JO, soit fin mars. Mais la récente victoire de la droite aux dernières élections législatives (décembre 2015), ouvrant la porte à une cohabitation houleuse [8], permettra-t-elle que cette loi soit un jour appliquée [9] ? [10]
[1] Dans le cadre de la nouvelle constitution « bolivarienne » de 1999, le nouveau parlement du Venezuela est constitué d’une unique chambre, l’Assemblée nationale
[2] Publiée au Journal officiel le 28 décembre 2015, http://www.mat.gob.ve/boletines_pdf/LEY_DE_SEMILLAS_de_VENEZUELA.pdf. Elle annule et remplace l’ancienne loi sur les semences du 18 octobre 2002
[3] Traductions d’Inf’OGM
[4] , « Semences en Amérique latine : vers une privatisation générale », Inf’OGM, 30 avril 2015
[6] Ley de Propiedad Industrial – Publiée au Journal Officiel Nº 24873 du 14 octobre 1955, http://www.sice.oas.org/int_prop/nat_leg/Venezuela/lips.asp#capII
[7] voir l’expérience de Nature et Progrès à qui l’Union européenne veut retirer sa mention à cause justement de ce système
[9] Pour suivre l’actualité sur cette loi, voir : http://www.biodiversidadla.org/Paises/Venezuela