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UE – OGM : vers des autorisations ou des interdictions nationales ?

Par Christophe NOISETTE

Publié le 03/03/2014

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La Grèce et la France ont fait officiellement deux propositions lors du Conseil environnement de l’Union européenne de ce lundi 3 mars 2014, pour permettre aux États membres de se positionner sur les autorisations de mise en culture d’une plante génétiquement modifiée (PGM). La proposition grecque ressemble à celle qu’avait faite le Danemark et ne convainc pas certains pays, comme la France… Cette dernière souhaite une proposition qu’elle estime plus solide que celle de la Grèce, qui ne permet pas d’interdire mais d’autoriser nationalement une PGM. En effet, depuis 2008, les différents gouvernements français qui se sont succédé, droite ou gauche, ont tous voulu maintenir une agriculture sans OGM mais se sont aussi toujours heurtés à des contraintes juridiques. Bientôt la fin de ces allers-retours judiciaires incessants ?

Selon l’ordre du jour du Conseil des ministres de l’Environnement qui se tient aujourd’hui à Bruxelles, « les ministres procéderont à un échange de vues sur un projet de règlement modifiant la directive 2001/18/CE en ce qui concerne la possibilité pour les États membres de restreindre ou d’interdire la culture d’OGM sur leur territoire ».

Depuis 2010, l’UE cherche à rendre les interdictions nationales plus faciles

Tout a commencé en 2010… A la tête de la DG de la santé et des consommateurs (dite DG Sanco), le Commissaire John Dalli, qui a depuis quitté ses fonctions, proposait aux États membres de sortir du blocage des autorisations à la culture. En effet, si une cinquantaine de PGM sont autorisées à l’importation, pour l’alimentation humaine et animale, très peu ont été autorisées à la culture. Actuellement, une seule l’est encore : le maïs MON810. En Juillet 2010, Dalli proposait au Conseil et au Parlement d’ajouter un article à la directive 2001/18 – un article 26 ter – qui prévoit que les autorisations de commercialisation d’OGM « ne devraient pas affecter la possibilité pour les États membres d’adopter des mesures, interdisant, et empêchant la culture de tout OGM ou d’un OGM, y compris les OGM mis sur le marché ». Mais, et c’est là où le bât blessait pour les ONG et certains gouvernements, cette possibilité de restriction ne devait ni se baser sur des aspects sanitaires et environnementaux, ni sur des questions de coexistence ou de contamination (déjà couvertes par l’article 26 bis et les recommandations sur la coexistence). Les seules raisons a priori évocables étaient des raisons éthiques, agronomiques, ou socio-économiques (par exemple protéger des zones naturelles), sans que le type d’arguments utilisables par un État membre pour fonder cette interdiction ne soit explicitement énoncé. Comme le soulignait à l’époque l’association les Amis de la Terre Europe, cette proposition était « criblée d’incertitudes juridiques  », et elle la qualifiait donc de mesures « vides » et « dangereuses » [1]

Depuis rien n’a vraiment évolué… Et pour cause, aucun accord sur cette proposition n’a pu voir le jour entre les États membres.

La Grèce reprend la proposition danoise… et la modifie à la marge

Le 3 mars 2014, la Grèce, alors présidente de l’UE, a remis ce débat sur la table, avec une proposition quasiment identique à celle du Commissaire Dalli modifiée par la proposition du Danemark [2]. Cette proposition, qu’Inf’OGM s’est procurée, consiste à modifier l’article 26b de la directive 2001/18. Ainsi, au cours de la procédure d’autorisation d’un OGM donné, un État membre pourrait exiger « au notifiant d’ajuster la portée géographique de sa notification (…) ayant pour effet que sa culture [serait] exclue de tout ou partie du territoire de l’État membre » ; en échange, l’État membre ne s’opposera pas à son autorisation. Au cas où le notifiant ne notifie aucun ajustement de sa notification, cet État membre peut adopter des mesures pour interdire ou restreindre la culture de l’OGM donné, « à condition que les mesures soient en conformité avec le droit européen, raisonnable, proportionnel et non discriminatoire »… Il doit alors notifier ces mesures à la Commission, lesquelles sont alors commentées et amendées par les autres États et la Commission elle-même.

Selon une note de Greenpeace Europe, « cette proposition souffre des mêmes imperfections juridiques que le texte original », notamment car les éventuelles interdictions nationales ne pourraient faire référence à des impacts sanitaires et environnementaux, dont l’appréciation serait laissée à la seule l’Agence européenne de sécurité alimentaire (AESA/EFSA). Or cette dernière, notamment du fait de conflits d’intérêt, est un levier de l’industrie pour favoriser les autorisations. D’autre part, limiter le commerce de biens, au sein de l’UE ou au niveau mondial ne peut se faire, selon les règles de l’OMC, que sur des critères sanitaires ou environnementaux. Cependant, la Grèce a précisé que les motivations à une telle interdiction pourrait aussi être liées à des politiques environnementales (protection de certains habitats ou écosystèmes, aménagement du territoire, coexistence avec les autres modes de production), mais sans que ceci ne rentre en conflit avec les travaux de l’AESA… Pour Greenpeace et d’autres associations opposées aux OGM, cela ne changera rien et les moratoires nationaux seront donc toujours fragiles face à des procès engagés par les entreprises semencières [3]. A noter que cette proposition envisage la possibilité de mesures transitoires pour les OGM déjà autorisés ou qui le seraient avant que cette modification de la directive 2001/18 ne rentre en application.

Une telle proposition pourrait être acceptée à la majorité qualifiée. Au cours du débat, la majorité des États membres ont considérer ce texte comme une bonne base en vue d’un accord politique. ,Le Royaume Uni, jusqu’à présent opposé, s’est déclaré très favorable à un tel système. De même, l’Allemagne envisage de « passer d’un rejet absolu à un examen approfondi« . La Belgique, elle, s’est déclarée ouvertement opposée à ce texte, considérant qu’il engendrerait « un système opaque qui perturberait le marché intérieur« .

Qui veut prendre l’autobus avec le Commissaire Borg ?

Le Commissaire Borg évoquant le projet de « nationalisation » des interdictions a utilisé la métaphore du bus, considérant qu’il était urgent d’agir… Il a fait un clin d’oeil à la France : « nous n’avons plus le temps de construire un autre autobus, il est temps de s’embarquer dans celui que nous avons« . A la fin du conseil, reprenant sa métaphore, il a souligné : « je suis ravi que le moteur du bus soit toujours allumé et que le chauffeur soit prêt à démarrer« , ce à quoi Philippe Martin a répondu en demandant des garanties quant à la sécurité juridique de la proposition grecque, en espérant avec ironie que « cet autobus ne voie pas son permis de conduire retiré par l’OMC« .

Devant les difficultés rencontrées pour interdire sur son territoire le maïs MON810 et devant l’arrivée imminente du maïs TC1507, la France avait décidé de reprendre l’idée de nationalisation mais a proposé sa propre modification du cadre européen : elle souhaite lui donner une base plus solide et un cadre plus ferme…

La France veut des autorisations nationales sur la base d’une pré-autorisation européenne

La proposition française se base sur la directive « phytosanitaire ». Comme Philippe Martin, ministre de l’Environnement, l’a annoncé aujourd’hui au conseil de l’UE, il s’agit d’un système à deux étages : « l’étage européen concernerait les procédures actuelles, notamment les évaluations des risques pour la santé et l’environnement. Toutefois, au lieu d’aboutir à une décision pour la mise en culture, il aboutirait à inscrire un OGM sur une liste européenne qui pourrait être examinée et autorisée par les Etats membres« . Au niveau national, le pétitionnaire (celui qui a déposé un dossier d’autorisation) solliciterait une autorisation nationale de mise en culture. Cette décision nationale pourrait être établir selon des critères autre que la santé et l’environnement. Autrement dit, on aurait une autorisation européenne pour le transgène et une déclinaison nationale pour les semences… L’État membre peut alors, avant d’accepter une telle autorisation, procéder à sa propre évaluation de l’OGM en question. Philippe Martin a ensuite précisé : « Cette approche de double étage nous parait plus solide que le système dérogatoire proposé, car il s’appuie en effet sur un modèle éprouvé de la législation européenne » (pesticide ou certaines médicaments). Et d’insister : « C’est un sytème qui fonctionne et les pays tiers n’ont pas fait de recours auprès des instances de l’OMC« .

La Commission européenne a déjà souligné que, pour elle, l’évaluation des OGM devait rester de la seule prérogative de l’AESA… Le ministre a pris soin de préciser que l’adoption de la proposition française pourrait se faire aussi rapidement que celle de la Grèce, c’est-à-dire avant la fin juin 2014. En effet nombreux ont été les États membres à souhaiter une envie de décision rapide et à rejeter la proposition française, considérant qu’elle faisait repartir les discussions de zéro. La France peut compter cependant sur le soutien de la Slovénie qui s’est dite « ouverte à d’autres propositions qui pourraient faire régner la sécurité juridique de telles interdictions« . De même l’Allemagne a invité les autres États membres « à examiner la proposition française, laquelle « n’est pas dénuée d’intérêt« .

La société civile se méfie de ces propositions qui pourraient masquer des évaluations plus laxistes

Plusieurs organisations de la société civile, opposées à la dissémination des PGM dans l’environnement et l’agriculture, ont eu, à plusieurs reprises, l’occasion de préciser à Stéphane Le Foll, ministre français de l’agriculture, les points sur lesquels elles seront vigilantes. Pour elles, cette proposition ne doit pas masquer le débat actuel sur les évaluations des PGM transgéniques. Autrement dit, le fait qu’un État puisse garder la mainmise sur les autorisations de mise en culture ne doit pas s’accompagner d’un désengagement de ces États vis-à-vis du processus européen d’autorisation. Elles écrivent donc « face aux incertitudes soulevées par une éventuelle modification de la réglementation européenne, nous vous rappelons qu’il est plus que nécessaire de revoir l’évaluation des OGM au niveau européen », en imposant, pour l’évaluation sanitaire, par exemple des études de toxicologie sur deux ans, sur les effets cocktail des gènes empilés, sur le couple PGM/herbicides/pesticides, etc. ; et pour l’évaluation environnementale, la prise en compte par la Commission européenne d’une demande faite à l’unanimité des États membres en 2008. Les associations soulignent aussi qu’« il est également essentiel d’assurer l’indépendance totale des experts et que les (…) études publiques indépendantes soient financées par le(s) demandeur(s) ». Elles demandent aussi que l’Agence d’évaluation européenne (AESA) soit « obligée de prendre en considération les avis et de répondre aux questions émanant des évaluations nationales ». Une fois ces exigences sur l’évaluation globale des PGM rappelées, les associations demandent que «  la souveraineté du Conseil et du Parlement européens [soit] réaffirmée : la Commission doit appliquer leur décision à la majorité simple, l’AESA n’étant qu’un support à la décision et non un organe de décision » ; autre demande, que « la possibilité laissée aux États d’autoriser ou non les cultures d’OGM autorisés par l’UE (…) [soit] fermement réaffirmée. Cette interdiction doit pouvoir se baser sur des arguments sanitaires, environnementaux, socio-économiques et éthiques. A ce titre, il est indispensable de maintenir l’article 26 bis de la directive 2001/18 ». Elles vont même jusqu’à exiger que le droit européen puisse permettre « de suspendre les autorisations à la consommation ». En effet, pour elles, il est problématique d’interdire la culture de PGM et d’en autoriser les importations… Ceci revient ni plus ni moins à « coloniser » des terres en Amérique pour produire le soja qui nourrira notre bétail. L’autonomie des filières doit primer, et c’est donc bel et bien une vision politique qui est demandée. C’est le modèle agricole externalisé qu’il faut remettre en cause. Le débat sur les OGM le permettra-t-il ?

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