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Règlement OGM/NTG : trilogue de sourds sous pression danoise

Par Denis MESHAKA

Publié le 25/11/2025, modifié le 02/12/2025

    
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Les négociations concernant le futur règlement européen sur les nouvelles techniques de modification génétique se concentrent depuis quelques mois sur deux points sensibles : brevetabilité et durabilité. Soucieuse de clore le dossier avant la fin de l’année, la Présidence danoise accélère la recherche d’un compromis, au risque de négliger les enjeux qui concernent particulièrement les petits et moyens sélectionneurs et agriculteurs. Un accord sera cherché cette semaine par le Danemark, qui a d’ores et déjà menacé de geler les discussions et renvoyer le texte au Parlement européen pour une seconde lecture.

En juillet 2023, la Commission européenne a proposé de déréglementer de nombreux OGM issus des nouvelles techniques de modification génétique (NTG). Depuis, la Commission, le Parlement européen et le Conseil de l’Union européenne sont engagés dans des négociations appelées « trilogue ». Ces négociations butent actuellement sur deux points encore dépourvus de consensus – la brevetabilité et la durabilité – comme le révèle un document informel (« non paper ») de la Présidence danoise du Conseil, daté du 24 octobre et obtenu par Inf’OGM. Les positions du Parlement, d’une part, du Conseil et de la Commission d’autre part, restent éloignées malgré des concessions faites par les eurodéputés. Or, le Danemark souhaite qu’un accord sur ces deux points soit trouvé avant la fin de l’année. Pour ce faire, il menace de stopper le trilogue et de renvoyer directement le texte en deuxième lecture au Parlement si les eurodéputés ne cèdent pas sur les brevets, l’étiquetage et la traçabilité. Le Danemark estime qu’une majorité, avec le soutien de l’extrême droite, appuierait alors la position du Conseili.

Les positions des acteurs sur la « durabilité »

Initialement, les négociations devaient porter sur les deux points saillants votés par le Parlement : une traçabilité et une interdiction des brevets sur les NTG1. Outre des critères liés à la nature génétique des modifications elles-même, le groupe Renew du Parlement veut que le statut déréglementé (NTG1) soit attribué uniquement si la « durabilité » des plantes OGM qui peuvent être déréglementées est démontrée avec des critères mesurables, encore très larges à ce stadeii. Cela introduit un troisième front qui risque, si le Conseil accepte un compromis sur ce point, que le groupe Renew soit obligé de voter en faveur et donc d’abandonner les enjeux liés à l’étiquetage et aux brevets. Une entreprise devrait donc déclarer officiellement que sa plante respecte ces critères, fournir des données pour le prouver, et accepter que les autorités effectuent des contrôles aléatoires pour vérifier que ces déclarations sont exactes. La Présidence danoise et le Conseil demandent que le statut déréglementé NTG1 n’intègre pas ce critère de « durabilité » mais soit uniquement basé sur une supposée équivalence de la plante OGM/NTG1 avec une plante obtenue par sélection conventionnelle, car ils craignent que des contrôles supplémentaires ne compliquent la procédure.

Trois approches restent envisagées sur ces critères de durabilité :

On peut supposer que par « incitations » il est question d’un dispositif dans lequel la durabilité n’est pas une condition obligatoire pour le statut NTG1, mais où des avantages (procédures plus rapides, des coûts réduits ou un accès facilité au marché…) seraient accordés aux acteurs qui développent des plantes présentant des caractéristiques jugées durables.

En somme, le Parlement veut conditionner le statut NTG1 à des critères mesurables de durabilité, vérifiés par données et contrôles. La Commission préfère un système d’incitations où la durabilité n’est pas obligatoire mais « récompensée », alors que le Conseil veut fonder le statut NTG1 sur l’équivalence avec la sélection conventionnelle.

De son côté, la coordination européenne Via Campesina (ECVC) rappelle que la « durabilité ne peut jamais se résumer à un seul caractère génétique, elle est au contraire toujours polygénique, et bien évidemment dépendante du modèle agricole et du terroir dans lequel la plante est cultivée. » Elle donne sa position dans une note où elle établit une liste de caractères non durables empêchant les plantes qui les contiennent d’accéder à la catégorie NTG1 (voir encadré) iii.

La position des acteurs sur la brevetabilité

Introduite au débat en février 2024 au moment du vote parlementaire sur l’exclusion de la brevetabilité du matériel issu des NTGiv, la question des brevets reste aujourd’hui le principal point de blocage dans le trilogue. Selon le non paper, le Parlement, qui proposait initialement d’interdire les brevets sur les plantes NTG1, serait aujourd’hui prêt à un compromis, à condition d’intégrer au règlement des « mécanismes de sauvegarde » garantissant un accès équitable au matériel végétal – breveté notamment – pour les sélectionneurs.

Les mécanismes de sauvegarde proposés comprendraient :

Cette proposition surprend lorsqu’elle prévoit d’exclure les traits naturels ou issus de sélection conventionnelle alors même que la Commission fonde toute sa démarche sur l’impossibilité alléguée de distinguer les NTG1 des plantes conventionnelles.

Même si, sous la pression danoise, la position du Parlement pourrait évoluer, aucun consensus clair et protecteur ne semble à ce stade se dessiner pour les petits et moyens semenciers et agriculteurs. En effet, même si les garanties relatives aux brevets nouvellement réclamées par le Parlement peuvent être vues comme des garde-fous, elles ne suffisent pas à rassurer les semenciers et les agriculteurs. Deux exemples parmi les mesures de sauvegarde proposées l’illustrent : les licences « équitables » et l’exclusion des traits natifs.

Licences équitables

Le sujet des licences équitables – permettant à un tiers d’utiliser un végétal ou un produit NTG1 couverts par brevet avec autorisation du détenteur du brevet – illustre bien l’incertitude qui règne encore en Europe sur ce sujet des brevets. La licence FRAND, par exemple, proposée par le Parlement, est habituellement utilisée pour des inventions essentielles à une norme technique particulière, comme le Wifiv. Son but est de garantir que ces brevets ne soient pas utilisés de manière abusive pour limiter la concurrence. Or, il n’est pas évident que les technologies génomiques puissent accueillir des normes techniques, en tout cas pas à court terme. De plus, la notion de « licence équitable » n’est pas précisément définie par le droit européen, même si l’article 12 (« Licences obligatoires pour dépendance ») de la Directive 98/44 sur les inventions biotechnologiques parle de « conditions raisonnables »vi. Dans les faits, on se réfère au droit national en la matière, en l’espèce l’article L 613-15-1 CPI pour la Francevii. Une précision du Conseil accentue l’incertitude : le titulaire du brevet n’est pas tenu d’indiquer s’il accepterait de concéder une licence, ce qui ne favorise en rien la transparence.

La présidence danoise affirme que « des outils existent déjà pour répondre en partie à ces préoccupations [NDLR :l’utilisation par un tiers d’un végétal ou d’un produit NTG1 couvert par brevet] et propose d’améliorer la transparence via une surveillance accrue des plateformes de licences, inspirée d’un mécanisme de code de conduite ». Or, ces plateformes ne sont pas accessibles à tousviii, et il semble difficile de concilier au sein d’un code de conduite des intérêts aussi divergents que ceux de l’industrie et des « petits acteurs ». D’autant que la Commission européenne, pro-NTG, jouera un rôle central dans l’élaboration dudit code.

Exclusion des traits naturels

Des brevets couvrant des traits natifs ont déjà été délivrés en Europe et la déréglementation des plantes issues des NTG amplifierait ce phénomène. L’exclusion des traits natifs de la portée d’un brevet – le disclaimer selon de l’OEB (Office européen des brevets) – proposé par le Parlement reste néanmoins une fausse solution pour protéger les petits et moyens semenciers et agriculteurs. L’OEB explique que pour éviter qu’un brevet sur des végétaux obtenus par un procédé technique ne s’étende à des végétaux obtenus par des procédés biologiques, un disclaimer excluant explicitement ces derniers doit être inséré dans les revendications du brevet. Cela vaut pour les demandes déposées depuis le 1ᵉʳ juillet 2017, sans rétroactivité.

Dans sa décision G 1/03ix, la Grande Chambre de recours de l’OEB précise qu’un disclaimer ne doit exclure que ce qui est nécessaire, tout en restant clair et concis. Mais exclure des éléments biologiques précis, comme du matériel végétal, est très complexe, voire infaisable. Surtout si la Commission européenne affirme que tout OGM/NTG1 est équivalent aux plantes naturelles. Ainsi, écrire dans une revendication que « le brevet ne porte pas sur des végétaux obtenus par des procédés biologiques » peut être concis, mais pas forcément clair, car pas facilement applicable. Et même avec un tel disclaimer, le présumé contrefacteur devrait toujours prouver que son produit est obtenu par un procédé non breveté, selon le principe du renversement de la charge de la preuvex.

ECVC estime que cette obligation d’exclusion est « illusoire, car elle ne peut porter que sur les éléments biologiques connus du déposant de la demande de brevet » et qu’« aucun obtenteur [déposant de la demande de brevet] ne peut connaître toutes la matière biologique et informations génétiques contenues dans toutes les plantes cultivées sur les cinq continents ». ECVC ajoute qu’une exclusion « ne peut s’appliquer qu’aux plantes et semences notoirement connues, enregistrées au catalogue commun des variétés, déposées dans des collections publiques officielles ou encore objet de publications scientifiques officielles décrivant en détail leurs caractères et les matières biologiques ou information génétiques qu’elles contiennent. Elle ne concerne pas la plupart des semences paysannes et de nombreuses variétés traditionnelles qui seront de ce fait toujours menacées d’appropriation par des brevets portant sur des caractères « natifs » qu’elles contiennent ».

De plus, même sans parler du disclaimer, la règle de « non-rétroactivité » laisse valables jusqu’en 2037 de nombreux brevets portant sur des produits obtenus par des procédés essentiellement biologiques (PEB). Pour protéger les petits et moyens semenciers et agriculteurs, il faudrait que l’OEB décide d’appliquer la rétroactivité sur ces brevets, ce qui semble improbable, voire impossible. Alternativement, il faut que les tribunaux nationaux invalident les revendications de brevets européens déposés avant juillet 2017 portant sur de tels produits. Or, rappelons là aussi le fait que la Commission fonde toute sa démarche sur l’impossibilité alléguée de distinguer les NTG1 des plantes conventionnelles.

Une protection encore insuffisante

Même si toutes les garanties réclamées par le Parlement – y compris l’« exemption totale du sélectionneur »xi – étaient claires, le fait qu’il ait renoncé à sa demande d’interdiction totale des brevets sur le matériel végétal issu des NTG ouvrirait la porte à des dérives. La puissance des groupes industriels, détenteurs de nombreux brevets, laisse peu de perspectives aux petits et moyens semenciers, pour qui le droit des brevets demeure une discipline étrangère et complexe qui pourrait être l’outil pour qu’ils se fassent racheter.

Une interdiction totale du matériel végétal issu des NTG, telle que proposée originellement par le Parlement, serait donc la solution la plus efficace. Elle ne serait cependant pas complètement protectrice compte tenu du maintien des brevets de procédés et des conséquences juridiques associéesxii. Elle supposerait en outre que la directive 98/44 sur les inventions biotechnologiques des brevets soit modifiée, ce à quoi les États membres comme la Commission se refusent totalement.

Le forcing de la présidence danoise

Le Danemark mène une offensive politique pour obtenir la déréglementation des OGM/NTG pendant sa présidence du Conseil de l’UE. Il veut aller vite, car les pays qui assureront ensuite la présidence de l’UE (Chypre, Irlande, Lituanie, Grèce) ne sont pas vus comme des États membres actifs sur cette question. La présidence danoise subit, par ailleurs, un fort mouvement de pression de la part de sa propre population, dont 82 % s’oppose à la déréglementation des OGM/NTG selon un sondage YouGovxiii. Ce même sondage montre également que 84 % des Danois ignorent même que leur gouvernement soutient la déréglementation proposée par la Commission européenne.

Les institutions européennes entrent dans les dernières négociations pour décider si les OGM/NTG seront exemptés d’étiquetage et de traçabilité, et élaborer de vraies solutions pour les brevets. Pour justifier la position danoise, le ministre de l’alimentation, Jacob Jensen, pour qui les NTG ne produisent pas des OGM, soutient que la déréglementation des OGM/NTG accélérerait la transition écologique, apporterait des solutions durables à la production alimentaire et permettrait d’interdire certains pesticides PFAS (substances per- et polyfluoroalkylées). Or, ces arguments ne font que reprendre les narratifs trompeurs développés depuis des années par des industriels et des scientifiques favorables aux OGM/NTG, et ignorent les conséquences des droits de brevets sur les petits et moyens semenciers et agriculteurs.

Caractères de non-durabilité avérés selon la Coordination européenne Via Campesina (ECVC) : 

• caractères de tolérance aux herbicides, qui mènent sur le long-terme à une utilisation accrue d’herbicides, à un appauvrissement des sols, à la création d’adventices résistantes, et sont liés à des problèmes de santé chez les agriculteurs ;
• caractères de production d’insecticides, qui présentent un risque élevé d’incitation à l’apparition de résistances chez les insectes, incitant à alourdir l’arsenal des insecticides, d’interaction néfaste avec l’environnement pour les substances produites par les NTG (dont ARN interférent), notamment à l’encontre des pollinisateurs ;
• caractères de production de substances antifongiques, qui présentent un risque élevé d’interaction néfaste avec l’environnement, notamment avec les champignons indispensables à la survie des plantes, à leur productivité et/ou à la fertilité de leurs semences.

ii Commission européenne, « ANNEXES de la proposition de RÈGLEMENT DU PARLEMENT EUROPÉEN ET DU CONSEIL concernant les végétaux obtenus au moyen de certaines nouvelles techniques génomiques et les denrées alimentaires et aliments pour animaux qui en sont dérivés, et modifiant le rè, 7 juillet 2023.

iii ECVC, « Trilogue sur le projet de règlement nouvelles techniques génomiques (NTG) : Propositions d’ECVC sur les brevets et la durabilité », novembre 2025.

iv Eric Meunier et Denis Meshaka, « 2024, année de remise en cause politique des brevets sur le vivant ? », Inf’OGM, le journal, n°176, juillet/septembre 2024.

v Office Mondial de la Propriété Intellectuelle, « Les brevets essentiels à des normes ».

vi Parlement européen et Conseil de l’Union européenne, « DIRECTIVE 98/44/CE DU PARLEMENT EUROPÉEN ET DU CONSEIL du 6 juillet 1998 relative à la protection juridique des inventions biotechnologiques », Journal officiel de l’Union européenne, L213/13, 30 juillet 1998.

vii République française, « Code de la Propriété Intellectuelle, Article L613-15-1 », JORF, 9 décembre 2004.

viii Denis Meshaka, « Brevets et COV : des semenciers au milieu du gué ? », Inf’OGM, 23 janvier 2024.

ix Office européen des brevets, « Décision G 1/03 du 8 avril 2004 ».

x Denis Meshaka, « L’exclusion de la brevetabilité des seuls OGM/NTG serait un leurre », Inf’OGM, 29 février 2024.

xi Denis Meshaka, « Des organisations de la société civile inquiètes de l’issue du trilogue sur les OGM/NTG », Inf’OGM, 28 octobre 2025.

xii Denis Meshaka, « Brevets sur les OGM : sortir de l’impasse est-il possible ? », Inf’OGM, 31 janvier 2025.

xiii « Poll: 82% of Danes oppose GMO deregulation, at odds with government position », GMWatch, 5 novembre 2025.

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